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Là où l’expérience japonaise pourrait aider le financement de nos retraites

Le bon critère pour juger d’un système de retraite n’est pas tant son mode de financement, par transferts directs ou par placement sur les marchés, que le type de risque que subit le retraité futur : des prestations garanties, comme en France et au Japon, ou des prestations qui dépendent du montant épargné au cours de la carrière.
Existe-t-il un pays où le déficit de l’Etat s’élèverait à 5,1% du PIB chaque année en moyenne depuis 25 ans (de 1998 à 2023), dont la croissance serait nulle (0,03% l’an sur la même période et 0,4% si on inclut l’inflation), où le coût de financement de l’Etat (1,7%) serait bien supérieur à la croissance de l’économie et où pourtant la dette, bien qu’à un niveau spectaculaire (276% du PIB), n’augmenterait ni n’inquièterait les marchés ?
Voilà qui est magique. On savait qu’une règle pour qu’un déficit public ne vienne pas accroître le poids de la dette dans le PIB est que le coût de cette dette reste inférieur au taux de croissance de l’économie.
Or le Japon, car il s’agit de lui, semble se moquer de cette règle. Comment fait-il ?
Dit brièvement, 1/ en faisant en sorte que les institutions financières de l’Etat utilisent massivement le levier d’endettement ; 2/ en profitant de l’avantage de performance sur les marchés financiers qu’arrive à obtenir un fonds souverain de taille importante. Dans le perpétuel débat sur le financement de la retraite en France, il y a probablement une leçon.
Pour comprendre cela, il faut regarder de près le bilan financier de l’Etat japonais. C’est ce qu’ont fait trois économistes de la Réserve fédérale de Saint Louis. Pour l’exercice, les auteurs consolident l’ensemble des institutions financières publiques, essentiellement le Trésor, les institutions de prévoyance publique (caisses de retraite et le GIPF, le Government Investment Pension Fund) et la banque centrale.
On voit alors que le passif financier de l’Etat, c’est-à-dire les 276% du PIB, ne se composent qu’à 108% d’emprunts auprès du public. Le reste se compose essentiellement du passif de la banque centrale (réserves des banques et billets), qu’il est légitime de consolider car celle-ci finance largement l’Etat (c’est le Japon qui a inventé le quantitative easing dans les années 80) et qu’elle achète beaucoup d’actions sur les marchés. En tout cas donc, un passif financé à coût bas et avec une sensibilité au risque de taux également basse.
Passif et actif de l’Etat
D’où vient cette facilité de l’Etat à lever de la dette ? Les ménages sont très passifs dans leur comportement financier : le gros de leur stock d’épargne est placé d’abord dans des comptes courants auprès des banques (soit 189% du PIB, alors qu’ils n’empruntent auprès d’elles que le tiers de ce montant), ensuite dans des contrats d’assurance et des fonds de retraite complémentaires (90% du PIB). Ces organismes investissent largement les encours collectés en emprunts d’Etat, le tout peu rémunéré. C’est une situation que les économistes qualifient de «répression financière».
La surprise vient du côté de l’actif de l’Etat. À compter de la grande crise financière de 2008-09, la banque centrale mais surtout le GIPF se sont engagées en un vaste programme d’acquisition de titres financiers. Qu’on en juge : à la fin 2023, le montant ainsi cumulé s’élève à 4.100 milliards de dollars, soit 95% du PIB, dont 60% de titres étrangers, principalement en actions, et sans couverture de change.
Pour résumer, face à ce passif peu coûteux et dépourvu de risque, l’Etat a accumulé des actifs risqués et à forte rémunération. Ainsi, entre 2012 et 2023, le rendement moyen de ce portefeuille s’élève à 6,3%, à comparer à un coût de financement moyen de 1,3%. Les revenus nets qui en résultent atteignent 6,2% du PIB en moyenne.
Avec de tels revenus, obtenus surtout par le GIPF, on ne s’étonne plus que l’Etat finance aisément son déficit budgétaire. Pour l’année 2023, les seuls revenus des placements à l’étranger s’élèvent à 6% du PIB et ce sont eux qui assurent l’excédent de 4% de la balance courante du Japon car la balance commerciale est déficitaire à -2%, un fait qui colle mal avec la vision qu’on a souvent d’un pays hautement exportateur.
Le risque est bien sûr important car on a le profil typique d’un hedge fund faisant un carry trade : emprunter à taux bas et espérer que le rendement du placement de ce montant soit supérieur. Les responsables japonais ont dû frissonner face à la récente hausse de 50 centimes des taux des Etats-Unis - et donc la chute des T-bonds - suite aux excentricités de Donald Trump : ils en possèdent un peu plus de 1.000 milliards de dollars.
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Quelles conséquences pour le financement de la retraite ?
On peut être surpris que le GIPF, aidé par les autres organismes financiers de l’Etat, s’endette à ce point. Mais ceci leur procure en contrepartie des revenus financiers qu’ils redistribuent aux ménages en leur permettant de cotiser moins pour leur retraite qu’ils ne reçoivent en prestations. Le service est même double : jamais un particulier n’est en mesure de capter sur son épargne le niveau de performance qu’un fonds souverain (ce qu’est en réalité le GIPF) peut obtenir, ce qu’on vérifie en voyant les rendements obtenus par les fonds souverains de Norvège ou d’Arabie Saoudite.
Plus important, la frontière entre capitalisation et répartition tend à disparaître dans la situation japonaise. Le système de retraite au Japon est très proche de celui qu’on a en France du point de vue de ses bénéficiaires : des prestations définies (c’est-à-dire un taux de remplacement fixé ex-ante) et des pensions en grande partie contributives sur la base des années cotisées et des salaires perçus. C’est au niveau du financement qu’est la différence : la double ressource, dette plus cotisations, va pour partie dans ce fonds de pension qui redistribue ses revenus sous forme de prestations. On vérifie une fois de plus que le bon critère pour juger d’un système de retraite n’est pas tant son mode de financement, par transferts directs ou par placement sur les marchés, mais le type de risque que subit le retraité futur : des prestations garanties, comme en France et au Japon, ou des prestations qui dépendent du montant épargné au cours de la carrière.
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Une idée pour la France ?
On ne cherche pas ici à défendre la solution japonaise qui, à la dimension à laquelle elle est portée, porte des risques importants. Mais ne serait-il pas judicieux d’importer un mécanisme analogue en France ?
Pas la peine de chercher, cela existe déjà, sous la forme du FRR, le Fonds de réserve des retraites créé en 2001 sous le gouvernement Jospin. Certes, il s’agit là d’une goutte d’eau, 21,2 milliards d’euros en avril 2024, par rapport à ce que détient le GPIF japonais. Mais une goutte d’eau dont la performance financière a atteint près de 10% en 2023. L’idée initiale était de stabiliser les excédents et déficits du régime général. Les gouvernements qui ont suivi n’ont pas joué le jeu et ont pompé ses maigres avoirs. C’est une erreur assez grave car un fonds a le potentiel non seulement d’être un stabilisateur, mais, à la japonaise, de contribuer significativement à la performance des pensions des retraités.
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