
Le projet d’euro numérique tend le modèle économique des banques

La course aux monnaies numériques de banques centrales (MNBC) est lancée. Alors que la Chine a lancé son e-yuan, il n’est pas question pour la Banque centrale européenne (BCE) de se laisser distancer. C’est un enjeu de souveraineté monétaire, martèlent les membres de l’Eurogroupe, dont les ministres des Finances se réunissent ce mardi 12 juillet. Les banquiers centraux de la zone euro, qui se réuniront en fin de semaine, tâcheront ainsi de faire progresser le projet d’euro numérique.
Lancée en juillet 2021 par la BCE, l’étude préalable à sa création doit se conclure dans un an. Mais les sujets non résolus sont nombreux, notamment le rôle joué par les banques européennes. La BCE est formelle : elle souhaite encourager la création d’un euro numérique dit «retail», en encourageant son adoption massive par les consommateurs européens, particuliers comme commerçants, d’ici à cinq ans.
La rentabilité des banques au cœur de l’équation
Si la BCE reste «la gardienne de l’euro», elle devra nécessairement s’appuyer sur les banques pour distribuer cet euro numérique, ce qui suscite de nombreuses interrogations sur leur modèle de rémunération. «Les banques ne distribuent pas de produits gratuitement, elles facturent leurs services. Enrôler un client, effectuer les vérifications nécessaires pour le KYC [pour ‘Know your customer’, soit la connaissance client], maintenir une hotline ouverte pour répondre aux questions des clients : tout cela a un coût», relève une partie prenante. Et de souligner : «Il faudrait imaginer un modèle de rémunération qui, certes, soit moins élevé que les commissions d’interchange sur les cartes bancaires, mais qui permette de rétribuer les banques.»
Les banques redoutent que les transactions en euro numérique ne fassent concurrence aux produits existants. L’enjeu est fort pour les banques françaises, dont le modèle en matière de paiements est assis sur les échanges entre cartes bancaires. «Si la moitié des flux sont captés par l’euro numérique, c’est la moitié de nos revenus dans les paiements qui s’évapore», redoute un banquier de la Place.
Enfin, la création d’une MNBC représente «un risque pour la stabilité financière», font valoir les banques. Si les clients déplacent massivement leurs avoirs vers un euro numérique logé à la banque centrale, les banques commerciales verront les dépôts diminuer dans leurs bilans… Ce qui pèserait sur leur capacité à octroyer des crédits, voire, en période de stress comme lors d’une crise financière, démultiplierait le phénomène de fuite des dépôts (bank run). Pour apaiser les inquiétudes, Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, qui pilote le projet, a déclaré que la capacité de paiement en euro numérique serait plafonnée à 3.000 euros, sans pour autant définir d’horizon temporel.
En raison des «nombreux risques et incertitudes associés» au projet, ainsi que de «l’absence de cas d’usage» pour un euro numérique grand public, les banques françaises ont exprimé, par la voix de leur fédération, «leurs réserves» sur ce projet. Comme le révèle une note rédigée à l’attention de la BCE et que L’Agefi a consultée, les banques françaises plaident pour la création d’un «euro numérique ‘wholesale’», ou de gros. Il s’agirait de créer une monnaie de type programmatique, s’apparentant à un smart contract, un contrat exécuté automatiquement grâce à la blockchain : il permettrait aux trésoriers dans les entreprises de régler plus facilement et rapidement leurs transactions et pourrait s’appliquer aux opérations de règlement-livraison ou de compensation.
Une alternative qui n’a guère de chances de l’emporter auprès des décideurs européens. Confrontés à la concurrence du e-yuan et à la montée en puissance des stablecoins, eux n’ont pas d’autre choix que d’opter pour un euro numérique à destination du grand public.
La concurrence des acteurs privés
«Le point de départ des réflexions autour d’une MNBC incluant les particuliers a été l’annonce du Libra de Facebook», explique Frédéric Ocana, chef de projet en cybersécurité à la Banque de France de 2017 à 2021. «Le fait qu’un acteur privé aussi puissant lance sa propre monnaie a été interprété par les responsables politiques comme le signal d’un danger pour la souveraineté monétaire», poursuit-il.
Le stablecoin, fonctionnant sur une blockchain, annoncé par Facebook en 2019 promettait de résoudre une partie des problèmes alors rencontrés par l’écosystème crypto, à savoir faire baisser les frais de transaction tout en assurant des volumes d’échanges importants. Renommé Diem en décembre 2020, le projet a été officiellement abandonné en janvier 2022 après qu’il a provoqué une levée de boucliers en Europe et aux Etats-Unis.
La concurrence pourrait également venir d’acteurs privés, comme l’américain Circle, qui a officiellement lancé l’EUROC le 30 juin, un stablecoin adossé à l’euro. A court terme, les stablecoins ne sont pas perçus comme une menace pour la souveraineté monétaire. Mais ils pourraient le devenir parce qu’ils permettent à des devises de circuler plus rapidement, tout en étant programmables grâce au système de la blockchain. «Actuellement, la circulation de l’euro sous forme numérique est loin d’être optimale, notamment parce qu’il y a trop d’interfaces. C’est comme si vous aviez plusieurs rails interconnectés entre eux. L’idée, avec la MNBC, est de mettre tout sur le même rail», détaille Frédéric Ocana.
Le e-yuan pourrait aussi faire perdre du terrain à l’euro au niveau mondial. «La Chine montre qu’il est possible de déployer une monnaie numérique de banque centrale qui fonctionne sans problème technique pour le moment», explique une source de marché, qui précise toutefois qu’il s’agit encore d’«une version bêta».
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