
Le projet de réforme du compte de résultat hérisse les analystes financiers

Tensions entre les analystes et le normalisateur comptable. Les dernières propositions de l’IASB, le Bureau international des normes comptables, sur le projet d’amélioration du compte de résultat – Primary Financial Statement (PFS) – ont provoqué l’ire de la Société française des analystes financiers (Sfaf). Si le projet publié fin 2019 répondait aux attentes des analystes, la nouvelle proposition comprend sept principales modifications, dont deux signent un retour en arrière et réduisent fortement l’intérêt de la nouvelle norme, selon la Sfaf.
Dans la consultation lancée par l’IASB l’an dernier, tant la Sfafque l’Effas, la Fédération européenne des associations d’analystes, avaient insisté sur la nécessité de publier en annexe les coûts par nature lorsque l’émetteur publie un compte de résultat par fonction, et de supprimer la présentation d’une partie des mises en équivalence dans le résultat opérationnel. Or, l’IASB propose de réduire l’information sur les coûts opérationnels par nature (achats, variation de stocks, personnel, amortissements…) quand une société choisit de présenter son compte de résultat par fonction (coût des ventes, frais commerciaux et administratifs, R&D…). En réalité elle prône le statu quo. En effet, la Sfaf rappelle que la norme actuelle (IAS 1), avec une présentation par fonction, qu’elle juge « très insuffisante », impose seulement la publication du montant des amortissements et de frais de personnel en annexe une fois par an. « Seules ces deux lignes doivent être détaillées, contre douze, dans les exemples illustratifs du projet de décembre 2019, regrette Jacques de Greling, co-président de la commission comptabilité de la Sfaf, et directeur chez Scope Ratings (Corporate). De plus, l’obligation inverse n’existe pas. Si un émetteur présente son compte de résultat par nature, on ne lui demande rien en annexe, signe de la pertinence de cette approche ».
Les arguments des émetteurs semblent peu crédibles
Pourquoi ce retour en arrière ? « Les difficultés techniques à produire l’information et les coûts supplémentaires d’adaptation des systèmes d’informations comptables mis en avant par les émetteurs nous semblent clairement peu crédibles, explique Jacques de Greling. Les sociétés avaient déjà invoqué ces mêmes arguments pour IFRS 15 sur le chiffre d’affaires et finalement se sont bien adaptées. Certaines ont même reconnu avoir fait des progrès grâce à cette norme ! D’ailleurs, quelques émetteurs, à l’instar de l’opérateur télécoms suédois Telia, produisent déjà une information sur le résultat opérationnel par fonction avec le détail par nature en annexe ».
En fonction des pays, des industries et des émetteurs, les choix de présentation diffèrent. Les anglo-saxons adoptent plutôt une approche par fonction, alors que les acteurs d’Europe continentale favorisent traditionnellement une approche par nature. « La présentation par fonction résulte d’un processus d’allocation des coûts propre à chaque entreprise et ne permet donc pas la comparabilité, ce que recherche l’analyste financier, rappelle Jacques de Greling. Une difficulté, alors que le coût des biens vendus représente habituellement 80% des coûts d’exploitation ». En revanche, la présentation par nature, comme le propose le projet de décembre 2019, donne un niveau de granularité plus grand, permettant une meilleure comparabilité et aussi une meilleure prédictivité. Elle permet aussi un lien beaucoup plus fort avec le tableau des flux de trésorerie, non raccordable avec la présentation par fonction, et, sujet d’actualité, avecl’information extra-financière, précise la Sfaf. « L’information extra-financière doit être raccordable à une information financière, sinon elle est inutilisable et inutilisée, poursuit Jacques de Greling. Par exemple, les dépenses énergétiques ou de matières premières ne peuvent être détaillées que par nature, et non par fonction ».
L’information sur les éléments inhabituels est nécessaire
Le projet prévoit aussi la suppression de toute l’information obligatoire sur les éléments inhabituels (unusual items), qui complétaient l’information sur les mesures de la performance choisies par le management. La Sfaf plébiscitait cette avancée et ne comprend pas ce recul du normalisateur comptable qui invoque l’impossibilité de trouver une définition rigoureuse et scientifique de ces éléments inhabituels. Autrement dit, « nous n’aurons, par exemple, plus d’informations sur les plus-values de cession, si le management ne les identifie pas par ailleurs, s’inquiète Jacques de Greling. Ce filet de sécurité sur les éléments spéciaux disparaît, mettant en risque la pertinence de l’analyse financière ».
Ce nouveau projet de l’IASB, « qui va à l’encontre de ce que demandent les analystes depuis 20 ans, vide de tout sens l’objectif initial de mieux définir le résultat opérationnel, avec plus de granularité, afin d’améliorer sa compréhension et de pouvoir comparer », conclut Jacques de Greling. Le travail d’analyse financière aurait donc été plus pertinent et l’investisseur mieux éclairé, ce qui est bien le but ultime de ces normes.
En attendant, le lobbying des différents acteurs va se poursuivre. L’IASB attend des nouvelles remarques des parties prenantes au premier trimestre 2023 et pourrait publier la norme définitive en fin d’année prochaine, pour une application au mieux en 2025, anticipe Jacques de Greling.
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