« Le triptyque - garantie, liquidité, rendement - ne peut plus être réuni »

Alors que l’Observatoire de l’Epargne Européenne lance ce jour un indice trimestriel de performance de l'épargne financière des ménages français, NewsManagers s’est entretenu avec Eric Pinon, président d’honneur et Thomas Valli, directeur des études économiques de l’Association française de la gestion (AFG), qui a contribué à l'élaboration de cet indice. Ils reviennent sur la place de la gestion d’actifs dans cette épargne.
Réjane Reibaud
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L’Observatoire de l’Epargne Européenne (OEE) annonce ce 15 décembre la création d’un indice de performance de l’épargne financière des ménages français qui sera publié tous les trimestres. La méthodologie a été développée en consultation avec la Banque de France et l’AFG (tous deux membres fondateurs de l’OEE). Elle s’appuie sur la méthodologie traditionnelle de calcul des indices boursiers et les données source utilisées sont disponibles publiquement et proviennent de la Banque de France ou de France Assureurs. Son objectif est notamment de mieux comprendre les comportements d’épargne des ménages et de mettre en lumière la contribution de chaque classe d’actifs à la performance globale de l’épargne financière des ménages. En quoi cet indice créé par l’OEE concerne-t-il l’AFG? Thomas Valli : L’AFG suit l’évolution des comportements d'épargne des ménages, la structure de cette épargne exerçant une influence sur le financement de la croissance économique. En effet, l’épargne est le carburant de la gestion d’actifset alimente les flux qui sont investis dans les fonds d’investissement. Le métier de la gestion d’actifs est précisément de transformer l’épargne en investissements productifs. Cet indice est donc important pour nous dans notre travail de pédagogie auprès des épargnants afin d’encourager une allocation de l’épargne diversifiée et orientée vers la performance de long terme. Par ailleurs, l’AFG en tant que l’un des membres fondateurs de l’OEE créé en 1999, contribue de longue date à renforcer les liens entre chercheurs et praticiens du métier de la gestion d’actifs. Chaque année, l’OEE finance des travaux de recherche sur les thématiques de l’épargne et de l’éducation financière. Eric Pinon : Dans le domaine important de la finance durable, l’AFG a été promoteur dans la création en 2007 de l’initiative de recherche Finance Durable et Investissement Responsable qui réunit des équipes de recherche de Polytechnique et de Toulouse School of Economics. Jean Tirole, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2014, en a été l’un des membres contributeurs. Cette initiative de recherche, dont des sociétés de gestion sont mécènes, a été renouvelée cette année pour une période de trois ans. Ces dernières années, l’AFG a également réalisé un tour d’Europe des ambassades accompagnées de chercheurs pour faire la promotion et de la pédagogie sur les enjeux liés à la gestion d’actifs. Quelles sont vos actions concrètement pour les particuliers? Eric Pinon : Nous avons de nombreuses actions directes après des épargnants en matière d’éducation financière, notamment avec la Banque de France et les pouvoirs publics. Depuis 2021, l’AFG est membre du Comité stratégique de l’éducation financière. Pour ce qui est de l’indice de l’OEE, son intérêt est de comparer la rentabilité des classes d’actifs sur 10 ans et d’apporter la preuve que, sur longue période, la classe actions apporte une rentabilité supérieure aux autres actifs. Or, les produits actions sont sous représentés dans le portefeuille des épargnants. Thomas Valli : Dans un contexte de forte inflation, nous voulons accompagner l’épargnant avec des outils chiffrés qui permettent d’objectiver la contribution sur moyen long terme des différentes classes d’actifs à la performance globale du portefeuille des ménages. On voit que sur 10 ans, avec la baisse des taux, la contribution des produits de taux à la performance globale n’a fait que baisser. L’inflation rogne totalement les rendements depuis plusieurs trimestres et que la valeur du patrimoine financier des Français est en train de s’éroder. Comment y répondre? Eric Pinon : Notre message a toujours été d’inciter l’épargnant à avoir en tête la performance de son portefeuille nette de l’inflation. Notre position est aussi de dire que la classe actions n’est envisageable que dans le cadre d’une détention longue. Dans le contexte actuel, le triptyque - garantie, liquidité, rendement - ne peut plus être réuni. L’inflation est un élément du puzzle dans la constitution d’une épargne. On a bien sûr déjà connu l’inflation à des plus hauts niveaux. Mais dans le contexte actuel, nous voulons expliquer que les actions sont la solution si on raisonne à long terme, il ne faut pas faire du trading journalier. Thomas Valli : On voit que sur 10 ans, avec la baisse des taux, la contribution des produits de taux à la performance globale n’a fait que baisser. Les produits de fonds propres ont contribué à la moitié de la performance globale, même s’ils ne représentent au global que 20% des encours des patrimoines. Aujourd’hui, les ménages français ont près de 2.000 milliards d’euros en livrets et dépôts, soit plus de 40% des patrimoines financiers, ou 130% du revenu disponible brut annuel des ménages. Avant la crise de la Covid, on était plutôt autour de 100%. Ceci veut dire qu’il y a un an et 4 mois de réserves qui se sont accumulées dans les patrimoines malgré la bonne performance des marchés actions. Les flux ont donc largement alimenté de l’épargne liquide de précaution. Pour faire face à l’inflation, une partie de cette épargne doit se réorienter vers la constitution d’un patrimoine financier long, qui grossira non seulement avec des flux mais aussi de la performance. Les particuliers français voient leur assurance-vie s’ouvrir de plus en plus aux actifs non côtés alors qu’on pourrait être en haut de cycle avec le retournement des taux et des perspectives de récession. Cela vous inquiète-il? Eric Pinon : L’avantage avec le non coté est justement d’être un des supports pour longue période. L’intérêt de cet indice est de montrer que si on investit vraiment à long terme, sur le moyen long terme ces produits ont eu leur place dans un portefeuille. Je vous donne un exemple: il y a eu trois trimestres de baisse sur les marchés actions dernièrement, mais n’oublions pas que le marché est toujours sur ses plus hauts des 10 dernières années. Thomas Valli : J’ajouterai que nous sommes dans une période de remontée des taux des banques centrales et de réduction de leurs bilans. Globalement, les fonds obligataires enregistrent une performance négative de -10% sur un an selon les données Banque de France. Le nouvel environnement monétaire va provoquer une période de réajustement des prix de tous les actifs. Les valorisations des actifs seront désormais plus volatiles, plus dispersées, avec des mouvements moins prévisibles. Les épargnants vont avoir davantage besoin de conseil pour obtenir du rendement avec une allocation bien diversifiée. On fait croire particulièrement en France que les frais de gestion sont à 100% encaissés par les fabricants de produits, ce qui est faux. Entre rentabilité et liquidité, où va la préférence des Français ? Pour attirer davantage vers les fonds actions ou non cotés, ne faudrait-il pas «caper» les commissions de gestion de ces derniers ? Eric Pinon : On le voit, les Français ont envie de liquidité, d’où les records cet été sur la collecte du livret A. Mais dans un contexte d’inflation, le rendement n’y est pas. D’autre part, croire que l’on va résoudre ce problème en réduisant les frais est une idée fausse. C’est comme croire qu’il suffit de donner des journaux gratuits pour que les gens les lisent. Bien sûr qu’il ne faut pas surcharger les frais, mais les épargnants doivent comprendre que ces derniers rémunèrent une prestation associée qui intègre 3 choses: le conseil, la livraison de performance et la gestion des risques. On fait croire particulièrement en France que les frais de gestion sont à 100% encaissés par les fabricants de produits, ce qui est faux. C’est à plus de 50% redistribués aux conseillers et aux distributeurs. Toute la question est de savoir si ces derniers méritent ce salaire. Le problème, si on ne rémunère pas les gestions, c’est qu’on va finir par ne faire que du beta. Or, 70% des indices mondiaux sont basés sur des actions américaines. Cela veut dire qu’en faisant uniquement des fonds indiciels pas chers, on va refinancer les actions américaines au lieu des entreprises européennes ou françaises. La gestion active, via l’analyse financière et extra-financière des émetteurs, apporte des financements nécessaires aux sociétés européennes pour se développer et innover. Thomas Valli : Les PEA, les unités de compte de l’assurance-vie, les dispositifs d’épargne salariale et retraite collective d’entreprises permettent de compléter son épargne de précaution avec une épargne de moyen-long terme diversifiée. La généralisation des véhicules de long terme, et une fiscalité incitative, sont des leviers pour accroitre l’épargne longue dans les patrimoines des ménages.

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