
La réforme des lanceurs d’alerte et de l’anticorruption entre dans sa phase finale

Les lanceurs d’alerte seront-ils au calendrier parlementaire de l’automne ? Une proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte a été déposée au cœur de l’été par des députés. Elle s’inscrit dans le sillage du rapport Gauvain-Marleix de début juillet évaluant la loi anti-corruption Sapin 2 et proposant des améliorations. Par ailleurs, le député Raphaël Gauvain devrait également déposer prochainement une proposition de loi mettant en œuvre les recommandations de son rapport.
Les parlementaires sont face à deux échéances. «D’une part, la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte doit être transposée avant la fin de l’année ; d’autre part, le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le bilan de la France en matière de lutte anticorruption, est attendu fin 2021, rappelle Nicolas Guillaume, associé en charge des sujets business risk services & forensic chez Grant Thornton. Les parlementaires pourraient choisir d’aller vite pour devancer l’OCDE ou au contraire de temporiser pour prendre en compte ses conclusions.»
L’urgence demeure. Le rapport Gauvain-Marleix souligne d’ailleurs que le statut actuel des lanceurs d’alerte est insuffisamment protecteur. D’une part, les critères du désintéressement et de la bonne foi écartent de nombreux lanceurs d’alerte du bénéfice de la protection prévue par la loi. D’autre part, la hiérarchie des canaux de révélation expose le lanceur d’alerte aux représailles, la loi Sapin 2 imposant de d’abord alerter l’entreprise. «Pour éviter ces écueils, le lanceur d’alerte doit pouvoir saisir directement les autorités publiques, à moins que la société offre un système interne fiable», estime Nicolas Guillaume.
Si le rapport exclut une rémunération à l’américaine des lanceurs d’alerte, à hauteur des fraudes qu’ils dénoncent, il propose de créer un fonds qui permettrait de l’indemniser.
Alors qu’un lanceur d’alerte est nécessairement une personne physique, la proposition de loi prévoit que des associations ou des syndicats puissent l’accompagner. «C’est un pas supplémentaire de protection des lanceurs d’alerte», ajoute Nicolas Guillaume.
La réorganisation de l’AFA soulève des questions
Pour sa part, le rapport Gauvain-Marleix dresse un bilan «satisfaisant» de l’action de l’Agence française anticorruption (AFA), tout en soulignant certaines insuffisances. Les acteurs privés se sont bien approprié les obligations de la loi Sapin 2, mais le secteur public demeure très en retard. De fait, si les acteurs publics sont soumis à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption, aucune sanction n’est prévue en cas de manquements. En outre, l’AFA n’est pas parvenue à assurer correctement sa mission de coordination administrative, faute d’un réel plan pluriannuel de lutte contre la corruption ambitieux, détaillé et transparent, selon le rapport. Constatant que l’AFA, du fait de son statut hybride – coordination administrative et contrôle – a surinvesti sa mission de contrôle au détriment de la programmation stratégique, le rapport demande une révision en profondeur de l’organisation institutionnelle de la politique anticorruption de la France. Il propose de réduire l’AFA à un comité technique de lutte contre la corruption. Ses missions de contrôle et de recommandations seraient confiées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), «afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, qui pourrait dorénavant porter le nom de Haute Autorité pour la Probité (HAP)». «L’organisation de cette nouvelle autorité indépendante, dont l’objectif semble avant tout de donner plus de consistance à la HATVP, prendra du temps, explique Nicolas Guillaume. Nous craignons alors un recul en matière de lutte contre la corruption pendant cette période de transition et de montée en puissance de la nouvelle autorité.»
L’article 17 de la loi Sapin 2 impose aux grandes entreprises, aux administrations et aux collectivités, de mettre en œuvre des mesures internes de prévention et de détection de la corruption. Mais face au retard du secteur public, le rapport préconise un référentiel adapté, en particulier pour les collectivités locales, ce que proposait déjà le Club des juristes en novembre 2020. Ce dispositif devrait prévoir des obligations de conformité, modulées en fonction de la taille et des risques auxquels sont exposées les administrations publiques. «Le sujet des collectivités territoriales demeure tabou, poursuit Nicolas Guillaume. Toutefois, les acteurs publics commencent à corriger leur retard, nous constatons que les projets de mise en conformité se multiplient actuellement.»
Vers des commissions de sanctions à huis clos
Le volet répressif de l’AFA suscite toujours des interrogations. Le rapport souligne «la tonalité généralement très négative des conclusions des rapports de l’AFA concernant les acteurs économiques» et son approche binaire, «laissant peu de place à une approche proportionnée et mesurée de la maturité des dispositifs anticorruption». Toutefois, les deux premières décisions de la commission des sanctions de l’AFA ont permis d’apporter des précisions sur le déroulement des contrôles. «Si les deux premières sociétés mises en cause ont été blanchies, cette procédure a rejailli sur leur image en France comme à l’international, constate Nicolas Guillaume. Aussi, comme le préconise le rapport, nous sommes aussi favorables à la possibilité d’une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions. On pourrait envisager un retour à des séances publiques une fois que le système se sera stabilisé.»
La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), autre nom de la transaction, s’avère un réel succès. Toutefois, elle n’est actuellement possible que pour les personnes morales, et pas pour les personnes physiques. Or, dans certains dossiers de CJIP, les personnes physiques ont pu être condamnées au pénal ou relaxées. Ou encore, comme dans le dossier Bolloré cette année, la CJIP a été validée, mais pas les accords conclus avec des personnes physiques dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le fameux plaider-coupable. Des distorsions qui soulèvent des questions. Le rapport n’est pas favorable à l’ouverture de la CJIP aux personnes physiques en matière de corruption, qui «permettrait de dispenser de condamnation les auteurs de faits de corruption», mais recommande de créer une procédure de CRPC spécifique aux faits de corruption et réservée aux révélations spontanées des faits et avec la pleine coopération de la personne physique aux investigations. «Cette proposition est intéressante, mais difficile à mettre en œuvre, anticipe Nicolas Guillaume. Comment l’articuler avec le devoir de surveillance du dirigeant en matière d’anticorruption proposé par ailleurs dans le même rapport ?»
Inclure les filiales de groupe étranger dans le champ de la loi
Le rapport Gauvain-Marleix propose également d’étendre le périmètre de la loi Sapin 2 aux filiales françaises des groupes étrangers lorsque ces derniers dépassent les seuils légaux de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et de plus de 500 salariés. «Ces sociétés échappent pour le moment à la loi Sapin, alors qu’une petite filiale d’un groupe français entrant dans le champ de la loi y est soumise, constate Nicolas Guillaume. Cela crée certes une différence de traitement mais les sociétés étrangères pourraient freiner leurs projets d’implantation en France. Pour autant, est-ce la priorité ? Les exigences de la loi Sapin sont très lourdes et il y a un véritable effet de seuil pour les PME qui les franchissent. Aussi, une réflexion sur une progressivité d’application de la loi Sapin, demandant par exemple une cartographie des risques et une feuille de route la première année et une conformité complète au bout de trois ans, aurait été souhaitable.»
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