
Paris ouvre la porte aux droits de vote multiples

Révolution en perspective ! Le Haut comité juridique de la Place de Paris (HCJP) juge « opportun » d’introduire dans le droit français des sociétés cotées la possibilité de l’attribution de droits de vote multiples à certaines actions. Cette possibilité ne serait ouverte qu’au moment de l’introduction en Bourse. Ce rapport, dévoilé lundi, invoque notamment l’évolution de la pratique des autres places financières pour justifier ce changement.
Pourtant, la France est particulièrement attachée à la règle « une action, un vote », qui reste le principe. D’ailleurs, la loi Florange de 2014 instaurant un droit de vote double pour les actionnaires au nominatif de plus de deux ans avait été très critiquée et non suivie par de nombreuses entreprises. La loi Pacte de 2019 a aussi admis la création d’actions de préférence à droits de vote multiples, sauf pour les sociétés cotées.
Le conseiller en vote ISS « est inquiet de cette évolution et réaffirme son attachement au principe ‘one share, one vote’, rappelle Cédric Lavérie, responsable de la recherche sur la gouvernance française chez ISS. Aux Etats-Unis, nous recommandons de voter contre les administrateurs des sociétés ayant mis en place des droits de vote multiples, et pourrions adapter cette politique de vote pour l’Europe prochainement ». Proxinvest rappelle aussi que le principe « une action, une voix » « est indissociable du principe d'égalité des actionnaires, évite le maintien du contrôle de sociétés par certains actionnaires sans en payer le prix et permet la meilleure lisibilité du capital ».
Emetteurs et investisseurs en désaccord
Le rapport note la divergence d’analyses. D’une part, les investisseurs et les agences de conseil en vote sont attachés à la règle « une action, une voix », garantissant la corrélation entre risque économique et pouvoir dans la société. D’autant que les droits de vote multiples constituent une mesure anti-OPA et pourraient peser sur la valorisation de la société lors de son entrée en Bourse. D’autre part, les émetteurs, les banquiers d’affaires et Euronext Paris sont favorables à l’introduction d’une possibilité de droits de vote multiples, mettant en avant le risque de « déclassement » de la place de Paris si les droits de vote multiples restaient interdits. De plus, les sociétés, notamment technologiques, pourraient préférer se coter sur d’autres places.
Le rapport en conclut qu’une « position se dégage en faveur » des droits de vote multiples dans les sociétés cotées. Il met en avant le principe de liberté des parties, la concurrence entre places financières – argument « très fort » pour les auteurs du rapport – , la volonté de ne pas détourner de la cotation lesfondateurs de « licorne », et la mobilité accrue des sociétés dans le monde. Il est vrai que le groupe de travail ne compte qu’un représentant des investisseurs…
Le rapport « s’intéresse à juste titre à l’attractivité de la Place, mais probablement trop du côté des émetteurs, et pas assez de celui des investisseurs, regrette Cédric Lavérie. Toutefois, le législateur pourrait proposer des garde-fous solides, pour ne pas créer de trop grands déséquilibres entre les détenteurs de droits de vote multiples et les autres actionnaires ».
Des garde-fous à affiner
De fait, le rapport propose une série de garde-fous pour éviter des dérives. Notamment sur les bénéficiaires des droits de vote multiples, sur le nombre maximum de droits de vote multiples attachés à chaque action de préférence, sur la durée maximum des droits de vote multiples et sur les résolutions d’assemblée générale sur lesquelles les droits de vote multiples pourraient s’exercer. Pour le reste, l’émetteur aurait la liberté de fixer dans les statuts les droits attachés aux actions de préférence et les conditions d’extinction des droits de vote multiples. Le rapport demande une information claire et une justification de ce choix dans le prospectus d’introduction en Bourse. « Nous nous réjouissons que certaines mesures de protection des actionnaires, suggérées par Proxinvest lors de l’audition, aient été reprises, notamment que la possibilité de droits de vote multiples soit réservée aux introductions en Bourse et que les clauses d’extinction soient obligatoires, confie l’agence de conseil en vote. Espérons que toute éventuelle évolution législative limite à quelques années maximum leur durée de vie et rendent non cessibles ces droits qui devraient rester nominatifs ».
D’ores et déjà, le rapport lance des pistes. Ainsi, les porteurs d’actions de préférence devraient détenir au moins 20% du capital et exercer une fonction exécutive dans l’entreprise. Ils perdraient, sans compensation, leurs droits de vote multiple en quittant leurs fonctions ou en franchissant le seuil de détention à la baisse. Les droits de vote devraient être limités à 10 par action, et avoir un terme, par exemple sept ans, propose le rapport. Ces droits de vote s’exerceraient pour toutes les résolutions en assemblée générale, sauf pour le « say-on-pay », l’approbation des conventions réglementées et la nomination des commissaires aux comptes, propose le rapport. En cas d’offre publique (OPA), le rapport recommande de permettre l’utilisation de ces droits de vote multiples.
La réforme nécessiterait une modification du code de Commerce, pour lever l’interdiction faite aux sociétés cotées d’avoir un capital représenté par deux classes d’actions, des actions ordinaires et des actions de préférence à droits de vote multiples.
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