Deutsche Bank donne des sueurs froides aux marchés

L’accalmie après le rachat de Credit Suisse a fait long feu. Les inquiétudes se portent maintenant sur la première banque allemande malgré ses fondamentaux solides.
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Actions, CDS et obligations subordonnées de Deutsche Bank ont plongé  - 

Le marché est-il devenu irrationnel ou continue-t-il simplement sa quête des prochains dominos susceptibles de tomber dans le secteur bancaire ? Après avoir marqué une courte pause en début de semaine, avec le rachat par UBS de Credit Suisse, fragilisé par une fuite des dépôts, le secteur bancaire a de nouveau entraîné dans son sillage l’ensemble des places boursières en Europe. Deutsche Bank, la Société Générale et Banco Sabadell ont continué de corriger. L’indice Euro Stoxx a certes terminé au-dessus de ses plus bas en séance, après des déclarations rassurantes des autorités, mais a perdu 1,8% vendredi. L’indice sectoriel EuroStoxx 50 Banks a cédé 4,6%.

Ce mouvement peut s’expliquer par la volonté de certains opérateurs de marché de se délester de leur exposition aux banques avant le week-end ou tout du moins de les protéger via des contrats dérivés. Un «effet vendredi» qui s’est vu au cours des trois dernières semaines depuis l’annonce des difficultés de Silicon Valley Bank aux Etats-Unis. Mais pourquoi Deutsche Bank davantage qu’une autre banque ?

«Le marché continue d’opérer son propre stress test des institutions bancaires qui lui semblent présenter des signes de faiblesse», relève Florian Ielpo, responsable macro au sein du multi-asset chez Lombard Odier AM. Deutsche Bank avait déjà lourdement chuté depuis le début de la crise des banques régionales américaines, au même titre que la Société Générale ou Banco Sabadell, avec des replis de 20% sur la période. «Le marché appuie sur les suspects habituels comme Deutsche Bank mais aussi Commerzbank, les banques périphériques en général et Société la Générale», ajoute Elisa Belgacem, stratégiste crédit chez Generali Insurance AM (GIAM), pour qui rien de nouveau ne justifiait la chute de la première banque allemande.

L’action Deutsche Bank a perdu vendredi 8,5%, après avoir dévissé de 15% en séance, sa plus forte baisse depuis mars 2020. De nombreux hedge funds auraient constitué depuis deux semaines d’importantes positions vendeuses sur les acteurs bancaires considérés comme les plus fragiles.

Une chute des actions accompagnée par celle des obligations de la banque, notamment les titres les plus subordonnés, et d’une nouvelle envolée des spreads des CDS (credit default swaps), des instruments permettant de se couvrir contre le défaut d’un émetteur. Le CDS à 5 ans de la dette senior a atteint 300 points de base (pb) et dépassé 550 pb pour les dettes subordonnées. «C’est tout le risque Deutsche Bank qui plonge : actions, CDS seniors, CDS subordonnées, AT1 et Tier 2», observe la stratégiste de GIAM. «Il est toujours difficile de rationaliser de tels mouvements, mais même si le cas de Deutsche Bank est très différent de celui de Credit Suisse, la réaction immédiate aux événements récents a souvent été : ‘qu’en est-il de Deutsche Bank’?», ajoute Jérôme Legras, responsable de la recherche chez Axiom AI, pour qui la banque allemande est rentable, a une bonne dynamique et de solides paramètres de capital et de liquidité.

Interventions politiques

Olaf Scholz, le chancelier allemand, a affirmé vendredi à Bruxelles lors d’une conférence de presse en marge d’un sommet européen qu’il n’y avait aucune inquiétude concernant Deutsche Bank. La banque «a fondamentalement modernisé et réorganisé son modèle économique et est très rentable, a-t-il déclaré. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de quoi que ce soit.» Depuis une semaine, les décideurs politiques (gouvernements, banquiers centraux et régulateurs) ont souligné que la tourmente est différente de la crise financière de 2008, car les banques sont mieux capitalisées et les fonds plus facilement disponibles.

«Les investisseurs semblent plus inquiets de la gouvernance de la banque que de ses fondamentaux actuels qui sont perçus comme solides», note Elisa Belgacem. Des fondamentaux solides relevés par plusieurs analystes dont ceux de Citigroup qui ont décrit ce mouvement comme irrationnel, soulignant également que la banque est profitable et a les positions en capital et en liquidités robustes.

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L’annonce vendredi matin d’une offre d’achat sur des obligations Tier 2 de la banque pourrait être à l’origine de la forte sanction du marché. «Généralement le marché voit dans ces transactions une bonne nouvelle, du point de vue de la rentabilité et du message envoyé par la Banque centrale européenne qui autorise l’opération, indique Jérôme Legras. Mais dans des marchés volatils comme actuellement, cela peut être vu comme le désir de Deutsche Bank de montrer que sa situation est solide… alors qu’elle ne le serait pas.» Le marché y est d’autant plus sensible qu’avant son sauvetage Credit Suisse avait également lancé une offre de rachat d’obligations dans le but de rassurer le marché.

L’exposition de la banque allemande au marché immobilier américain commercial inquiète également les investisseurs, de même que son exposition au marché des dérivés. «Les inquiétudes que nous entendons au sujet de ses expositions à l’immobilier commercial américain et de son important portefeuille de produits dérivés sont d’une part bien connues et tout simplement pas très effrayantes, souligne Stuart Graham, analyste chez Autonomous Research. Nous n’avons aucune inquiétude quant à la viabilité ou aux actifs de Deutsche Bank. Pour être clair, ce n’est PAS le prochain Credit Suisse.» L’analyste indique que si l’exposition à l’immobilier de 17 milliards de dollars est l’une des plus élevées parmi les banques européennes, elle est gérable à 35% des fonds propres durs CET. Le portefeuille de dérivés de 42.500 milliards de dollars de notionnel comporte 13.100 milliards non compensés, ce qui est moindre qu’en 2007 et guère différent des autres banques: le gros est dont traité dans des chambres de compensation centralisées qui assument le risque de contrepartie.

Le plus grand risque, selon les analystes de Citi, est que les inquiétudes ne provoquent une panique et se transforment en prophétie autoréalisatrice avec une perte de confiance et une fuite des dépôts. D’où l’urgence des autorités à rassurer.

La BaFin, le régulateur allemand, avait souligné la semaine passée le danger de la contagion via la psychologie des marchés alors qu’il n’existe pas de risque direct des banques européennes aux récents événements aux Etats-Unis et en Suisse, selon elle. Certains opérateurs espéraient vendredi que la BCE annonce un quatrième TLTRO et réitère la flexibilité des réinvestissements du PEPP pouvant aider les banques sur la partie des obligations sécurisées (covered bonds). Histoire de rassurer avec des actes.

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