
La BCE va devoir soigner sa communication

La réunion ce jeudi du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) pourrait à nouveau faire ressortir les débats tendus au sein de l’institution. Aucune décision de politique monétaire n’est toutefois attendue, ce conseil étant considéré comme intermédiaire. «A en croire Christine Lagarde, il ne faut pas s’attendre à des changements de politique monétaire en dehors des réunions de mars, juin, septembre et décembre, au moment de la publication de ses prévisions économiques», rappelle Jean-Louis Mourier chez Aurel BGC. La présidente de la BCE va devoir passer ce cap sans accident de communication, relèvent les économistes d’ING. Les interrogations des investisseurs portent notamment sur le rythme des achats d’obligations dans le cadre du programme d’urgence PEPP (pandemic emergency purchase program), augmenté en mars.
«Des débats âpres pourraient se dérouler entre les partisans d’une réduction rapide du rythme des achats dans le cadre du PEPP et ceux préférant rester très prudents compte tenu de la forte incertitude sur les perspectives économiques», souligne Jean-Louis Mourier. Pour ce dernier, il y a peu de raison de penser que la politique monétaire européenne pourrait s’avérer «trop accommodante» vu les données économiques, et notamment l’évolution de l’inflation. Toutefois, la dissipation des pressions déflationnistes suffirait à certains pour prôner un retour en arrière afin d’éviter les «effets pervers» du maintien d’une politique très souple pendant une période prolongée.
Communication ambiguë
«Une petite minorité du conseil, qui sait se faire entendre, à l’image de Klaas Knot et Jens Weidmann, souhaite que l’enveloppe de 1.850 milliards d’euros du PEPP ne soit pas utilisée en totalité, ce qui suggère une baisse des achats hebdomadaires dès l’été en lien avec le vif rebond attendu de la croissance, affirme Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo-BHF. Christine Lagarde, qui a fait de l’apaisement des tensions internes un des axes de son action, a donc parfois un discours ambigu pour satisfaire tout le monde». Une ambiguïté qui n’est guère souhaitable.
Au-delà de l’échéance de juin, c’est au sujet du calendrier d’arrêt du PEPP (tapering) que le marché attend aussi des éclaircissements. «Si les scénarios favorables, de vaccination et économique, se concrétisent cet été, il y aura des demandes pour que le PEPP soit arrêté comme prévu en mars 2022, indiquent les économistes d’ING. En contrepartie, la BCE pourrait augmenter son programme d’achat conventionnel (APP).» Mais opérer un tel changement ne sera pas facile sans relancer les craintes de taper tantrum, une panique des marchés obligataires qui ferait remonter fortement les taux longs. «La BCE devra éviter de s’impliquer dans une telle discussion en public. Il y a très peu à gagner d’un tel débat et seulement à perdre avec un risque de resserrement injustifié des conditions de financement», selon ING. Il est encore trop tôt pour aborder cette discussion alors que l’inflation n’est encore qu’à 0,9%, ajoute pour sa part Sébastien Galy, stratégiste chez Nordea AM.
Trajectoire plus optimiste
«Christine Lagarde va tenter de garder toutes ses cartouches et éviter de communiquer trop précisément sur ce que sera la stratégie de la BCE une fois que l’économie de la zone euro aura donné des signes de normalisation, mais elle ne va pas pouvoir échapper à ce débat», juge pour sa part Michel Martinez, chef économiste Europe chez Société Générale CIB. Même si le message est plus optimiste, notamment concernant la réouverture progressive des économies dès juin avec l’accélération du déploiement du vaccin, la présidente de la BCE devrait insister sur le niveau d’incertitude encore élevé, notamment sur le plan sanitaire.
L’exercice risque néanmoins d’être compliqué alors que le marché a déjà commencé à intégrer une trajectoire beaucoup plus optimiste dans la zone euro à la fois sur le plan sanitaire et économique, et donc une réduction du PEPP dès le second semestre cette année. Les taux longs de la zone euro sont remontés depuis plus d’une semaine et c’est aussi ce qui explique l’appréciation récente de l’euro face au dollar.
Augmentation de l’APP
«Nous anticipons une réduction progressive du PEPP, dont le caractère exceptionnel est directement lié à la pandémie, jusqu’en mars 2022 et une substitution partielle par le programme APP. La BCE justifiant cette hausse par des anticipations d’inflation encore loin de la cible de 2%», poursuit Michel Martinez. Ce dernier anticipe une augmentation à 50 milliards par mois de l’APP (contre 20 milliards actuellement) en 2022, soit une division par deux des achats obligataires de la BCE par rapport à aujourd’hui. Cela ne sera pas neutre pour le marché d’autant que le tapering de la BCE sera plus fort et plus rapide que celui de la Fed. Cette dernière réduira ses achats plus progressivement car son objectif d’inflation est plus flexible.
En attendant, ce jeudi, la BCE risque surtout de se contenter de mettre l’accent sur la flexibilité de ses programmes d’achat. Tout en adoptant un ton peut-être plus optimiste sur la croissance et en réitérant sa crainte d’un euro plus fort face au dollar avec les effets déflationnistes qui y sont associés, affirme Sébastien Galy.
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