Bruxelles joue la montre pour réviser les règles budgétaires

La Commission européenne a réussi à fédérer autour de son projet de révision du cadre budgétaire commun, mais devra sortir de l’ambiguïté qu’elle laisse planer sur certains points clé.
Mathieu Solal, à Bruxelles
Paolo GENTILONI Commissaire Economie - Paschal DONOHOE Président Eurogroupe - Pierre GRAMEGNA DG ESM MES photo EU
Eurogroupe du 5 décembre 2022 : Paolo Gentiloni, Commissaire à l’Economie, Paschal Donohoe, Président de l’Eurogroupe, Pierre Gramegna DG du MES.  -  © European Union

Les ministres des Finances de l’UE ont procédé lundi à Bruxelles à une première discussion sur l’ébauche de proposition du nouveau cadre de gouvernance budgétaire commun, soumise début novembre par la Commission européenne. Le dialogue, qui doit continuer ce mardi, se fait pour l’heure dans un climat serein, aucun Etat membre n’ayant marqué d’opposition de principe. Bruxelles lancera une proposition législative formelle dans les prochains mois.

«C’est une première discussion importante. Nous savons que nous avons des points de vue différents, mais nous savons aussi que nous avons quelques mois pour trouver un accord» a lancé lundi le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni, à son arrivée à l’Eurogroupe. L’Italien, qui ambitionne de «mettre la stabilité et la croissance au même niveau», affiche ainsi une attitude à la fois déterminée et sereine, dans la droite ligne de l’approche lente choisie par la Commission européenne sur ce dossier épineux.

Processus de longue haleine

Après avoir mené des consultations auprès des Etats membres, des acteurs économiques principaux, et des think tanks pendant les premiers mois de l’année 2022, Bruxelles a ainsi soumis une première ébauche de réforme, sous la forme d’une communication de 28 pages, le 9 novembre. Celle-ci table sur une plus grande flexibilité des trajectoires budgétaires, une appropriation de ces trajectoires par les Etats membres via la négociation de plans de moyen terme avec la Commission, et une mise en oeuvre plus exigeante, avec des sanctions plus réalistes en cas d’écart.

La Commission va à présent suivre d’un oeil attentif les débats qui se tiendront entre les représentants des Etats membres, avant de lancer une proposition formelle, qui sera à son tour débattue par les Vingt-Sept mais aussi le Parlement européen, afin qu’un accord final soit trouvé. Un processus de longue haleine en partie contraint par les évènements et en partie choisi par l’exécutif européen. «La succession de crises a beaucoup retardé cette révision du cadre budgétaire, qui avait été enclenchée une première fois en février 2020, juste avant la pandémie, explique Andreas Eisl, chercheur de l’Institut Jacques Delors. Mais le retard pris s’explique aussi par la volonté de la Commission européenne de prendre le temps d’écouter tout le monde, pour éviter de braquer les Etats membres sur un sujet aussi sensible ».

De ce point de vue, le coup semble pour l’heure réussi. Aucun Etat membre n’a ainsi marqué d’opposition de principe à ce que Bruxelles a mis sur la table. Mieux, l’Allemagne et la France ont assuré vouloir «travailler ensemble sur la base de la communication de la Commission européenne sur la révision de la gouvernance économique», dans une déclaration commune signée par les ministres des Finances Bruno Le Maire et Christian Lindner. Autres fervents supporters de l’orthodoxie budgétaire des pays du sud, les Pays-Bas, qui ont signé avec l’Espagne une proposition commune de réforme proche de celle mise sur la table par la Commission, semblent aussi soutenir l’approche retenue par Bruxelles.

Encourager l’investissement

Les retours du secteur économique ont aussi de quoi mettre du baume au cœur aux fonctionnaires européens. Le Medef et ses équivalents italien et allemand ont ainsi fermement soutenu, dans une déclaration commune le 2 décembre, «la révision de la gouvernance économique qui encourage un investissement public plus élevé».

Si la Commission affirme en effet vouloir soutenir les investissements, verts notamment, sa manière d’y parvenir reste néanmoins assez floue, pour l’heure. La déclaration des trois syndicats patronaux illustre ainsi parfaitement l’angle mort de l’approche choisie par Bruxelles: l’ambiguïté. La manière dont coexisteront des objectifs de dette et de déficit n’excédant pas respectivement les 60% et 3% du PIB national, avec une cible de soutenabilité budgétaire à moyen-terme, le tout concrétisé par des plans d’ajustement sur quatre ans ou plus, négociés entre les Etats membres, reste aussi assez flou pour que chacun puisse trouver midi à sa porte… pour l’instant.

« La proposition n’est pas claire sur ce qui doit être mis en place précisément pendant ces quatre ans : la Commission met en avant une trajectoire de référence formulée en terme de dépenses primaires nettes. Ce à quoi cet ajustement ressemblerait doit être mieux défini dans l’accord final », estimait ainsi Grégory Claeys, chercheur du think tank Bruegel, début novembre. De même, le problème démocratique causé par ces trajectoires négociées sur quatre ans et donc a priori imperméable aux alternances politiques, devra bien être traité à un moment ou à un autre.

Bruxelles devra donc encore rivaliser d’habileté pour éviter de sortir de l’ambiguïté à ses dépens. L’équilibre fructueux entre le vice-président exécutif Valdis Dombrovskis, conservateur letton très attaché à l’équilibre budgétaire, et le commissaire social-démocrate italien à l’Economie Paolo Gentiloni, a pour l’instant réussi un sans-faute.

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