La régulation des dérivés, le nouveau casse-tête des gérants

Les règles sur les produits dérivés OTC s’appliquent à un nombre croissant d’acteurs financiers, pas toujours équipés pour y faire face.
Corentin Chappron

Les échos de la grande crise financière continuent de résonner. L’avant-dernière phase de la régulation sur les dérivés non compensés par une contrepartie centrale, inscrite dans Bâle 3, a été mise en place le 1er septembre. Tous les acteurs financiers détenant plus de 50 milliards de ces produits, contrats à terme de change, swaps sur action et swaptions non compensés, pour l’essentiel, sont désormais tenus de poster une quantité de collateral (marge initiale) dès l’initiation d’une transaction sur ces dérivés. La dernière étape de la régulation sera mise en place dans un an, lorsque le seuil de détention sera abaissé à 8 milliards de dollars : plus de 1.100 groupes seront alors concernés par la régulation, et notamment des gérants d’actifs.

Ces derniers ne craignent toutefois pas de renchérissement de ces transactions. « Les textes s’appuient sur une pratique habituelle avec ce genre de produits, utilisée par les opérateurs sur contrat d’échange (swap dealer) : le versement d’un collateral indépendant (independant amount) au début d’un contrat, qui vise à limiter les appels de marge », rappelle un gérant. De fait, les dérivés OTC (de gré à gré) sont souvent plus complexes et plus volatils ; lorsque les choses tournent mal, les appels de marge peuvent devenir trop importants. L’independant amount, fixé à la discrétion de l’opérateur, et qui lui est transmis dès l’achat du produit, permet de couvrir une partie des pertes. La marge initiale ne remplace pas ce mécanisme mais s’en inspire. Une certaine quantité de collateral encadrée par les textes est versée sur un compte dépositaire tiers afin de l’isoler complètement du risque de contrepartie. Grande nouveauté, chacune des deux parties doit verser cette marge, la crise de 2008 ayant montré que les opérateurs n’étaient pas non plus sans risque de faillite…

Processus peu adaptés

Ces intentions louables achoppent pourtant sur la complexité des nouvelles règles. Le volume de collateral à poster est déterminé par un tableau (voir ci-dessous), contraignant et peu discriminant. L’International Swaps and Derivatives Association (Isda) a donc développé une formule alternative, dite SIMM, plus granulaire et pouvant permettre de poster moins de collateral, mais complexe : la formule tient sur 30 pages. Pour des gérants habitués à laisser la complexité des dérivés aux mains des opérateurs, il faudra donc pouvoir analyser les transactions en amont et calculer la quantité correcte de collateral. L’investissement opérationnel est non négligeable car les processus existants déjà autour des dérivés, comme le calcul des marges à poster chaque jour, ne sont pas adaptés.

Il faudra par ailleurs mesurer chaque année l’exposition totale à ces produits pour les acteurs concernés, un effort non négligeable tant les règles de calcul sont complexes. Certes, depuis le début de leur mise en place, le marché a pu aplanir certaines des difficultés ; mais les structures plus petites pourront avoir du mal à déployer les ressources nécessaires à une révision complète de leurs contrats et processus sur les dérivés OTC. « L’une des questions essentielles est de savoir comment concilier l’independant amount et la marge initiale », relève un expert, les opérateurs demandant toujours le versement de ce collateral. A charge aux gérants de négocier avec eux le versement ou non de cette marge, non encadrée par les textes.

Alternatives

Il existe des voies de sortie. Les gérants peuvent concentrer leur activité autour d’un nombre restreint d’opérateurs, limitant d’autant le travail de valorisation des transactions et d’échange de collateral. Il est aussi possible de se tourner vers des dérivés compensés, ou vers des futures, qui échappent à ces nouvelles règles. La réforme pourrait enfin profiter aux dépositaires, qui s’interposent entre les deux parties pour gérer le collateral. Les gérants ont en effet le choix entre une relation dite « tierce partie », où le dépositaire se contente de recevoir et renvoyer le collateral, ou « tripartie », où le dépositaire calcule et sélectionne pour ses clients le collateral optimal, avec des frais plus élevés. LCH estimait à 740 milliards de dollars le volume de marges initiales postées en 2020 dans le monde. La complexité de Bâle 3 n’est pas une mauvaise nouvelle pour tout le monde.

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