
Orange, le trublion déchu de la banque

«Orange Bank sera un succès – petit ou grand, nous ne le savons pas encore. Mais les banques jouent à se faire peur : nous n’allons pas mettre en péril les grands réseaux », prédisait dans nos colonnes Marc Rennard, directeur général adjoint d’Orange en charge de l’expérience client et du « mobile banking » le 9 novembre 2017.
L’opérateur de téléphonie avait lancé sept jours plus tôt sa banque mobile, Orange Bank, avec la volonté de ‘disrupter’ le marché. Un lancement alors redouté par les acteurs tricolores de la banque de détail. Bien que la probabilité pour un nouvel entrant de se tailler une part du gâteau face à des mastodontes comme les groupes mutualistes soit faible, Orange disposait d’une force de frappe inégalée de 21 millions de clients potentiels à équiper en services bancaires. Le groupe de télécoms promettait surtout un positionnement innovant à une clientèle en quête d’autonomie et de simplicité. «Face à l’ogre Orange, la plupart des banques ont déployé des plans défensifs, notamment en développant leur offre digitale», se remémore Amine Belaicha, managing director chez Alvarez&Marsal.
Mais la secousse attendue ne s’est pas produite. Depuis son lancement, Orange Bank a accumulé près de 950 millions d’euros de pertes nettes, dont 148 millions en 2022, révèle son dernier rapport financier publié en mai 2023. Dans le même temps, sa maison-mère n’a cessé de remettre au pot pour alimenter sa croissance. Orange a procédé à une nouvelle augmentation de capital de 148 millions d’euros, après avoir déjà injecté 847 millions d’euros. Ce qui a conduit la nouvelle directrice générale du groupe Christel Heydemann à vouloir arrêter les frais. «Pour des raisons économiques, la volonté d’Orange est de se recentrer sur son cœur de métier, les télécoms», explique le groupe à L’Agefi. «Créer une banque de plein exercice est difficile, du fait notamment de la gestion bilancielle. Les exigences de fonds propres et le coût du capital pèsent, d’autant plus lorsqu’on lance une banque qui n’est pas adossée à un grand établissement. Les banques systémiques ont leurs propres modèles d’allocation du capital plus favorables», souligne Amine Belaicha.
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Des investissements informatiques coûteux
Comme l’illustre la trajectoire de Boursorama en France, devenir rentable pour un pure player de la banque en ligne peut prendre plus d’une décennie. Orange, qui affirmait au lancement de sa banque mobile «assumer des pertes pendant les cinq premières années », n’a cessé de repousser l’atteinte de son point mort : en 2024, puis en 2026.
Face à la perspective de poursuivre des investissements coûteux, notamment informatiques, Orange a préféré arrêter les frais. Car, à son lancement dans la banque, le groupe a commis ce qui apparaît aujourd’hui comme une erreur stratégique. Plutôt que de se lancer ex nihilo – ce qui est aussi très coûteux –, il a préféré mettre la main sur une infrastructure existante, celle de Groupama Banque dont la conquête auprès de ses assurés n’a jamais dépassé 250.000 clients.
Acquérir une participation majoritaire (65%) dans Groupama Banque en 2016 lui permet alors de se doter d’une licence bancaire prête à l’emploi. Mais la plateforme de l’assureur mutualiste est vieillissante et nécessitera de nombreux investissements pour opérer la conquête des clients d’Orange. Groupama, en parallèle, dilue sa participation pour finalement céder sa part de 21,7% à Orange en 2021. L’assureur ne souhaite plus conserver le partenariat capitalistique, c’est-à-dire contribuer à éponger les pertes d’une banque qui ne sert qu’une petite partie de sa clientèle.
Le désengagement de Groupama précipite la recherche d’un repreneur bancaire auquel s’adosser, mais celle-ci patine pendant plus de deux ans. La mariée n’est-elle pas assez belle ? Les banques françaises regardent le dossier, mais elles disposent alors, pour la plupart, de leur propre banque en ligne. La reprise de l’actif, incluant le système d’information et les back-offices d’Orange Bank, ne les intéresse pas. Orange finit par conclure en juin 2023 un accord de référencement avec BNP Paribas, avec lequel elle est déjà partenaire dans l’assurance des téléphones mobiles via sa filiale Cardif. Un moyen pour la banque française de mettre la main, espère-t-elle, sur 500.000 clients d’Orange actifs dans la banque du quotidien en France afin de gonfler les rangs de sa marque digitale Hello Bank!.
Le piège du tout gratuit
Outre l’informatique et les coûts réglementaires, Orange Bank s’est heurtée au défi auquel font face tous les nouveaux entrants dans la banque : générer des revenus. Comme le remarque Grégory Guermonprez, le directeur de Fortuneo, pionnière de la banque en ligne, «tout dépend de ce que l’on entend par client. Certaines néo-banques ont beaucoup d’utilisateurs, mais peu de clients actifs. Le produit net bancaire qu’elles génèrent reste faible». Orange Bank a certes atteint son objectif de conquête – relativement modeste au regard des 21 millions de clients du groupe de télécoms – et revendique 2 millions de clients (dont 800.000 en France) en cinq ans seulement, contre dix dans le plan d’affaires initial. Mais ce qui devait être son principal atout séduction, c’est-à-dire la gratuité du compte, s’est avéré un véritable talon d’Achille. Le multiéquipement de la clientèle reste, en effet, une clef de la rentabilité comme l’illustrent les trajectoires de Fortuneo et de Boursorama.
Orange Bank, qui misait de prime abord sur des services de paiement associés à un compte courant et à une carte bancaire sans frais, l’a compris… Peut-être trop tard. La banque mobile a lancé en 2020 des offres payantes «Pack Premium» et «Carte Premium».
A lire aussi: Boursorama chasse les clients d’Orange Bank face à BNP Paribas
Pour inciter ses clients à les souscrire, Orange leur a donné la possibilité de bénéficier d’un avantage de cashback avec un remboursement à hauteur de 5 % de leurs achats et/ou de leurs factures internet ou mobile sur leur compte Orange Bank. «96 % des entrées en relation avec la banque s’effectuent désormais par une offre payante», notait le groupe dans son rapport intégré 2022. Orange Bank a encore diversifié son offre au moyen de partenariats, dans le crédit à la consommation avec Younited en 2021 et en s’offrant, en novembre 2020, la néobanque des professionnels Anytime. Une stratégie dont elle n’attendra pas de récolter les fruits. L’an prochain, l’ensemble de ses clients français se verront proposer une offre alternative auprès de BNP Paribas… ou rejoindront la concurrence. Boursorama leur a déjà fait un appel du pied.
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