
TRADING - La SEC vise une remise à plat

Après avoir formulé ses propositions sur la divulgation des ventes à découvert en conséquence des épisodes GameStop et Archegos, la Securities and Exchange Commission (SEC) voudrait imposer cet automne un même niveau de règles entre tous les types de plateformes de négociation et d’intermédiaires, notamment concernant les exécutions des particuliers. C’est ce qu’a présenté son président Gary Gensler, en plusieurs occasions, après une conférence du 8 juin. Avec pour mot d’ordre d’améliorer le fonctionnement des marchés boursiers aux Etats-Unis, l’idée est de remettre à plat les conditions d’une bonne concurrence et d’une meilleure participation à la formation des prix.
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La crise du Covid a accéléré le succès de courtiers comme Robinhood ou TD Ameritrade, qui ont pu proposer des services retail gratuits ou pour une commission modique. Le modèle consiste à envoyer les ordres reçus d’investisseurs individuels vers des teneurs de marché (market-makers), « grossistes » ou « wholesalers » qui rémunèrent les courtiers pour cette liquidité. Le total des dépenses a atteint 2,6 milliards de dollars en 2020 et 3,8 milliards en 2021. Les régulateurs ont dénoncé cette pratique de « paiement pour flux d’ordres » (PFOF), potentielle source de conflits d’intérêts si le courtier intermédiaire en tire des bénéfices – ce qui est le cas outre-Atlantique. Moins précis dans leurs ordres – plus souvent sans limite de prix ou de temps – et surtout moins informés, les particuliers ne voient pas les coûts implicites liés à leurs flux. Ceux-ci profitent aux « market-makers » sans que ces derniers – qui utilisent le trading haute fréquence (HFT) pour arbitrer cette liquidité – ne se confrontent au reste du marché. Les particuliers ne savent donc pas si leur ordre n’aurait pas été mieux traité ailleurs ou autrement.
Aux Etats-Unis, la règle entre les marchés transparents (Nyse, Nasdaq…) organisés autour d’une base de données « pre-trade » commune est de renvoyer l’exécution de l’ordre vers celui d’entre eux qui propose le meilleur prix au niveau national (NBBO). Mais l’essor du hors marché (« wholesalers », « dark pools ») et les progrès technologiques ont permis aux transactions « hors Bourses » et aux exemptions (ordres au-dessous de 100 actions) de passer en quelques années de 15 %-25 % à près de 50 % des échanges, a rappelé Gary Gensler. Les teneurs de marché comme Citadel Securities, qui avait dénoncé le PFOF en 2004 avant de s’y résoudre, Susquehanna ou Virtu Financial affirment proposer un prix qui s’appuie sur le NBBO même s’ils ne participent pas à sa formation. Et les courtiers retail avancent, pour se justifier, des coûts explicites faibles ou nuls pour les particuliers, sans démontrer de bienfaits sur les coûts implicites.
L’objectif affiché par le régulateur américain est donc que les particuliers puissent interagir avec les ordres institutionnels et être sûrs d’obtenir un prix optimal, au-delà du NBBO dont le calcul fait par ailleurs l’objet de critiques. Mais ses propositions pourraient, si elles sont adoptées, transformer profondément la structure des négociations sur les actions et instruments non dérivés, affectant les grands intermédiaires qui traitent des ordres retail.
Une première idée serait d’imposer une mise en concurrence « ordre par ordre » pour soumettre davantage de flux retail aux carnets d’ordres transparents, que ce soit « par le biais d’enchères ouvertes et transparentes ou par d’autres moyens, à moins que les investisseurs n’obtiennent des prix médians ou meilleurs », a indiqué Gary Gensler. Le format n’est pas encore clair. Le plus logique serait de flécher l’ordre en provenance des courtiers retail vers un système d’enchères où les « market-makers » et les Bourses se feraient directement concurrence pour exécuter, a détaillé le directeur général d’Apex, Bill Capuzzi, évoquant sa technologie – déjà prête – et les bénéfices pour les particuliers.
PFOF dans le viseur
Les professionnels, critiques sur le modèle d’enchères utilisé sur les options (lire ‘La Parole à...’), estiment qu’une approche « ordre par ordre » risque de réduire la capacité des courtiers à exiger la meilleure exécution si les « grossistes » restent impliqués. Elle pourrait aussi aboutir à des prix moins avantageux sur les ordres moins liquides jusqu’à présent « packagés » si les « grossistes » sont exclus. « La SEC devrait engager tous les acteurs du marché et s’assurer d’une analyse économique complète avant de proposer des changements importants qui nuiraient à la qualité d’exécution des investisseurs particuliers et réduirait leur accès aux marchés », note Doug Cifu, président-directeur général de Virtu Financial. Il estime le coût total à 13 milliards de dollars par an, dont un tiers de coûts implicites et deux tiers liés à l’absence de commissions.
Le régulateur américain estime que le PFOF peut fausser les décisions d’acheminement des ordres et nourrir les conflits d’intérêts. A défaut de l’interdire comme au Royaume-Uni, au Canada, en Australie et potentiellement dans l’Union européenne (UE) dans le cadre de la révision de MIF 2, la SEC pourrait veiller à divulguer tous les frais (et rabais) proposés aux intermédiaires. Comme le président du régulateur des brokers (Finra) Robert Cook, les associations de consommateurs doutent que cette transparence soit utile aux particuliers, et elles sont plutôt favorables à une interdiction, qui changerait cependant le modèle des intermédiaires et pourrait donc renchérir la tenue de marché.
Les autres propositions du régulateur porteront notamment sur une réforme des règles de meilleure exécution (révision pour les courtiers retail, définition pour les institutionnels), et sur une homogénéisation des incréments minimums entre deux prix (« tick size », « pas de cotation »). Ils ne sont pas les mêmes entre les Bourses et les autres plateformes aux Etats-Unis.
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