Le risque d’une crise alimentaire reste bien présent

La transmission de la hausse des prix peut durer douze mois après le pic, et touche davantage les pays émergents.
Fabrice Anselmi
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Le poste alimentation a soutenu particulièrement les indices d’inflation annuelle en septembre : +11,2% aux Etats-Unis ; +12,7% en zone euro.  -  © European Union

Qu’il s’agisse du blé ou du maïs, les cours ont connu un net repli depuis les plus hauts du 17 mai - hors le récent pic lié à l’escalade de la guerre en Ukraine. Plus globalement, l’indice des prix des produits alimentaires de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) ne cesse de baisser depuis six mois, dans des proportions importantes pour certaines denrées comme les huiles végétales. Malgré tout, le poste alimentation a continué à soutenir particulièrement les indices d’inflation annuelle en septembre : +11,2% aux Etats-Unis ; +12,7% en zone euro. Et le rapport sur les perspectives économiques du Fonds monétaire international (FMI) souligne, outre une hausse des prix de 19,1% entre février et août, le risque d’une crise alimentaire élargie : «Les prix des matières premières alimentaires ont bondi après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, puis sont revenus aux niveaux d’avant-guerre depuis juillet, mettant fin à une reprise de deux ans, estime l’institution de Washington. Toutefois, les risques de nouvelles restrictions à l’exportation (comme l’interdiction des exportations d’huile de palme imposée par l’Indonésie en avril), les sécheresses dans une partie de la Chine et des Etats-Unis, et la répercussion de la hausse des prix des engrais - qui reflètent la disponibilité réduite des engrais produits en Biélorussie et en Russie - font pencher la balance des risques vers le haut.»

Corrélations avec l’énergie

Ses économistes rappellent que le rallye initié en 2020, avec +54% jusqu’au sommet pour l’ensemble des prix (+107% pour les denrées alimentaires), se démarque historiquement par une corrélation accrue avec les prix de l’énergie pour plusieurs raisons : utilisation du pétrole comme carburant pour l’équipement et le transport et du gaz comme principal intrant des engrais et des pesticides à base d’azote ; utilisation des certains produits agricoles (maïs, colza, etc.) comme biocarburants en Europe et aux Etats-Unis depuis 2005 ; et financiarisation accrue de ces marchés, sur lesquels des indices commodities sont bien souvent vendus/achetés pour leur forte pondération sur le pétrole, et entraînent dans leur sillage les matières premières agricoles. Enfin, la valeur du dollar américain joue également un rôle non négligeable sur les prix.

Après une analyse économétrique, le FMI indique qu’un choc d’offre lié aux récoltes a quand même un effet bien supérieur - et bien plus immédiat et durable - sur le prix des céréales (+23% au bout d’un trimestre), qu’un choc de prix de 10% sur les engrais (+7%) ou sur le pétrole (+2%) - un choc de 100 points de base (pb) sur les taux courts US a plutôt un effet négatif (-13%) deux à trois trimestres plus tard. L’étude rappelle que les politiques nationales (taxes, subventions, contrôle des prix, distribution, etc.), l’ouverture commerciale des pays, le prix du pétrole (transport routier) et le Baltic Dry Index (transport maritime), ou le taux de change vont globalement limiter la transmission sur le marché intérieur des variations de prix des denrées alimentaires à l’international : avec un coefficient moyen de 30%, et surtout un décalage de dix à douze mois. Ceci expliquerait une diffusion prolongée sur les taux d’inflation des pays développés importateurs, potentiellement jusqu’à mai 2023 pour les céréales.

En outre, la répercussion est beaucoup plus importante pour les pays émergents parce que les produits alimentaires pèsent davantage dans la structure de coût des ménages. «La flambée des prix alimentaires a contribué à l’inflation intérieure des pays à faible revenu, où l’alimentation représente la moitié de la consommation totale, suscitant des inquiétudes concernant la sécurité alimentaire et les troubles sociaux», indiquent les auteurs, avant d’ajouter que cela fragilise la balance des paiements - et les soldes budgétaires en cas de mesures sociales connexes – et rend souvent la politique monétaire plus difficile.

La répercussion est aussi un peu plus importante pour les pays plus ouverts commercialement, du fait de possibilités d’arbitrages transfrontaliers qui augmentent la réactivité des prix intérieurs, qu’ils soient importateurs nets ou exportateurs nets – d’où la tentation d’introduire des restrictions à l’export comme en Inde sur le blé en mai.

Entre l’épisode météorologique de La Niña, les restrictions commerciales, la demande spécifique de la Chine, les taux bas puis la guerre en Ukraine, les prix alimentaires internationaux ont ajouté en moyenne 5 points de pourcentage à l’inflation des prix alimentaires nationaux en 2021, 6 points en 2022, et le FMI attend encore 2 points de hausse en 2023. Sous réserve d’autres mauvaises nouvelles, notamment des effets négatifs supplémentaires déjà constatés sur l’offre cette année. Sans remettre en cause l’intérêt de marchés internationaux ouverts pour la stabilité des prix dans les pays émergents – également plus densément peuplés et vulnérables au changement climatique -, l’institution souligne l’importance du bon fonctionnement des marchés alimentaires internationaux et de politiques nationales ciblées pour faire face aux inévitables fluctuations.

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