
Les actionnaires salariés face à la crise

Vraiment pas le moment de parler d’actionnariat salarié (AS) dans les grandes banques cotées ! Certes, les mécanismes de décote et d’abondement permettent de limiter les risques, les collaborateurs concernés en ont vu d’autres et sont souvent gagnants sur le long terme. Mais les titres ont tout de même bien dévissé pendant cette pandémie de Covid-19, passant chez BNP Paribas, par exemple, de 54 euros le 17 février à 27,5 euros le 31 mars. Les actionnaires salariés de LCL ne sont pas mieux lotis (lire ‘La parole à’).
Chahutée par les marchés et la nécessité de se réorganiser en urgence comme tous les acteurs de la banque-finance, Amiral Gestion, PME entièrement détenue par ses salariés, est beaucoup plus loquace sur le sujet. « L’actionnariat salarié est un outil extrêmement puissant pour mobiliser nos collaborateurs et nous donne une plus grande capacité de résistance, affirme Nicolas Komilikis, directeur général. En termes de management, tout est plus simple. En un week-end, nous avons revu notre fonctionnement : 90 % des effectifs sont en télétravail et tout le monde s’entraide. » Fondée en 2003, cette société de gestion indépendante a voulu, dès l’origine, créer un « partnership » avec ses équipes. Aujourd’hui, la quasi-totalité des 45 salariés, quelle que soit leur fonction, sont actionnaires. Et le dirigeant en est convaincu : « C’est un avantage compétitif ». A plus d’un titre.
Facteur d’attractivité
Cet « affectio societatis » change de fait la relation à l’entreprise. « Les salariés en sont copropriétaires et prennent part à l’aventure entrepreneuriale », expose-t-il. De quoi se démarquer auprès des candidats à l’embauche. « Nous avons senti, ces dernières années, que l’actionnariat salarié était un important facteur d’attractivité. Il intéresse directement les profils les plus matures n’ayant eu jusqu’alors qu’un rapport assez détaché avec leur entreprise, notamment dans les grands groupes. Les jeunes y voient, quant à eux, une motivation supplémentaire à laquelle ils ne s’attendaient pas forcément. » Corollaire pour Nicolas Komilikis : la fidélité, et donc la pérennité des équipes. « Nos collaborateurs sont notre actif principal et nous devons le stabiliser. Il n’est pas question de perdre un jeune que nous aurions formé. » Chaque nouveau collaborateur a vocation à prendre part à l’actionnariat une fois la collaboration bien scellée de part et d’autre. D’où un faible turnover car, dit-il, « personne ne va partir chez un concurrent sur un coup de tête ». Les jeunes recrues d’aujourd’hui profitent en outre de l’expérience des anciens déjà présents lors de la crise financière de 2008.
Autre avantage de l’AS pour Amiral Gestion : « Nos gestionnaires travaillent pour la réussite de l’entreprise, ce qui se concrétise par des choix de gestion sur le long terme, et non pas en vue d’un niveau de rémunération à court terme, comme il est d’usage pour les preneurs de risques. L’AS et les dividendes ne remplacent pas les éléments de rémunération classiques – dont les bonus, la participation et l’intéressement –, mais permettent d’aligner l’intérêt de nos gérants avec celui de nos investisseurs », soutient le directeur général.
Grand promoteur du dispositif, Eres ne pouvait que donner l’exemple. Créée en 2005, la société spécialisée en épargne salariale et retraite et actionnariat salarié a d’abord distribué des actions gratuites de manière discrétionnaire à ses premiers collaborateurs, avant d’ouvrir son capital à l’ensemble des salariés via un FCPE (fonds commun de placement entreprise) dédié dans le PEE (plan d’épargne entreprise). « Nous procédons à une augmentation de capital réservée aux salariés tous les deux ou trois ans », explique Olivier de Fontenay, associé fondateur. Et la part d’actionnariat salarié a toujours été d’un peu moins de 10 %. » Si la récente entrée au capital d’IK Investment Partners et de Bpifrance a conduit à un rachat temporaire de toutes les actions (permettant aux intéressés d’encaisser leurs plus-values au passage), une nouvelle opération collective doit leur être proposée cette année.
Enrichissement patrimonial
Pour Eres aussi – qui compte une cinquantaine de collaborateurs et étoffe ses équipes au rythme de quatre ou cinq recrues par an –, cet avantage est un atout pour recruter certains profils « pénuriques » tels que les développeurs et commerciaux spécialisés dans les services financiers de niveau bac+5 : « Il n’y a pas de chômage des cadres et la rémunération est un point sensible. Les candidats n’hésitent plus à nous poser des questions sur le package global », souligne Olivier de Fontenay. Sentiment d’appartenance, rétention des talents, cohésion... : les vertus RH de l’association des salariés au capital n’ont plus de secret pour Eres qui mène des études régulières sur le SBF 120, et s’est également penché sur l’AS dans le non-coté, encore confidentiel en 2016 avec 4 % de PME pratiquantes*.
Un dispositif gagnant-gagnant. « Nous sommes dans une logique de partage du profit et nous sommes très contents d’avoir, par ce biais, enrichi nos collaborateurs de manière significative, Certains ont utilisé leur PEE pour financer une partie de leur résidence principale », illustre-t-il. Nicolas Komilikis confirme : « C’est aussi un facteur d’enrichissement patrimonial. » Petit plus appréciable de l’AS non coté, particulièrement en période de crise : « La volatilité est lissée, puisque la valeur des titres est fixée par un expert indépendant tous les ans, expose Olivier de Fontenay. Nous ne sommes pas dans l’immédiateté du marché coté dont la volatilité actuelle est délirante. Exceptionnellement, certaines entreprises non cotées vont peut-être revoir leur valorisation de manière anticipée mais, même si beaucoup vont souffrir, ce sera dans un an. Ce qui permet d’aborder le sujet de manière plus sereine et laisse le temps de faire de la pédagogie auprès des salariés. »
*Etude Eres-BDO menée par OpinionWay auprès d’un échantillon représentatif de 700 entreprises non cotées en bourse (d’un effectif compris entre 20 et 1 000 salariés).
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse