«Le moment où la Russie ne pourra plus atteindre ses objectifs la poussera à négocier»

Martin Quencez, directeur du German Marshall Fund, analyse pour L’Agefi la situation géopolitique à l’heure du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Xavier Diaz
Martin Quencez, directeur du bureau de Paris du German Marshall Fund
Martin Quencez, directeur du German Marshall Fund.  -  Photo GMF

Il y a un an, la Russie envahissait l’Ukraine. Un an après, les pays du G7 viennent de s’accorder sur un soutien de 39 milliards de dollars cette année à l’Ukraine, en attendant un programme du Fonds monétaire international (FMI). Martin Quencez qui dirige le think tank German Marshall Fund analyse les évolutions à attendre.

L’Agefi : Quelle est aujourd’hui la situation sur le front du conflit ukrainien ?

Martin Quencez : Le conflit est entré dans une nouvelle phase depuis plusieurs jours par une large offensive russe dans l’est de l’Ukraine dont les résultats semblent limités avec d’importantes pertes humaines pour Moscou rapidement absorbées grâce à la mobilisation générale. Il faut toutefois faire attention car depuis un an il y a un grand flou sur l’évolution du conflit sur le terrain. En simplifiant, au début du conflit, les Ukrainiens avaient l’avantage du nombre d’hommes, grâce à la mobilisation générale, mais moins de matériel alors que les Russes avaient la maîtrise de l’armement. Désormais la mobilisation annoncée par Vladimir Poutine en septembre dernier a des conséquences sur le terrain. La stratégie du maître du Kremlin est de changer cette partie de l’équation tout en gardant l’avantage matériel. Pour l’Ukraine, l’objectif va être de tenir le choc avant de mener une contre-offensive dans un second temps.

L’intervention de la Chine peut-elle changer la donne ?

Il faut voir si la Chine est véritablement prête à prendre le devant de la scène. Depuis février 2022, Pékin a essayé de jouer sur plusieurs tableaux, en partie en raison du régime de sanctions. Mais dans les faits il y a eu un soutien clair à la Russie. Washington alerte sur le risque de soutien militaire alors que Pékin veut proposer un plan de paix qui serait présenté dans les semaines à venir. Nous n’avons pas de détail et ce serait hasardeux d’ériger des hypothèses. Il y a eu beaucoup d’erreurs depuis un an à essayer de deviner la manière dont la Chine et la Russie pensent leurs intérêts mutuels. Il faut le voir avant tout comme la volonté de se soutenir mutuellement, en transcendant leurs propres rivalités notamment en Asie centrale, pour empêcher toute politique d’isolement. C’est notamment le cas dans les institutions internationales, en cherchant à mettre en avant les contradictions de la politique internationale des pays occidentaux. Ils se dressent comme les défenseurs des pays du sud. Une défaite totale de la Russie n’est pas dans l’intérêt de la Chine, ni la chute de Vladimir Poutine. Mais elle pourrait accepter un simple affaiblissement du pays.

Quel sera le coût économique de ce conflit ?

La question clé est celle de l’évolution du conflit. Or il faut accepter qu’il peut durer encore des mois, voire des années. Pour les occidentaux, il est nécessaire d’alimenter Kiev davantage en armes, s’ils souhaitent que cette guerre se termine rapidement. Plus le conflit dureplus le coût sera élevé pour l’Europe et les Etats-Unis. A ce coût énorme s’ajoutera demain celui de la reconstruction. Ce dernier est estimé entre 300 milliards et 1.000 milliards de dollars. Et plus le conflit dure, plus il sera difficile que l’Ukraine redevienne viable.

Y a-t-il un risque d’escalade ?

Il me semble qu’il faut poser le problème différemment. La politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Ukraine n’a que peu changé depuis un an. Et la visite surprise du président américain Joe Biden à Kiev cette semaine n’y change rien. Elle se définit par trois objectifs. D’abord, soutenir militairement l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre. Ensuite, garantir l’unité transatlantique pour éviter que certains pays d’Europe de l’Est ne prennent des décisions unilatérales. Enfin, éviter une confrontation directe avec la Russie.

Et côté russe ?

C’est compliqué de savoir ce qui pourrait provoquer une escalade. Nous avons malheureusement beaucoup perdu en compréhension des arcanes du pouvoir à Moscou. Et il est encore plus complexe de savoir comment Vladimir Poutine fonctionne. Depuis un an, il y a eu beaucoup de débats sur des lignes rouges. Or il n’y a pas eu de réponse lorsqu’elles ont été supposément franchies. La meilleure façon de fonctionner serait de savoir ce que l’on veut faire pour obtenir nos objectifs. Mais ces derniers ne sont pas définis.

Pourquoi ?

L’objectif est bien sûr d’aller jusqu’à la victoire. Mais seuls les Ukrainiens peuvent définir ce que signifie la victoire. Les Etats-Unis et leurs alliés veulent montrer un front uni pour garantir l’unité transatlantique. Définir un objectif précis signifierait afficher des divergences potentielles. Et de l’aveu de certains dirigeants européens, il n’y a pas de discussion à ce sujet.

Une négociation est-elle encore possible ?

C’est l’évolution sur le front qui en décidera avant tout. Les alliés se focalisent sur l’aide à l’Ukraine avec comme but de forcer la Russie à jeter l’éponge si le coût humain, économique et politique devient trop important. C’est à ce moment-là que tout le monde pourra se mettre autour de la table. Le moment où la Russie considérera qu’elle ne peut plus atteindre ses objectifs la poussera à négocier.

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