
Fnac Darty provoque le premier couac du marché high yield euro cette année

Le marché primaire high yield est ouvert pour les refinancements mais pas à n’importe quelles conditions. Le distributeur Fnac Darty a annulé mercredi une émission obligataire, faute d’une demande suffisante des investisseurs. «Fnac Darty a décidé du retrait de l’offre d’émissions obligataires seniors de 300 millions d’euros, à échéance janvier 2029, compte tenu de conditions de marché insuffisamment attractives», a expliqué le groupe dans un communiqué.
Cette obligation était proposée à 5,625% (plus ou moins 125 points de base). «Fnac Darty n’offrait pas de prime par rapport à un profil retail cyclique et une perspective négative sur sa notation crédit. La demande des investisseurs n’a donc pas été suffisante pour couvrir l’offre», relève un investisseur qui avait décidé de ne pas participer à l’opération. «Le prix proposé initialement ne nous convenait pas, nous n’avons donc pas voulu y aller, et nous n’étions visiblement pas les seuls», indique Olivier Becker, conseiller en investissement chez Corum Butler. Dans un deuxième temps, les banques ont testé l’intérêt du marché, évoquant un rendement de 6%. «Nous avons exprimé notre intérêt à ce niveau, mais cette fois, c’est la société qui a décidé de retirer l’émission», poursuit ce dernier. Il est rare que le prix soit relevé comme cela.
Les investisseurs ont pu se montrer prudents à la veille d’une réunion cruciale de la Banque centrale européenne (BCE). Mais le marché semblait aussi moins enclin à accepter un prix serré après l’avoir fait pour Rexel la semaine passée, pour un profil de risque moins risqué.
Fnac Darty a retiré son émission parce qu’il avait une alternative avec la ligne de crédit mise en place pour le remboursement de cette obligation. «En l’absence de l’émission, le Delayed-Draw Term Loan (DDTL) d’un montant de 300 millions d’euros est maintenu pour refinancer l’emprunt obligataire d’échéance mai 2024. Le DDTL dispose toujours d’une maturité initiale décembre 2025, extensible jusqu’en 2027 avec l’accord des prêteurs», a indiqué la société. Il s’agit d’un retour à la case départ pour Fnac Darty, selon Nicolas Etienne, analyste chez Octo Finances : «Le refinancement de l’obligation 2024 est toujours assuré par le DDTL négocié en décembre 2022. Les clauses de ce prêt bancaire n’avaient pas été divulguées, mais le coût est probablement en deçà du prix offert par le marché, ce qui a sûrement amené la direction de Fnac Darty à retirer l'émission du marché primaire.» Le coût serait de 5,3%, selon nos informations.
Marché sélectif
Ce retrait est le premier depuis un an sur le marché HY euro. Il est d’autant plus marquant que la taille modeste de l’émission aurait dû être facilement absorbée par un marché porteur. «Il ne faut pas voir dans cette annulation le symptôme d’un marché primaire qui se gripperait, mais le reflet d’une demande par les investisseurs d’un spread suffisant pour couvrir les risques de crédit», affirme Sébastien Ploton, gérant chez Allianz GI. Une autre émission cette semaine a aussi témoigné de cette exigence et sélectivité des investisseurs. La transaction importante réalisée par le groupe de production audiovisuelle Banijay Entertainment (910 millions d’euros équivalents en deux tranches euro et dollar), bien qu’émise sur la base d’un prix inférieur à la première estimation, n’a pas été resserrée comme prévu dans la phase finale de l’émission. Le rendement s’est établi à 7% et n’a pas été resserré des 125 pb attendus, ce qui est là encore plutôt rare.
L’annulation de l’émission Fnac Darty est considérée par certains comme un signal favorable pour le marché. «Cela signifie clairement que les investisseurs ont encore leur mot à dire sur le primaire, relève le spécialiste de Corum Butler. Ce n’est pas parce que les rendements ont récemment baissé et que le marché primaire est peu actif, que les émetteurs peuvent faire ce qu’ils veulent.» Cela devrait avoir un impact sur les prix proposés lors des prochaines émissions. «Si l’émission avait été proposée dès le départ à 5,75%, elle aurait pu peut-être passer, mais Fnac Darty a voulu tenter avec un rendement plus bas parce qu’ils avaient aussi une alternative de financement», affirme Olivier Becker. Mais cette possibilité ne sera pas offerte à tous les émetteurs qui doivent refinancer dans les prochains mois leurs dettes, surtout ceux notés simple B avec de faibles fondamentaux.
60 milliards dès 2025
La question pour le marché est celle du mur de refinancement à venir. Pas pour 2024, où la plupart des émetteurs notés simple B ont refinancé cette échéance (7 milliards environ sur 13 milliards). Le montant est plus important pour les entreprises notées double B à 25 milliards environ, mais ces émetteurs considèrent qu’ils ont plus de temps pour venir dans le marché et optimiser leur taux de refinancement. «Il n’y a plus grand chose à refinancer pour 2024, ce qui n’est pas le cas les années suivantes», note Olivier Becker, qui rappelle que ces tombées sont l’héritage des importants montants émis en 2020 et 2021 à des rendements historiquement bas, qu’il va falloir refinancer à des taux plus élevés. En 2025, les besoins de refinancement s’élèvent à 60 milliards, puis 100 milliards en 2026, 60 milliards en 2027 et 80 milliards en 2028.
«La question du refinancement devient plus conséquente en 2025 et 2026 avec environ 17 milliards et 27 milliards respectivement pour les émetteurs simple B», ajoute Sébastien Ploton. En temps normal, le montant annuel émis sur le marché primaire HY euro est de l’ordre de 60 milliards. Ces refinancements sont donc en théorie absorbables. Par ailleurs, le montant de dette arrivant à échéance en 2024 et 2025 parmi les émetteurs simple B qui traitent sur des prix décotés (intégrant un risque de refinancement) est très raisonnable, à 2% de l’univers HY, estime Sébastien Ploton, d’autant qu’il existe des alternatives en dehors du marché obligataire (injection de liquidités, refinancement bancaire ou loans, cession d’actifs).
Un secteur est particulièrement sous pression, l’immobilier, notamment des foncières allemandes de taille moyenne dans le résidentiel comme Vivion (échéance en 2024). Pour Olivier Becker, les dossiers les plus compliqués sont bien identifiés par le marché : Altice France, Atalian, Novafives ou Telecolombus entre autres, avec des refinancements en 2025. Il y a moins d’inquiétude sur les émetteurs simple B dont les fondamentaux sont solides, tandis que ceux en double B peuvent venir plus facilement dans le marché. Une dégradation plus marquée de la conjoncture pourrait de nouveau refermer la fenêtre sur le marché HY. Les refinancements se font entre six mois et un an avant l’échéance finale. «Si, en raison d’un contexte macroéconomique pire qu’attendu, on commence à avoir des soucis de refinancement sur ce marché, ce sera à partir de mi-2024», estime Sébastien Ploton.
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