
Traders, la tentation des 35 heures

Améliorer la qualité de vie au travail des traders. Le sujet peut prêter à sourire. Pourtant, il figure au centre d’une campagne de lobbying menée depuis plusieurs mois par l’Association des marchés financiers en Europe (AFME) et l’Investment Association (IA) en faveur de la réduction des horaires de cotation des Bourses européennes, « dans le but d’améliorer la culture, la diversité et le bien-être dans les salles de marché, et de créer des marchés plus efficaces », ont déclaré en novembre dernier l’AFME et l’IA dans un communiqué commun. « Les heures d’ouverture actuelles des principales plates-formes de négociation en Europe sont parmi les plus longues au monde, 8 heures et demie, par rapport à d’autres marchés mondiaux, tels que les Etats-Unis (6 heures et demie) et l’Asie (6 heures), les traders devant commencer leur journée bien avant l’ouverture des marchés, ont-elles souligné. Cette culture des longues heures a un impact sur la santé mentale et le bien-être des traders. Elle a également été identifiée comme un obstacle majeur au recrutement et à la rétention de talents plus divers, en particulier ceux ayant des engagements familiaux. Il est à espérer que la proposition d’une journée raccourcie puisse également avoir un impact sur la culture de travail en améliorant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et en fournissant une étape nécessaire vers la création de salles de marché plus diverses et inclusives. »
Des clients sceptiques
Si ce discours inédit a, dans un premier temps, surpris les professionnels des marchés financiers, il n’a pas tardé à capter l’attention du London Stock Exchange (LSE) qui a lancé une consultation dès le 10 décembre sur les horaires d’ouverture de la Bourse de Londres (actuellement 8h-16h30). Cette consultation, qui a pris fin le 31 janvier, a été une nouvelle occasion pour l’AFME et l’IA de défendre leur proposition d’une journée de cotation ramenée à 9h-16h, ou 9h30-16h30. « Il est grand temps que nous mettions fin à la culture des longues heures, qui nuit à la diversité et à la santé mentale et est inefficace pour les marchés. La Bourse de Londres a désormais la possibilité de montrer la voie. Nous chercherons des échanges à travers l’Europe pour emboîter le pas et engager leurs membres pour explorer les prochaines étapes (…) », a affirmé Galina Dimitrova, directrice des marchés de capitaux à l’IA. Justement, Euronext va aussi s’emparer du sujet. « Nous prévoyons de lancer une consultation sur les horaires de cotation d’Euronext le mois prochain, dévoile Simon Gallagher, responsable des activités de marchés actions et dérivés d’Euronext. Elle devrait s’achever début avril et elle sera rendue publique. Elle sera menée auprès de nos clients directs et nos intermédiaires car un éventuel changement d’horaires aurait un impact sur toute la chaîne. Il nous semble pertinent de viser un périmètre assez large qui inclurait aussi des acteurs en amont comme des gérants d’actifs, et en aval comme LCH SA et Euroclear par exemple. » Les résultats de la consultation britannique seront scrutés avec attention par l’opérateur boursier européen. « Nous allons regarder de près les résultats de la consultation menée par le LSE. Il est important de mener cette réflexion de concert avec les autres Bourses européennes », précise Simon Gallagher qui demeure prudent sur l’idée (défendue par l’AFME et l’IA) qu’une séance plus courte serait meilleure pour la liquidité des marchés. « Pour le moment, l’argument lié à l’amélioration de la qualité de marché avec des horaires de cotation plus courts semble laisser nos clients sceptiques. Si l’on souhaitait réellement améliorer la liquidité, ce n’est pas sûr qu’1 heure ou 1 heure 30 fasse la différence, estime le responsable d’Euronext. En outre, nos premiers échanges avec les courtiers ‘retail’ vont dans le sens opposé : les clients particuliers veulent traiter le soir quand ils rentrent chez eux. Donc pour les particuliers, cela réduirait leur fenêtre de trading. De fait, pour certains produits comme les warrants et certificats, nous envisageons d’élargir la cotation à 22h. »
Une attractivité moindre
Chez les professionnels français, le sujet de l’amplitude horaire n’est pas vraiment un point de focalisation. « Contrairement à d’autres métiers en banque de financement et d’investissement (BFI), en salle de marché, à la clôture d’une journée de cotation (17h30 pour les Bourses du continent), les ‘books’ de trading se ferment et les traders n’ont plus qu’à effectuer l’état des lieux de leurs risques. Je ne pense pas que l’amplitude des horaires dans les métiers de marché soit aussi contraignante que dans le M&A (fusions-acquisitions, NDLR) où les banquiers doivent souvent travailler les soirs et les week-ends », considère Bruno Chauvière, HR business partner chez BNP Paribas CIB. « Je doute que les horaires de cotation soient un sujet de préoccupation chez les opérateurs de marché. Il y a d’autres métiers en BFI où les horaires sont nettement plus contraignants, abonde Laetitia Emile, opératrice de marché vente chez BNP Paribas CIB à Paris. Ma journée de travail commence entre 8h15 et 8h30, elle se termine à 18h-18h30 et je ne ramène pas de travail à la maison, je peux profiter de ma famille. Mon métier est compatible avec une vie familiale. J’ai quatre enfants et j’ai toujours eu le soutien de mon management durant ma carrière. » Cependant, comme le soulignent l’AFME et l’IA, les métiers d’opérateur de marché (structureur, vendeur, trader) perdent de leur lustre au moment où ils le plus besoin de recruter des profils pointus issus d’écoles d’ingénieurs. « A l’Ecole polytechnique, l’attractivité des métiers de la finance a considérablement baissé depuis trois ans. Nos jeunes diplômés veulent plutôt rejoindre des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR), notamment en raison de l’environnement de travail qui leur plaît davantage que celui d’une grande banque », constate Nicolas Mottis, professeur à l’X. « On voit bien que certains jeunes diplômés sont aujourd’hui plus attirés par des start-up, des fintech, de l’entrepreneuriat…, relève également Daniel Haguet, professeur de finance à l’Edhec. Parallèlement, les signaux envoyés par les banques d’investissement ne sont pas très positifs : réduction d’effectifs, développement de la finance algorithmique… » Jacques Topiol, responsable mondial du trading inflation et obligations souveraines européennes chez Crédit Agricole CIB où il exerce depuis 15 ans, observe, lui aussi, une perte d’intérêt chez les jeunes générations. « Les métiers de marché semblent moins attirer les jeunes diplômés. Les années post-crise été difficiles pour ces activités, avec de nouveaux concurrents de la tech qui sont venus recruter ces profils de mathématiciens chevronnés, dit le professionnel de 37 ans. Certains traders seniors mais aussi juniors qui évoluaient dans un environnement très réglementé en banque d’investissement avec un certain nombre de contraintes au quotidien se sont orientés vers des hedge funds. La rétention des traders est devenue un sujet pour les banques d’investissement. »
Enjeu de mixité
Par ailleurs, à l’heure où les critères ESG comme la mixité suscitent de plus en plus d’intérêt chez les investisseurs, la sous-représentation des femmes dans les activités de marché paraît de moins en moins en adéquation avec la finance d’aujourd’hui, plus ancrée sur ces questions sociales. « L’industrie perd trop de personnel, souvent des femmes en particulier, en raison du défi de concilier les responsabilités de salarié-aidant (que ce soit pour les enfants ou les parents âgés) avec les horaires de travail longs et rigides qui découlent en partie des horaires des Bourses actuelles », écrivent l’AFME et l’IA dans leur document de réponse à la consultation du LSE. Les banques ne communiquent pas de chiffres sur la mixité dans leurs salles de marché. Chez BNP Paribas Global Markets (activités de marchés de capitaux), les femmes représentent 26 % dans le monde (chez CIB à l’échelle mondiale, elles sont 41 %). « Le fait d’être une femme n’est pas un obstacle pour travailler dans une salle de marché !, clame Laetitia Emile. Je pense que ces métiers sont méconnus et n’ont pas toujours une très bonne réputation. Pourtant, l’atmosphère du ‘trading floor’ a changé, c’est moins bruyant, les professionnels sont aussi beaucoup plus régulés, les métiers se sont digitalisés… Dans la vente, les équipes sont souvent mixtes. Nos clients ont eux-mêmes des équipes mixtes, donc cela nous permet de mieux communiquer et, en interne, pour la prise de décision, c’est aussi un atout. Chez BNP Paribas CIB, nous essayons d’attirer plus de candidatures féminines pour les postes en salle de marché. En ce moment, j’ai autour de moi plus de ‘graduates’ femmes que d’hommes. Mais il y a surtout un enjeu de rétention, il faut accompagner les jeunes femmes sur la durée. »

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