Les négociations se crispent à Bruxelles sur l’encadrement des crédits à la consommation

Au cœur des discussions figure la rigueur du futur encadrement de la pratique controversée du «Buy now pay later».
Clément Solal, à Bruxelles

Où l’Union européenne va-t-elle placer le curseur de sa nouvelle réglementation sur les crédits aux consommateurs ? Les négociations sur le sujet sont entrées dans une dernière ligne droite délicate à Bruxelles. En juin 2021, la Commission européenne avait proposé une révision profonde de la directive actuelle qui fixe depuis 2008 des exigences en matière de frais, de taux, ou encore d’informations soumises aux emprunteurs pour ce type de crédits.

Le double objectif de la proposition vise à muscler ces règles jugées obsolètes et à élargir sensiblement leur champ d’application, face à l’explosion de nouvelles offres de crédits à portée de clic en ligne, et aux risques de surendettement qui peuvent en résulter pour les ménages.

Mercredi soir, une deuxième réunion « en trilogue », entre représentants du Conseil de l’UE et ceux du Parlement européen, dont beaucoup était attendu, s’est avérée très poussive, de l’aveu de plusieurs de ses participants. A tel point que l’objectif affiché de conclure un compromis final en décembre apparaît difficile à tenir. « La situation liée aux crédits à la consommation en ces temps de crise est très préoccupante, j’espère que nous serons en mesure de conclure la révision de cette directive d’ici la fin de l’année comme prévu », s’inquiète ainsi Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée macroniste du groupe Renew (libéral), et membre de l’équipe de négociation du Parlement. Les Etats membres devraient en plus disposer d’un délai de 24 mois pour transposer le texte dans leurs droits nationaux, à compter d’un éventuel accord.

Pour l’heure, le chemin s’annonce laborieux pour faire converger les positions des trois institutions, tant celles-ci contrastent dans leur ambition, bien inférieure du côté du Conseil, l’instance la plus influente. Au grand dam de la Commission, et contre l’avis du Parlement, les Etats membres ont par exemple proposé d’exclure des nouvelles règles les cartes à débit différé, les services de crowdfunding et les contrats de location ou de crédit-bail sans obligation, ni option d’achat.

De façon plus clivante encore, le Conseil défend un affaiblissement de l’encadrement proposé de la pratique du paiement fractionné, ou «Buy now pay later» (BNPL) («achetez maintenant, payez plus tard»), dont l’inclusion dans le champ des règles est la plus grande nouveauté du projet de Bruxelles. Pourtant, il semble y avoir urgence. Dans un rapport publié en juillet, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le gendarme bancaire des services financiers pointait en effet une série de manquements graves observés dans certains de ces contrats. En pratique, la plupart des BNPL passe pour le moment, sous ses radars. « L’idée de la proposition de la Commission est d’appliquer aux BNPL les exigences auxquelles sont déjà soumis d’autres types de crédits aux consommateurs : notamment le plafonnement des indemnités de remboursement anticipé et des pénalités de retard, l’instauration d’un droit de rétractation obligatoire de 14 jours, ou encore la présentation d’informations pré-contractuelles à l’emprunteur», analyse Lucien Jarry, avocat au sein du cabinet Ashurst.

L’attractivité des BNPL mise en cause ?

Sauf que des différends existent à Bruxelles sur la quasi-totalité de ces éléments. Ainsi, le Conseil juge excessive la proposition de la Commission visant à contraindre les prêteurs à fournir une fiche d’informations (durée, frais d’impayés, Taux Annuel Effectif Global …) « un jour avant » l’octroi du crédit. « Cette proposition aurait de fait supprimé l’immédiateté des BNPL, qui constitue un élément déterminant de l’attractivité de ces produits, aussi bien pour les commerçants que les consommateurs », relève Lucien Jarry.

Sur ce point, le Parlement devrait se ranger derrière le Conseil mais il insiste pour que les consommateurs reçoivent des informations standardisées, les plus claires possibles, y compris sur smartphone, pour pouvoir comparer les différentes offres et comprendre les conséquences juridiques et financières du crédit, rappelle Stéphanie Yon-Courtin. En outre, les eurodéputés devraient pousser pour que le droit de se rétracter du contrat de crédit dans un délai de 14 jours, sans avoir à donner de motif, soit rappelé le lendemain à l’emprunteur.

Un autre sujet de tension concerne le renforcement proposé de l’évaluation de la solvabilité des consommateurs par les prêteurs, pour les BNPL notamment. Ici le Parlement se montre particulièrement exigeant sur la liste des informations à recueillir. De son côté, le Conseil plaide pour des exigences « proportionnées » en fonction du type de crédit, qui donnerait une importante marge de manœuvre aux Etats.

Plus généralement, « le texte du Conseil prévoit la possibilité pour les Etats de prendre certaines libertés au moment de la transposition pour limiter les exigences, en matière d’informations pré-contractuelles, de publicité, ou même ou sur le remboursement anticipé ». Ce qui déplaît à la Commission, dont la proposition allait dans le sens d’une forte harmonisation des règles. La position du Parlement, qui endosse le rôle d’arbitre, est modérée.

Une dernière inconnue concerne l’approche qu’adoptera la France en matière de transposition. Paris était allé bien plus loin que le texte européen de 2008. « D’un autre côté, la France dispose de plusieurs acteurs dans le secteur des BNPL, qu’il s’agisse de banque traditionnelles ou de fintech et pourrait donc opter pour une approche mesurée», conclut Lucien Jarry.

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