
Les stagiaires en finance en proie à l’incertitude

« C’est vrai que pour l’instant, le coronavirus nous plonge dans l’inconnu, reconnaît Philippe Thomas, directeur scientifique des mastères spécialisés de l’ESCP. Les stages de la plupart de nos 90 étudiants du MS Finance devaient débuter le 15 avril. Si nous ne sommes pas confrontés à une annulation massive de la part des entreprises d’accueil, les étudiants doivent en revanche se préparer à voir leur stage reporté. » C’est ce que vient de faire par exemple LCL pour la vague de stagiaires en finance qui devait intégrer la banque début avril. « Nous les avons tous contactés pour leur annoncer que leur stage était décalé a minima au mois de mai », confirme Thierry Boissier, directeur du développement humain de LCL.
Du côté d’Audencia, où les 25 étudiants du mastère spécialisé finance, risque et contrôle sont censés démarrer leur stage fin avril, on envisage déjà toutes les éventualités. « Si certaines entreprises décident de placer nos stagiaires en télétravail, nous signerons, comme le recommande le ministère, des avenants à la convention qui permettront de le faire, assure Nicolas Arnaud, directeur des programmes de l’école. S’il y a des reports, nous nous adapterons en repoussant la date butoir de remise du rapport de stage qui est fixée chez nous habituellement à l’automne. » A l’emlyon, les 140 étudiants du Msc finance ont, eux, encore le temps de voir venir, leur stage devant débuter le 1er juillet (lire le Témoignage). Fin mars, 10 % de la promotion avait trouvé une entreprise d’accueil. « Tous les autres sont actuellement en phase de recherche. Nous constatons et anticipons que les procédures de sélection sont ralenties, mais pas stoppées », confie Marc Perennès, directeur de l’employabilité de l’école. C’est le cas par exemple chez LCL. « Comme nous n’avons pas prévu de réduire le nombre de stagiaires, nous continuons d’organiser des entretiens de recrutement à distance via des outils comme Skype, confirme Thierry Boissier. Les stagiaires en master finance constituent pour nous un canal de prérecrutement privilégié pour alimenter nos centres d’affaires entreprises et notre banque privée en chargés d’affaires adjoints, et nos agences en conseillers professionnels ou privés. »
Les écoles se préparent aussi au pire : voir certains étudiants rester sur le carreau, sans stage. « Dans ce cas, le premier scénario serait de les décaler sur l’année 2020-2021, explique Nicolas Arnaud. Nous envisageons aussi la possibilité de définir de nouvelles modalités d’évaluation des crédits ECTS (European credits transfer system, système européen de transfert de crédits, NDLR) qui permettraient de valider les diplômes de manière satisfaisante pour tout le monde, dans l’éventualité où les stages ne pourraient avoir lieu. Les semaines à venir nous permettront de prendre des décisions adaptées au contexte, au cas par cas, et en plein accord avec le ministère et la Conférence des grandes écoles (CGE). »
Rester optimiste
Axel Rhein, 24 ans, étudiant de la promotion du MS Finance de l’ESCP, n’envisage, lui, qu’un seul scénario : commencer comme prévu le 15 juin son summer internship au sein de la banque d’investissement de Morgan Stanley à Londres. « Dans le dernier courrier que j’ai reçu fin mars, la banque indiquait que, pour le moment, cette échéance était maintenue, quitte à débuter en télétravail, confie ce diplômé de Centrale Paris qui a rejoint l’ESCP pour une raison toute simple. A la sortie de Centrale, j’ai postulé dans les grandes banques d’investissement. A chaque fois, les recruteurs m’ont conseillé d’acquérir les compétences techniques en finance qui me manquaient. » A l’instar du jeune homme, la majorité de la promotion du MS Finance de l’ESCP devrait effectuer, cette année encore, son stage à la City. « L’ESCP est une maison très conservatrice, indique Philippe Thomas. Malgré le Brexit, la City reste la première place financière mondiale. C’est là que sont installés les ‘coverages’ des grandes banques anglo-saxonnes comme JPMorgan, Morgan Stanley, Goldman Sachs ou Merrill Lynch, qui font toujours autant rêver les étudiants souhaitant démarrer leur carrière en salle de marché ou M&A. Cette attirance pour la City risque d’ailleurs de nous causer quelques soucis lorsque le Brexit sera effectif. » Même tendance du côté de l’emlyon. « Ce sont encore les métiers du ‘corporate finance’ (conseil financier, restructuring, M&A et private equity) et des marchés financiers (salle des marchés et gestion d’actifs) qui constituent les cibles prioritaires de nos étudiants », reconnaît Marc Pérennès.
Reste à savoir quel sort sera réservé aux jeunes recrues à l’issue de leurs stages. « Je ne crois pas au scénario de 2008 ou 2009 car cette fois, la crise n’est pas d’origine financière, pronostique Philippe Thomas. Les banques affichaient d’ailleurs une très bonne santé avant la pandémie. Je suis aussi persuadé que, dès que le confinement sera levé, l’activité reprendra rapidement. Les entreprises auront besoin de financement et il y aura aussi de belles opportunités de rachats de sociétés affaiblies par la crise. » Axel Rhein partage le même optimisme que son directeur scientifique. « Pour alimenter cette reprise, les banques d’investissement auront besoin d’une main-d’œuvre junior qui a l’avantage de ne pas coûter cher », estime le jeune ingénieur qui ne craint pas non plus la perspective du Brexit. « C’est toujours à Londres que les choses se passent et cela devrait durer encore quelques années. De plus, les métiers du M&A relèvent du conseil financier. Ils ne sont donc pas soumis au passeport européen. »
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse