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Comment survivre dans un environnement durablement inflationniste ?


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Vivien Levy-Garboua, professeur associé à Sciences Po
Le Fonds monétaire international (FMI) vient de rehausser sensiblement ses prévisions de croissance économique. Il n’y aura pas de récession, et comme l’inflation paraît refluer, tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas si vite. Si l’on regarde la situation des pays développés, trois déséquilibres, potentiellement inflationnistes, subsistent :
1. Il y a pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, avec plus d’un million d’emplois à la recherche de titulaires en France selon Pôle emploi, pas seulement dans la restauration et la santé mais aussi dans l’industrie, le transport et les métiers de vente.
2. Il y a également des signes d’insuffisance de l’offre de produits dans de nombreux domaines. Si, dans les enquêtes de conjoncture récentes de l’Insee, les obstacles liés au manque de personnel sont à un plus haut historique depuis trente ans, ceux relatifs à une insuffisance de la demande sont à leur plus bas : 15 % des entreprises en signalent, contre une moyenne de plus de 40 % sur longue période.
3. Enfin, il y a abondance d’épargne et thésaurisation. Ce fut le cas pendant les périodes de confinement, en large part à cause du maintien des revenus face à un rationnement des biens non essentiels. Mais c’est aussi le cas du fait de la politique du « quoi qu’il en coûte » et de la distribution de chèques pour amortir les différentes conséquences de la guerre en Ukraine. Le taux d’épargne des ménages est aujourd’hui au-dessus de ce qu’il était avant la crise du Covid de 2020.
Mis bout à bout, ces déséquilibres peuvent être interprétés dans les pas de deux grands économistes français, Jean-Pascal Bénassy et Edmond Malinvaud, et de quelques autres. Il y a cinquante ans, ils ouvraient un chemin théorique nouveau en proposant un modèle où, du fait de rigidités des prix, des situations de déséquilibre se produisent et perdurent, différentes selon la configuration de ces prix. Ils mettaient en évidence trois situations, dont deux (le chômage classique et le chômage keynésien) ont focalisé l’attention. Mais c’est de la troisième qu’il est question ici, celle de l’inflation réprimée.
En se concentrant sur trois marchés – des biens, du travail et de la monnaie –, l’inflation réprimée apparaît lorsqu’il y a un excès de la demande sur l’offre de travail et un excès de la demande de biens. Au salaire en vigueur, les salariés veulent plus de loisirs et moins de travail que ne le souhaiteraient les entreprises, et, faute de main-d’œuvre, l’offre de biens qui en résulte est inférieure à la demande. L’excès de demande sur ces deux marchés a comme contrepartie comptable un excès d’offre de monnaie et une épargne forcée. N’est-ce pas la situation que nous observons ? Faisons l’hypothèse que ce scénario est celui que nous vivons aujourd’hui : il laisse augurer de sérieuses difficultés de politique économique.
Le contexte est celui « de guerres » : contre la pandémie, contre Poutine, contre le réchauffement climatique, contre l’islam et ses provocations. Avec comme conséquence, des besoins. Jamais l’aspiration à la dépense publique – et, il faut le dire, pour de bonnes raisons – n’a été aussi forte. La perspective d’un retour à une plus grande orthodoxie budgétaire paraît donc bien éloignée.
Normalement, une situation inflationniste appelle une politique économique restrictive. Si une réduction de la dépense publique est improbable, si une hausse des impôts n’est pas non plus envisageable, qu’il faille préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, reste la politique monétaire. En Europe, la hausse des taux sera limitée : elle serait insupportable pour les Etats et intenable compte tenu des disparités fortes au sein de l’Union monétaire. On risque donc de rester dans la configuration de l’inflation réprimée et de devoir gérer l’économie dans ce cadre au cours des prochaines années.
Nos gouvernements se tourneront alors vers les remèdes pratiqués après la guerre quand il fallait réduire la dette, éliminer l’inflation et reconstruire des pays dévastés : une politique de taux bas pour aider les Etats et « euthanasier les rentiers », un « circuit du Trésor » pour acheminer l’épargne vers les priorités nationales, une économie d’endettement bancaire pour pallier l’insuffisance de fonds propres du secteur privé, telle a été la politique financière retenue alors. Aujourd’hui, les marchés occupent une grande place et semblent indéboulonnables, les fonds rivalisent avec les banques, et souvent les dépassent. Il va falloir en tenir compte, tout en maintenant les taux d’intérêt aussi bas que possible. L’objectif sera de moins dépendre de créanciers étrangers, d’augmenter l’épargne nationale et de l’orienter vers les besoins prioritaires en usant d’incitations fiscales et des véhicules disponibles (assurance-vie, livrets, PEA, plans d’épargne retraite).
Cette politique financière sera le complément d’une politique des prix et des revenus : le contrôle de l’indice, en bloquant des prix à bon escient, en évitant une indexation des salaires, grâce à des dispositifs audacieux de dividende salarial et d’intéressement. Des formes subtiles de protectionnisme figureront dans cette panoplie.
Ces évolutions, sorte de pis-aller, ne constituent pas une politique efficace et cohérente, ou même souhaitable.
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