
L’Allemagne joue le flou budgétaire

Le 21 octobre dernier, le Parlement allemand approuvait un plan de 200 milliards d’euros pour lutter contre la crise énergétique et une nouvelle suspension de la «règle d’or» budgétaire. Et si les publications de vendredi ont pu montrer une certaine résistance de l’économie au troisième trimestre avec une hausse de 0,4% du PIB selon Destatis, la détérioration s’accentue en rythme annuel, à +1,3% après +1,7%.
Quelle récession à venir ?
Comme prévu, la croissance récente a encore été tirée par la consommation privée et l’investissement en machines-outils. «Le bond de la consommation privée est d’autant plus impressionnant qu’il n’entraîne pas vraiment de baisse de l’épargne – au troisième trimestre – ce qui pourrait constituer une autre réserve cachée pour les ménages dans les mois à venir», remarque Christian Fuertjes, économiste chez HSBC. L’indice de confiance GfK s’est également stabilisé en novembre (-40,2) : «Les consommateurs allemands restent moroses, mais la détente des prix de l’énergie, les mesures de soutien budgétaire et un marché du travail robuste peuvent amortir le coup cet hiver», note aussi Mateusz Urban chez Oxford Economics.
Cependant, l’analyse en rythme trimestriel apporte assez peu d’indications sur la tendance. «Des mesures ponctuelles comme le billet de train à 9 euros cet été ont sans doute soulagé les ménages», rappelle l’économiste Véronique Riches-Flores (RF Research), perplexe face à la résilience de certaines données. Et l’analyse en rythme annuel (+2% pour la consommation ; +6,7% pour l’investissement en machines-outils) implique encore des effets de base et de rattrapage post-Covid très importants. Malgré cela, «tous les postes de la demande s’essoufflent et l’entrée en récession de l’Allemagne semble imminente, estime Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez BNP Paribas. On constate que les moteurs de la croissance allemande s’éteignent un à un.» Il relève la baisse de divers indicateurs depuis janvier : -2,3% pour la production industrielle ; -12% pour les nouvelles commandes à l’industrie - surtout à cause des commandes chinoises (-16% hors zone euro) ; -5% pour les ventes au détail ; etc. «Face à l’incertitude, l’investissement a peu évolué, et reste toujours 1,6% sous son niveau d’avant-Covid, en particulier pour les investissements en machines-outils et en équipements lourds, qui pâtissent de cette morosité», ajoute le spécialiste.
Les économistes sont d’autant moins optimistes sur la dynamique à court terme. «La plus grande économie de la zone euro a retardé le début d’une récession technique, mais, dans les faits, nous pensons que le PIB se contractera d’environ 1% au quatrième trimestre malgré les dernières données des enquêtes PMI», ajoute Mateusz Urban. D’autant que, avec 10,4% d’inflation, les revenus réels continuent à baisser, même après les accords récemment signés – IG Metall a obtenu le 18 novembre une hausse de 8,5% des salaires, mais étalée sur deux ans (juin 2023-juin 2025) au lieu d’un an.
Quel soutien public ?
La chute de l’activité pourrait toutefois être limitée par la détermination du gouvernement allemand à ne pas laisser tomber son économie. Le fonds voté fin octobre par le Bundestag devrait permettre, outre le sauvetage de la société Uniper, de plafonner les prix de l’énergie jusqu’en 2024. L’Etat va subventionner 80% la consommation d’énergie des ménages supérieure à leur consommation habituelle, et 70% de la consommation d’énergie des entreprises. Mais le choix de ce système d’aides ex-post étonne, car il devrait peu diminuer la facture et l’inflation affichées… «Le soutien sur l’énergie apparaît énorme, mais on manque de visibilité sur d’éventuels effets multiplicateurs, poursuit Véronique Riches-Flores. Il est probable que le fonds militaire de 100 milliards serait le plus efficace sur l’emploi, les commandes à l’industrie, la R&D, etc.» Le gouvernement évite de rappeler que les 200 milliards constitueraient une limite haute, et que l’affectation via un fonds spécial devrait permettre de l’exclure des normes budgétaires maastrichtiennes, comme déjà pour le fonds militaire au printemps ou pour le fonds sur la numérisation de l’économie.
«Les aides aux particuliers vont préserver le pouvoir d’achat dans un contexte où les salaires nominaux croissent bien moins vite que les prix à la consommation. Celles aux entreprises industrielles vont permettre de soulager significativement les coûts de production, et surtout de préserver leur compétitivité à l’export, voire d’éviter des délocalisations aux Etats-Unis où l’énergie coûte moins cher, insiste Anthony Morlet-Lavidalie. Toujours difficiles à mesurer, les effets multiplicateurs ont déjà joué depuis le Covid : les dépenses des administrations publiques ont progressé de plus de 12% depuis fin 2019, un soutien sans lequel le PIB allemand se situerait seulement à son niveau de mi-2017.»
Sans extrapoler au-delà de 2023 si des problèmes énergétiques demeurent alors, les économistes estiment que l’Allemagne ne devrait pas échapper à une récession, mais que la contraction pourrait rester modérée et limitée dans le temps selon le scénario central.
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