
Les Etats européens veulent garder la main sur leurs entreprises stratégiques

La fragilisation de nombreux secteurs d’activité due à la pandémie du Covid-19 a remis en lumière le besoin de protéger certaines entreprises européennes contre le risque de faillite et contre la menace d’OPA hostiles émanant d’investisseurs situés hors du Vieux Continent. Alors que certains pays comme l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne ont récemment durci leur réglementation sur les investissements étrangers, la capacité d’action de l’Union européenne (UE) fait également débat. «Le point central a été l’appel lancé le mois dernier par Bruxelles aux Etats membres en faveur de la préservation des entreprises dont l’activité est jugée stratégique», relève Pascal Bine, associé au cabinet d’avocats Skadden à Paris.
Compte tenu de la crise sanitaire actuelle, les fabricants d’équipements médicaux et de systèmes de diagnostics sont considérés comme indispensables pour lutter contre la pandémie. La crise économique et financière qui en découle, en faisant chuter la valorisation de nombreuses entreprises cotées en Bourse, a incité la Commission à avertir les Etats membres contre de possibles tentatives d‘acquisitions ’prédatrices’ émanant de concurrents situés dans des pays tiers, ce qui nuirait alors au système productif de l’UE. «La prise de conscience de la nécessité de préserver les filières d’approvisionnement est capitale, car l’incapacité de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens pourrait favoriser le développement d’un climat conflictuel», estime cet avocat.
Un premier pas a déjà été franchi l’an dernier avec la mise en place du règlement européen sur le filtrage des investissements étrangers au sein de l’UE, mais le dispositif se limite à un mécanisme d’échange d’informations et de coordination entre les pays membres et la Commission. Celle-ci a cette fois adopté une attitude nettement plus volontariste, en appelant les Etats membres à faire usage de l’ensemble des outils juridiques leur permettant de contrôler les investissements étrangers et de préserver leurs actifs stratégiques. Bruxelles entend bien jouer un rôle de premier plan en donnant des avis et en coordonnant l’action des Etats, ce qui fait partie de ses prérogatives au sein du dispositif européen.
Puisque seulement la moitié des pays de la région disposent jusqu’à présent d’un arsenal juridique spécifique destiné au contrôle des investissements étrangers, les autres Etats membres sont invités à modifier leur législation pour mieux se protéger. La préservation des intérêts des entreprises actives dans des secteurs clés pour l’UE pourrait en effet être compromise par l’existence de «maillons faibles» aboutissant à des prises de contrôles rampantes de la part de rivaux chinois ou américains. Cependant, «la mise en place d’un contrôle des investissements étrangers à l’échelon européen nécessiterait l’adoption d’un nouveau règlement et l’accord unanime des Etats membres, ce qui n’est pas une option réaliste dans le contexte actuel», explique Pascal Bine. Dans le secteur de la défense, Bercy a récemment donné un avis indicatif négatif concernant l’acquisition potentielle par l’américain Teledyne de Photonis, un fabricant de lunettes de vision nocturne.
La nationalisation en dernier recours
Concernant les soutiens financiers publics destinés à éviter la faillited’une vingtaine de grandes entreprises françaises particulièrement touchées par la crise, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a expliqué que la nationalisation constituerait une mesure qui serait prise «en dernier recours». Pour Christophe Perchet, cofondateur du cabinet Perchet Rontchevsky & Associés, «une réflexion doit être menée sur les instruments de soutien les plus efficaces en fonction des secteurs d’activité». Il juge en effet que «la baisse des valorisations boursières complique les opérations de recapitalisation car la dilution des actionnaires existants qui découlerait d’une injection de fonds publics conduirait à des nationalisations en série, ce qui ne paraît pas souhaitable dans une économie de marché». Dans le cas de Renault ou d’Air France-KLM, la piste privilégiée semble celle de prêts garantis par la puissance publique.
Un renforcement capitalistique des Etats européens dans l’aéronautique, le transport aérien ou l’automobile pourrait d’autre part déclencher des réactions négatives dans certains pays tiers. Le Comité pour l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS), qui contrôle les prises de participation directes ou indirectes émanant de sociétés étrangères dans des domaines touchant à la sécurité nationale, serait susceptible d’intervenir en cas de modification de l’actionnariat d’un groupe étranger ayant des filiales exerçant des activités sensibles outre-Atlantique.
«La crise actuelle a mis en exergue les compétences propres à chaque Etat en matière d’aides directes ou indirectes», constate Alain de Rougé, associé du département Corporate-M&A du cabinet BCTG Avocats. Alors que le droit européen encadre en temps normal de façon stricte l’octroi d’aides d’Etat, des exceptions sont prévues pour des ‘événements extraordinaires’ ou des risques de ‘perturbation grave de l’économie des Etats membres’. La Commission s’est appuyée sur ces exceptions pour accorder un régime dérogatoire aux aides d’Etat susceptibles d’être versées à la suite de cette pandémie.
Le plan économique massif dévoilé le mois dernier par Berlin inclut l’octroi de 100 milliards d’euros à un fonds de stabilité qui pourra prendre des participations directes dans des sociétés, tandis que Paris a annoncé jeudi une enveloppe de 20 milliards d’euros pour consolider les fonds propres d’entreprises stratégiques. La création d’un fonds de soutien européen servant à recapitaliser des entreprises malmenées par la crise «représenterait un complément utile aux dispositifs nationaux, en permettant de mutualiser une partie de l’aide apportée», estime Alain de Rougé. Mais sa mise en place «nécessite une convergence de vue sur la base d’un accord politique au niveau de l’Eurogroupe, ce qui a été particulièrement difficile à obtenir», ajoute-t-il.
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Immigration Sud-Coréenne : Séoul préoccupé après le vaste raid dans une usine Hyundai aux États-Unis
Séoul - Plus de 300 des 475 personnes arrêtées jeudi aux Etats-Unis dans une usine de batteries pour automobiles sont de nationalité sud-coréenne, a estimé samedi le gouvernement de Séoul, exprimant sa «profonde préoccupation». «Plus de 300 seraient nos ressortissants», a déclaré le ministre sud-coréen des Affaires étrangères Cho Hyun lors d’une réunion d’urgence sur le sujet. «Nous sommes profondément préoccupés et ressentons une lourde responsabilité sur ce sujet», a poursuivi le ministre. Cho Hyun s’est dit prêt à se rendre à Washington si nécessaire pour y rencontrer les autorités. La police de l’immigration américaine a annoncé vendredi avoir mené jeudi un raid dans une usine de fabrication de batteries pour automobiles des groupes sud-coréens Hyundai et LG Energy Solution à Ellabell, dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Selon Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, l’arrestation de ces 475 personnes constitue «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des Enquêtes sur la sécurité intérieure». Vendredi, les autorités sud-coréennes avaient fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul de leur «inquiétude» et de leurs «regrets» concernant cette affaire. Elles n’avaient pas chiffré le nombre de ressortissants concernés. Mais du personnel diplomatique a été envoyé sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. © Agence France-Presse -
Réassurance : prix en baisse mais secteur stable face aux catastrophes et émeutes
Paris - Les réassureurs, qui se retrouvent à partir de samedi pour plusieurs jours à Monaco pour leurs traditionnels «Rendez-vous de septembre», s’apprêtent à faire face à une baisse des prix dans ce secteur, qui ne bousculera toutefois pas leur stabilité, selon les analystes. Les réassureurs, dont le métier consiste à assurer les assureurs, commencent à l’automne les négociations annuelles avec leurs clients assureurs sur le montant des primes que ces derniers leur versent. En échange, les réassureurs prennent en charge une partie des risques portés par les assureurs, en se positionnant sur les risques les plus extrêmes et moins fréquents (tempêtes, feux de forêt, émeutes, attentats terroristes...). En 2024, le marché de la réassurance mondiale s'élevait à 400 milliards de dollars, près de 20 fois moins que celui de l’assurance traditionnelle. Lors des précédentes années, les principaux réassureurs mondiaux, comme Munich Re ou Swiss Re, avaient imposé une hausse des prix et établi des conditions tarifaires et contractuelles qui leur étaient plus favorables. Mais, selon les analystes, le pic des prix de la réassurance est aujourd’hui passé. «On a atteint un point haut en 2024. Et depuis, on le voit au niveau du renouvellement (des contrats), les prix ont tendance à baisser», a expliqué à l’AFP Manuel Arrivé, de l’agence de notation Fitch. «On pense que cette tendance va perdurer» car «il y a une dynamique d’offre et de la demande de plus en plus en faveur des assureurs et en défaveur des réassureurs». L’agence de notation considère que le secteur sera «détérioré» en 2026. Elle met entre autres en avant l’augmentation des coûts des sinistres. Ceux des incendies dévastateurs de Los Angeles, évalués à 40 milliards de dollars, pèsent eux seuls pour la moitié des sinistres liés aux catastrophes naturelles. «On a déjà 80 milliards (de dollars) de sinistres à fin juin. Il fait peu de doute qu’on va dépasser 100 milliards avec le deuxième semestre», a précisé Alexis Valleron, délégué général de l’Association des professionnels de la réassurance en France (Apref), devant la presse vendredi. 2024 a été la cinquième année consécutive où le coût des sinistres des périls naturels a dépassé 100 milliards de dollars dans le monde. Risque émeutes en hausse Face à la multiplication des catastrophes naturelles, la plupart des réassureurs ont décidé ces dernières années de moins s’exposer à certains périls. Dans ce contexte, les réassureurs peuvent compter sur leurs capitaux. S&P Global considère «le secteur mondial de la réassurance comme stable, soutenu par le capital robuste des réassureurs, des marges de souscription solides, des rendements d’investissement élevés et des perspectives de bénéfices encore favorables au-dessus du coût du capital du secteur», décrit l’agence de notation dans un rapport. Les dirigeants de l’Apref ont également évoqué le risque émeutes après des années marquées par les troubles sociaux en France, notamment en 2023 après la mort de Nahel, adolescent tué par un tir policier, ou l’insurrection en Nouvelle-Calédonie à l'été 2024. Les émeutes en Nouvelle-Calédonie ont, à elles seules, coûté un milliard d’euros aux assureurs (dont 500 millions aux réassureurs), sur un coût total des dégâts estimé à 2,2 milliards. Le bilan des émeutes de l'été 2023 en France avait été de 730 millions d’euros (200 millions pour les réassureurs). Selon un article des Echos publié jeudi, le gouvernement prévoit de créer un fonds de réassurance pour couvrir les dégâts liés aux émeutes, sur le modèle du régime des catastrophes naturelles. «Il faut qu’il y ait une définition précise et il faut savoir ce que prendra en charge un mécanisme d’Etat», a insisté Dominique Lauré, vice-président de l’Apref. Selon lui, «il faut qu’il y ait une incitation au maintien de l’ordre pour l’Etat». Et non pas «un mécanisme qui fait que l’Etat n’a finalement plus intérêt à maintenir l’ordre puisque les conséquences économiques sont prises en charge par un fonds», estime celui qui est également directeur général adjoint de Liberty Mutual Reinsurance. Maryam EL HAMOUCHI © Agence France-Presse -
Thaïlande : Anutin Charnvirakul promet des législatives sous quatre mois après sa nomination mouvementée
Bangkok - Le Premier ministre élu thaïlandais Anutin Charnvirakul a assuré samedi vouloir organiser, comme il s’y est engagé, des législatives dans un délai de quatre mois. «Je pense que nous sommes clairs sur le plan politique : nous allons dissoudre le parlement dans quatre mois», a-t-il lancé lors d’une réunion à son siège de son parti, le Bhumjaithai, retransmise par les médias thaïlandais. «Je vais essayer de former mon cabinet le plus rapidement possible», a-t-il souligné, au lendemain de son élection comme Premier ministre par le Parlement, à la suite de la destitution de Paetongtarn Shinawatra. Le magnat conservateur a obtenu le soutien du Parti du Peuple, jusque-là principal parti d’opposition, qui a exigé une dissolution du Parlement et l’organisation de nouvelles élections dans un délai de quatre mois. Le pouvoir de dissoudre le Parlement relève cependant du roi. Il revient également au souverain d’approuver formellement la nomination d’Anutin Charnvirakul comme Premier ministre. Anutin Charnvirakul, dont le parti avait lâché Paetongtarn Shinawatra en juin en raison de sa gestion du conflit frontalier avec le Cambodge, avait assuré vendredi, après son élection, qu’il respecterait «tous les accords». Il avait par ailleurs assuré qu’il n’y aurait «ni favoritisme, ni persécution, ni vengeance» à l’encontre du père de celle-ci, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006), qui a annoncé vendredi avoir quitté le pays. La Cour suprême doit se prononcer mardi sur la libération anticipée dont a bénéficié Thaksin peu après qu’il fut rentré d’exil en août 2023. L’ancien dirigeant, qui avait été condamné à huit ans de prison pour corruption, risque une réincarcération, selon certains analystes. Thaksin, qui a indiqué vendredi s'être rendu à Dubaï, a assuré qu’il entendait revenir au pays d’ici mardi. «Je prévois de retourner en Thaïlande au plus tard le 8 (septembre, ndlr) afin de me rendre personnellement au tribunal», a-t-il affirmé sur X. Dans un autre dossier, il avait été acquitté le 22 août du crime de lèse-majesté. © Agence France-Presse