Contrôle des subventions étrangères : le casse-tête de Bruxelles

Conclue lundi, la consultation sur les modalités du futur contrôle par l’UE des subventions étrangères dans le marché unique a donné lieu à une pluie de critiques de la part d’entreprises européennes s’inquiétant d’une «charge administrative excessive».
A Bruxelles
Margrethe Vestager
Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence.  -  Bloomberg

Sur le papier, le principe du Règlement sur les subventions étrangères adopté en juillet 2022 par l’UE est limpide. «L’objectif de cet instrument est de corriger un déséquilibre : alors que nous contrôlons les aides d’Etat au sein de l’UE, les subventions accordées par des Etats tiers, non européens, à des entreprises actives dans l’UE ne sont soumises à aucun contrôle. Il s’agit donc de rétablir une concurrence équitable entre les entreprises soumises à l’encadrement européen des aides d’Etat et celles qui ne le sont pas», résumait Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, lundi à Bruxelles, lors d’une table ronde organisée par la revue Concurrences.

Mais la traduction de ce principe dans la réalité, qui doit débuter le 12 juillet prochain, s’annonce autrement plus complexe. Le résultat de la consultation clôturée lundi sur l’ébauche de «Règlement d’application» présenté par la Commission - document prévoyant les modalités de cette mise en œuvre - donne une idée du défi auquel Bruxelles fait face. Cette consultation a notamment donné lieu à une pluie de critiques, parfois véhémentes, de la part des entreprises européennes que l’instrument est justement censé protéger. A l’instar du lobby patronal Business Europe, bon nombre des commentaires adressés à la Commission s’inquiètent de la charge administrative, jugée excessive, que le règlement ferait peser sur les sociétés de l’UE. Dans le cadre d’opérations de fusions-acquisitions et de passations de marchés publics, celles-ci seront en effet tenues de notifier, à compter d’octobre 2023, les contributions financières issues d’Etats tiers dont elles ont bénéficié, lorsque certains seuils ont été dépassés.

Premier motif de ces récriminations : le flou entretenu jusqu’ici par Bruxelles sur les contours du concept de «contribution financière» de nature à fausser la concurrence sur le marché intérieur, lequel pourrait par exemple recouvrir les prêts, les garanties de prêts, les annulations ou les rééchelonnements de dettes, ou encore les incitations et les exonérations fiscales. «Le champ de cette expression n’est toujours pas spécifié d’une manière qui soit gérable pour les entreprises, ce qui crée pour celles-ci des incertitudes majeures», estime Business Europe.

Gros poissons

Deuxième sujet de doléances : certains pans du projet en l’état obligeraient les entreprises à effectuer un véritable travail de fourmi afin de débusquer des transactions de faibles montants. En particulier, «les règles procédurales concernant les appels d’offres pour un marché public contraindraient les entreprises qui affirment n’avoir reçu aucune contribution financière notifiable à soumettre une déclaration comportant la liste de toutes les contributions financières étrangères qu’elles ont reçues, explique Business Europe. En plus de créer une charge administrative excessive pour les entreprises, cela risque également de submerger la Commission européenne d’informations sur des millions de transactions mineures parmi lesquelles il sera difficile de repérer celles qui sont distorsives».

Plusieurs organisations, dont EuroCommerce, l’association des distributeurs européens, ou la Computer & Communications Industry Association (CCIA), qui représente les intérêts des entreprises technologiques, préconisent dès lors de «généraliser» les seuils déjà prévus dans la partie règlement encadrant les opérations de concentration : au moins 200.000 d’euros par contribution financière ou une somme de toutes les contributions issues d’état tiers d’au moins 4 millions d’euros.

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Lundi, Margrethe Vestager s’est voulue rassurante face à ces différentes inquiétudes. «Nous publierons le règlement d’application à temps avec pour priorité de réduire au maximum les formalités administratives et de rationaliser les procédures. Nous avons bien entendu les appels à clarifier certains concepts. Et je tiens à souligner que nous avons l’intention de nous concentrer sur les distorsions majeures : ce règlement est un filet destiné à attraper les gros poissons. Et une façon d’y parvenir est bien sûr de se concentrer sur les grosses transactions», a assuré la patronne de l’antitrust de l’UE.

Certaines interrogations fondamentales apparaissent néanmoins difficiles à lever à ce stade. Comment, par exemple, les entreprises pourront-elles notifier les contributions provenant «d’entités privées dont les actions peuvent être attribuées à un pays tiers», comme le requiert le règlement, quand précisément ces pays tiers cherchent à dissimuler leur implication dans ladite entité ? Bien sûr, dans ce type de scénario l’exécutif communautaire aura la possibilité d’ouvrir des enquêtes de sa propre initiative. Mais dispose-t-il des compétences et des ressources nécessaires pour le faire dans des délais raisonnables sans, le cas échéant, bloquer outre mesure les opérations de concentration ou l’attribution de marchés publics ?

Incertitude autour du test de «mise en balance»

Autre obstacle majeur, avant de pouvoir sévir - à travers l’imposition de mesures réparatrices comme l’obligation de dissoudre la concentration, ou le remboursement de la subvention - Bruxelles devra «prouver l’effet de distorsion sur le marché unique», a rappelé Margrethe Vestager lundi. La tâche sera parfois délicate : «Une subvention implique un avantage. Or il n’y a pas d’avantage si l’entité publique agit comme l’aurait fait un investisseur privé sous des conditions de marché données», pose Alain Alexis, consultant senior chez Avisa Partners.

Enfin, l’incertitude est totale sur les modalités du test par lequel la Commission devra «mettre en balance» les effets négatifs de ladite subvention avec ses éventuels effets positifs, «sur l’activité économique» en question, et «au regard des objectifs politiques» de l’Union. «Ce sont en partie des territoires nouveaux pour nous. Qu’impliquera ce test ? Comment allons-nous déterminer l’existence d’une distorsion ? Les réponses à certaines questions cruciales ne peuvent pas être données aujourd’hui mais viendront nécessairement de la pratique», a conclu Margrethe Vestager.

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