
La transmission de la politique monétaire est cassée

Pour combattre une inflation à laquelle elles n’ont pas cru, les banques centrales ont resserré leur politique monétaire comme jamais depuis des décennies. La Fed a dû relever ses taux de 450 points de base (pb) depuis mars 2022, à 4,50%-4,75%. La Banque centrale européenne (BCE) est sortie des taux négatifs et a augmenté de 300 points de base ses taux directeurs, le taux de dépôt grimpant à 2,5%.
Si certains indicateurs (activité dans l’industrie, immobilier…) montrent des signes d’affaiblissement, notamment aux Etats-Unis, l’économie mondiale résiste. Elle est en partie aidée en ce début d’année par la réouverture de la Chine qui profite principalement à la zone euro. Le spectre de la récession s’est donc éloigné ces dernières semaines, ce qui semble contredire la logique de transmission d’une politique monétaire restrictive à l'économie.
«La politique monétaire influe sur la demande et sur l’activité à travers différents canaux de transmission», souligne William de Vijlder, chef économiste chez BNP Paribas. Il s’agit du niveau des taux d’intérêt, du crédit bancaire, du bilan des emprunteurs et des prêteurs, de leur capacité à prendre du risque et du canal du taux de change. «Compte tenu de la diversité des mécanismes de transmission, les effets des changements des taux directeurs ne se matérialisent qu’au bout de délais longs et variables», poursuit l’économiste, pour qui les enquêtes sur le crédit bancaire sont de bons indicateurs avancés de cette transmission.
Le décalage dans le temps entre la politique monétaire et son impact sur l’économie réelle atteint en général 12 à 18 mois. Lorsque l’inflation reste élevée et inerte comme actuellement et qu’une partie du chemin a déjà été effectuée, les banques centrales, et donc les investisseurs, se demandent combien de hausses de taux supplémentaires sont nécessaires pour ramener l’inflation sous contrôle sans risquer un resserrement excessif.
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Sur les marchés, les investisseurs semblent désormais convaincus que les banques centrales vont devoir accentuer leur resserrement monétaire. Les marchés monétaires ont nettement revu en hausse leur prévision de taux terminal pour la Fed et la BCE, à près de 5,5% et de 4% respectivement. Des taux voués à rester aussi élevés tant que l’inflation n’aura pas donné les signes d’une véritable décrue vers la cible des 2%. Pour beaucoup, le chemin risque d’être long.
Il le sera d’autant plus que certains éléments conjoncturels et des évolutions structurelles ont un impact sur le décalage de transmission de la politique monétaire. «Ce cycle pose un défi assez difficile dans l’identification de la durée du décalage pour diverses raisons», souligne Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank. L’une d’elles est l’évolution de la masse monétaire. Aux Etats-Unis, par exemple, elle a connu en 2020 le plus grand pic en glissement annuel depuis la Seconde Guerre mondiale, puis en 2021, avant qu’elle ne recule en 2022 pour la première fois depuis 1948. «Le PIB nominal américain a généralement assez bien suivi la masse monétaire depuis 1831», poursuit le stratégiste. Mais cette corrélation n’a pas été aussi forte depuis 2020. Dans ce contexte, le PIB, qui n’a pas pleinement réagi à l’envolée de la masse monétaire, pourrait rester élevé plus longtemps avant de se contracter.
Enigme de l’emploi
Mais la principale inconnue reste l’évolution de l’emploi. La résistance du marché du travail, en plus de l’excès d’épargne, explique en partie celle de la consommation et de l’économie. Les taux de chômage sont historiquement bas aux Etats-Unis comme en Europe. Le bond des créations d’emplois en janvier a témoigné de la force persistante du marché du travail américain, notamment dans le secteur des services.
«L’une des principales raisons de la lenteur anormale de la transmission de la politique monétaire à l’économie est un marché du travail qui reste très tendu aux Etats-Unis», relève Florian Ielpo, responsable de la stratégie macro chez Lombard Odier IM. Alors que les créations d’emploi pour février seront publiées le 10 mars, les inscriptions au chômage ont de nouveau reculé la semaine passée.
Dans la zone euro, l’emploi est aussi la variable qui ralentit la transmission de la politique monétaire. «Nous sommes plus enclins à penser que les surprises en matière d’emploi repoussent les récessions et augmentent les chances de pics de taux directeurs plus élevés et d’un pivot plus lent, plutôt que de rendre la récession moins probable», affirment pour leur part les économistes d’Oxford Economics.
«Une récession sans hausse du chômage n’existe pas», rappelle Florian Ielpo. Pour ce dernier, l’effet de la politique monétaire est déjà perceptible sur l’économie américaine un an après le début des premières hausses de taux. Il estime que cela devrait être le cas à partir de septembre dans la zone euro d’autant que le stimulus lié à la réouverture de la Chine commencera à faiblir. «Si l’emploi tient au cours des prochains mois, le risque que les taux aillent bien plus haut est réel», prévient toutefois le stratégiste de Lombard Odier IM.
Les banquiers centraux veulent absolument éviter une thérapie de choc à la Volcker (ancien président de la Fed, ndlr), avec des taux directeurs supérieurs à l’inflation. Une économie qui ne ralentit pas et une inflation qui reste inerte pourraient les obliger à être beaucoup plus restrictifs, avec des conséquences potentiellement néfastes pour l’économie. «Comprendre le décalage dans la transmission de la politique monétaire à l’économie devrait être le thème macroéconomique le plus important des 12 à 18 prochains mois», conclut Jim Reid.
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