
Le risque de taux est bien couvert par le secteur bancaire

Les crédits immobiliers résidentiels à taux fixe, très majoritairement pratiqués par les banques françaises, sont considérés comme moins risqués que les prêts à taux variables, qui ont plus d’effets directs sur les mensualités des prêteurs, les défauts de paiement et la valeur des biens. Mais la politique restrictive des banques centrales a ravivé le risque de taux pour les banques depuis un an, avec plus ou moins de conséquences en fonction de la structure de leurs bilans.
«Les banques se couvrent en permanence contre le risque de taux, mais plus particulièrement contre le risque à la hausse depuis au moins cinq ans, ce qui fait qu’elles avaient pour la plupart anticipé ce mouvement de 2022», rappelle Mehdi Farhat, senior manager du cabinet Fincley Consulting spécialisé en gestion actif-passif (ALM).
Une affaire de structure de bilan…
En termes de structures de bilan, les banques françaises ont pour habitude de couvrir un maximum de crédits immobiliers, qui sont des actifs longs à taux fixe, avec les dépôts. Même si ceux-ci sont des passifs courts à taux fixes, les établissements financiers les modélisent pour les faire correspondre à des passifs longs et stables. Individuellement, les banques ont pu se retrouver confrontées à une réorientation des dépôts de particuliers ou des entreprises vers des produits d’épargne plus rentables ces derniers mois, «avec une perte de ressources longues qu’elles avaient cependant anticipé en continuant à produire des crédits sur la base des niveaux moyens historiques de dépôts, et non sur les niveaux en forte hausse des dernières années avec la baisse des taux ou l’épargne Covid», ajoute l’expert, en référence aux indications fournies par les banques dans leurs derniers rapports annuels.
Il rappelle surtout que les dépôts ne couvrent que partiellement l’encours de crédit immobilier, et que le réajustement des taux fixes n’est pas simultané : la hausse des taux est plus rapide sur les dépôts rémunérés ou sur les livrets, alors que le renouvellement du stock de crédits immobiliers avec de nouveaux taux longs est beaucoup plus lent. D’autant plus en France avec le taux d’usure, qui a limité ce réajustement à un rythme trimestriel jusqu’à janvier. Ces décalages, avec d’un côté des actifs longs à taux fixe relativement moins renouvelés mais d’un autre côté des dépôts en possible diminution au passif, pourraient rendre momentanément la position des banques encore plus délicate. Même si ces dernières contestent aussi - dans les stress-tests de l’Autorité bancaire européenne (EBA) - la présumée sensibilité à la hausse des taux d’actifs comptabilisés au coût amorti comme les prêts immobiliers.
… et de swaps de taux
Dans ces périodes, les banques se couvrent donc en contractant des swaps de taux «emprunteurs» : elles apportent un taux fixe à 10 ans - correspondant plus ou moins à la duration moyenne des «pools» de crédits immobiliers - à leur contrepartie qui leur propose en échange un taux variable, généralement Euribor 3 mois, avec un déclenchement instantané (spot), ou bien différé si elles ne souhaitent couvrir le risque de taux que sur une partie plus avancée de la maturité du portefeuille. «Attention, elles anticipent généralement bien ces périodes, et elles ne se couvrent que sur le ‘gap de taux’ (i.e. encours des actifs à taux fixe moins encours des passifs à taux fixe), et souvent seulement partiellement, en assumant une partie des pertes à venir sur leurs revenus. En outre, plus on approche de la fin de la hausse des taux, plus les banques font évoluer leur couverture», poursuit Mehdi Farhat, en référence à cette année de transition. Les banques peuvent alors préférer des swaptions, options qui, bien que plus coûteuses, rendent le déclenchement d’un swap de taux optionnel, en fonction de l’évolution ou non des taux au-dessus d’un certain niveau. «Une couverture partielle fait partie du jeu de l’optimisation, afin de ne pas annuler toutes les chances de gagner si les taux évoluent dans l’autre direction», rappelle un autre expert du secteur bancaire.
Ces stratégies vont dépendre de la structure du bilan de la banque, de la sensibilité de sa valeur (Economic Value of Equity, EVE) et de sa marge nette d’intérêts (correspondant à la différence entre le taux auquel elle prête et celui auquel elle se finance), comme le précisent les lignes directrices émises cet automne par l’EBA. «L’un des enjeux, notamment pour une banque de détail dans cette période de hausse de taux, est d’anticiper et de modéliser au mieux les comportements des clients», conclut Mehdi Farhat, reconnaissant un manque d’historique par rapport aux fluctuations récentes.
Enfin, si les banques apprécient les périodes de taux élevés stables favorables à leur activité de transformation avec des dépôts stabilisés et moins rémunérés, elles doivent aussi se couvrir en période de baisse des taux, notamment du fait d’une hausse des remboursements de prêts anticipés/renégociés et d’une diminution de leur marge d’intérêts. En général en devenant alors via un swap «prêteuses» d’un taux variable contre un taux fixe.
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