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Entendre n’est pas nécessairement écouter

Wim Duisenberg, premier président de la BCE, avait coutume de dire dans ses conférences de presse : «Je vous entends, mais je ne vous écoute pas». Ces propos viennent à l’esprit lorsque l’on observe l’écart important entre la teneur du message des banques centrales (en termes de calendrier et d’ampleur de l’assouplissement monétaire envisageables cette année) et le comportement des marchés de taux. Ces derniers anticipent une première baisse au printemps, aux Etats-Unis ainsi qu’en zone euro, suivie par plusieurs réductions des taux officiels dans le courant de l’année. L’optimisme des marchés de taux alimente l’appétit pour le risque des investisseurs, une baisse des taux augmentant la valeur actuelle des futurs flux de dividendes.
En outre, une détente monétaire réduit le risque à la baisse pour l’activité économique et, par conséquent, pour les dividendes. On peut remédier à une surchauffe en versant de l’eau froide. Les banquiers centraux se sont peut-être inspirés de ce principe en essayant, dans des déclarations récentes, de doucher l’enthousiasme du marché sur l’orientation future de la politique monétaire.
Aux Etats-Unis, Christopher Waller, membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, a indiqué que les données économiques des derniers mois devraient permettre au FOMC d’envisager des baisses de taux en 2024. La teneur de son message est conforme aux projections de taux fournies par les membres du Comité monétaire en décembre 2023. Il a toutefois insisté sur la nécessité de bien calibrer les changements d’orientation de la politique monétaire et donc d’agir sans précipitation. Il s’agit là, d’une manière à peine voilée, de souligner le positionnement excessif actuel des marchés.
Dans une interview accordée à Bloomberg lors du Forum économique mondial de Davos, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a également livré un message en demi-teinte : les taux d’intérêt vont probablement baisser cette année, mais pas avant cet été, l’incertitude subsistant sur la dynamique future de l’inflation. À ce propos, Philip Lane, chef économiste de la BCE, a insisté, dans une interview récente, sur le fait que des vents contraires demeuraient pour l’inflation dans les services. Il a également indiqué que les prix de l’énergie ne devraient pas reculer autant qu’en 2023 et que la croissance des salaires restait «bien supérieure à n’importe quel taux d’équilibre à long terme». Ces déclarations traduisent un souci d’éviter un assouplissement prématuré, avec le risque de devoir changer de discours, voire d’être obligé de remonter les taux après les avoir baissés. La crédibilité des banques centrales s’en trouverait entamée.
A lire aussi: La BCE orientera les marchés vers une baisse des taux en juin
«Agressivité rationnelle»
Autre facteur de préoccupation pour la zone euro en particulier (à en juger par les commentaires récents d’Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE), la détente des conditions financières (hausse des cours boursiers, baisse des taux d’intérêt pour la dette émise par des entreprises), alimentée par des hypothèses trop optimistes des marchés sur la trajectoire des taux directeurs, pourrait être contre-productive pour la politique monétaire.
Face à l’incertitude sur l’ampleur et la rapidité de la désinflation, les banques centrales ont donc intérêt à continuer de souligner qu’elles restent prudentes, d’autant qu’elles ont toujours la possibilité de réorienter rapidement leur politique monétaire. Or, c’est cette optionnalité qui pousse les investisseurs vers une «agressivité rationnelle», ces derniers tablant sur des baisses précoces des taux officiels, et plus nombreuses que celles envisagées par les banques centrales. Sans surprise donc, les déclarations récentes de Christopher Waller et de Christine Lagarde n’ont eu qu’un impact très limité sur les marchés.
Ce comportement («entendre mais ne pas écouter») constitue-t-il un risque pour les marchés et l’économie ? Une conséquence probable est une volatilité accrue des marchés de taux, en particulier la partie courte de la courbe, en fonction des messages des banques centrales et de la publication des données économiques. La politique monétaire est étroitement liée à ces données, mais le positionnement des investisseurs l’est tout autant. L’impact de cette volatilité sur la sphère réelle – l’activité et la demande – devrait toutefois être très limité : pour les ménages et les entreprises, c’est la tendance qui compte, le fait que les taux vont baisser, plutôt que leurs fluctuations à court terme.
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Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse