
La City se prépare au grand saut… dans l’inconnu

« Pour beaucoup d’étudiants en finance comme moi, Londres continue à être un véritable eldorado », estime Manon Bérel. Après un bachelor à l’Essec réalisé en apprentissage et deux stages, cette étudiante en MS finance à l’ESCP Europe évalue maintenant ses options professionnelles post-master : « Je ne me ferme aucune porte. Les banques londoniennes intègrent facilement les juniors sans expérience, alors que la culture française est un peu différente. » Dans cette équation, l’imminence du Brexit ne change rien à l’attractivité de la place financière : « Les banques se sont voulues rassurantes en nous indiquant qu’elles nous accompagneraient en cas de ‘hard Brexit’. » Agathe Lavaud, sa camarade de classe, n’a même pas eu à rechercher un emploi : « A la suite d’un stage de dix mois que j’ai effectué l’an dernier dans une société de conseil, on m’a proposé une offre. L’entreprise était en très forte croissance et recherchait des talents. Ce fut une surprise très agréable. »
Du côté des banques, le message est clair : peu ou pas de changements dans le recrutement des juniors depuis le référendum au travers des différents programmes proposés. Dans les faits, la situation serait plus nuancée : « Le nombre de places accordées par les banques en ‘summer internships’ (stages d’été) a vraisemblablement diminué d’environ 20 à 25 % cette année, explique Philippe Thomas, professeur de finance et directeur scientifique du MS finance à l’ESCP Europe. En revanche, on note une recrudescence importante du nombre de ‘off-cycles’, ces stages de six mois, et de ‘placements’, des contrats à durée déterminée sur onze mois, ce qui tend à prouver une vraie recherche de flexibilité de la part des banques. »
« Wait and see »
La contraction des places en summer, prélude à un emploi dans la City, s’accompagne en outre d’un durcissement des conditions d’accès. Diversité oblige, « le recrutement des filles est au premier plan, poursuit l’enseignant. Et, d’après nos statistiques, la préférence irait nettement aux Européens plutôt qu’aux non-Européens. » Pour les profils les moins expérimentés, les secteurs d’embauche demeurent très spécifiques : « Si le nombre d’offres en ‘trading’ et ‘sales’ reste limité, le marché de la dette est très dynamique », explique Philippe Thomas.
L’horizon est moins dégagé pour les plus seniors. « Nous constatons des pauses dans les recrutements : janvier et février ont été beaucoup plus calmes qu’habituellement », explique James Murray, directeur en charge des services financiers chez Robert Walters. L’approche « wait and see » prédomine d’ailleurs aussi chez les professionnels en poste : « Alors même que la saison des bonus est un moment-clé pour changer d’emploi, on constate aujourd’hui une certaine prudence de la part des candidats, plus enclins à rester dans leur entreprise dans l’attente du Brexit », poursuit le recruteur de Robert Walters. Le niveau d’expérience serait un facteur déterminant : « Dans notre entreprise, les profils les plus seniors tendent à rester en place faute d’opportunités ailleurs », explique une responsable des ventes dans une grande banque asiatique, pour qui « le ‘middle management’ est beaucoup plus mobile ».
Les opportunités d’emplois seraient, par ailleurs, très variables en fonction des domaines : « Face à la perspective du Brexit, le secteur de l’investissement – du capital-risque à la gestion d’actifs – reste plutôt serein, à la différence des banques, pour lesquelles l’impact se ferait plus immédiatement sentir en cas de sortie brutale du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) », indique James Murray. Indépendamment des activités, le marché du recrutement financier dans son ensemble enregistre aussi quelques évolutions : « De plus en plus, les entreprises nous demandent des profils agiles, flexibles et capables de s’adapter à l’inconnu, explique Marcus Downing, associé chez Korn Ferry. Cette tendance se manifeste depuis dix-huit mois, mais le Brexit a servi d’accélérateur. »
Gestion des risques
Les hypothèses de délocalisations massives de la part des institutions financières situées à Londres ne se sont pas non plus concrétisées. « Les entreprises mènent une vraie gestion des risques : elles ne veulent pas déplacer plus de salariés que nécessaire », poursuit Marcus Downing. Dans une étude publiée le 11 mars, le cabinet New Financial estime à environ 5.000 le nombre anticipé de collaborateurs déplacés et de créations d’emplois dans des capitales financières européennes, quelque 270 sociétés financières établies outre-Manche, tous secteurs confondus, ayant pris la décision de délocaliser des salariés et des entités dans l’UE. Paris aurait attiré 41 sociétés, soit 12 % des déplacements, dont 22 banques.
Pas de quoi entacher a priori la vitalité de la City. Le nombre de salariés en finance aurait même progressé de 484.000 à 513.000 entre 2016 et aujourd’hui à la faveur de créations de postes dans le secteur de la fintech, selon City of London Corporation. Des chiffres qui ne tiennent cependant pas compte de l’autre grand quartier financier londonien de Canary Wharf, lequel concentre de nombreuses banques d’investissement.
L’après-Brexit reste quoi qu’il en soit une véritable inconnue : « Il serait étonnant de ne pas constater un impact sur le recrutement, considère James Murray. Mais il faut aussi reconnaître que nous nous sommes constamment trompés au cours des deux dernières années. » Selon New Financial, les délocalisations anticipées représentent au maximum 10 % des collaborateurs de chaque établissement. « Je continue à ne pas croire à un exode massif, explique pour sa part Philippe Thomas. Et quand bien même la finance londonienne perdrait 15 % de ses effectifs, elle retrouverait les niveaux d’il y a dix ans. A l’époque, sa taille était déjà significative. »
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Au Brésil, le procès Bolsonaro entre dans sa phase décisive
Brasilia - Le procès historique contre Jair Bolsonaro est entré jeudi dans sa phase décisive: les deux derniers juges doivent décider si l’ex-président brésilien d’extrême droite, soutenu par le dirigeant américain Donald Trump, doit être condamné pour tentative de coup d’Etat. Avec un score de 2 à 1, il manque seulement une voix à la Cour suprême pour former la majorité requise pour condamner l’ancien chef de l’État (2019-2022), qui à 70 ans risque jusqu'à 43 ans de prison. Accusé d’avoir été le chef d’une «organisation criminelle» ayant conspiré pour assurer son «maintien autoritaire au pouvoir» malgré sa défaite face au président actuel de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva, lors de l'élection de 2022, Jair Bolsonaro clame son innocence. Seule femme de la Cour suprême, la juge Carmen Lucia a pris la parole jeudi après-midi pour livrer l’argumentation de son vote. «La loi doit être appliquée de la même façon pour tous», a-t-elle dit en soulignant l’importance du procès pour le Brésil. Son collègue Cristiano Zanin, ancien avocat de Lula, votera en dernier. Le jugement et une éventuelle peine sont attendus dans la foulée, ou vendredi. Inéligible jusqu’en 2030 et assigné à résidence à Brasilia depuis début août pour des soupçons d’entrave à son procès, M. Bolsonaro n’est pas présent aux audiences, pour motif de santé selon sa défense. Un journaliste de l’AFP a pu l’apercevoir jeudi matin dans son jardin, vêtu d’un polo vert et d’un pantalon sombre, en compagnie d’un proche. «Réparation historique» Le procès divise fortement une opinion ultra-polarisée, y compris dans la capitale. Pour Germano Cavalcante, ingénieur civil de 60 ans, «ce procès n’est pas juste». «Il est plus politique que judiciaire», estime-t-il. A l’inverse, Ana Karla Oliveira, 21 ans, analyste système, se dit «absolument ravie». «Je vais fêter cette condamnation», promet-elle, y voyant une «réparation historique». L’affaire Bolsonaro est aussi à l’origine d’une crise sans précédent entre la première puissance d’Amérique latine et les États-Unis. Dénonçant une «chasse aux sorcières» contre son allié d’extrême droite, le président américain Donald Trump a imposé une surtaxe punitive de 50% sur une part importante des exportations brésiliennes. Washington a également annulé les visas de plusieurs juges de la Cour suprême brésilienne et infligé des sanctions financières à l’un d’entre eux, Alexandre de Moraes, rapporteur du procès Bolsonaro. Amnistie Le juge Moraes a été le premier à voter mardi pour la condamnation de l’ex-président, affirmant que le Brésil avait «failli redevenir une dictature» lors du supposé putsch manqué. M. Bolsonaro est jugé avec sept anciens proches collaborateurs, dont plusieurs ex-ministres et généraux. C’est la première fois qu’un ancien chef de l’État doit répondre de telles accusations, dans un pays encore hanté par le souvenir de la dictature militaire (1964-1985). Ex-ministre de la Justice de Lula, Flavio Dino a lui aussi voté pour une condamnation, estimant que les infractions jugées «ne sont pas susceptibles d’amnistie». Le message n’est pas passé inaperçu. Le courant conservateur tente en effet de faire approuver au Parlement une loi d’amnistie au bénéfice de son leader. Avec déjà en tête de possibles recours contre une condamnation attendue, le camp de l’ancien chef de l’État a célébré mercredi le vote du troisième magistrat, Luiz Fux. Développant une démonstration de plus de 11 heures, ce dernier a jusque-là été le seul à voter pour la relaxe de M. Bolsonaro. Il a démonté le dossier, dénoncé un manque de preuves et estimé que le complot évoqué n’a jamais dépassé la «phase préparatoire». Le vote du juge Fux «n’affectera pas le résultat final, mais il influencera l’histoire», escompte le député bolsonariste Luiz Lima. Ramon SAHMKOW et Louis GENOT © Agence France-Presse -
L'ambassadeur britannique aux Etats-Unis limogé, pour ses liens avec Jeffrey Epstein
Londres - L’ambassadeur britannique aux Etats-Unis, Peter Mandelson, a été limogé jeudi en raison de ses liens avec le délinquant sexuel américain Jeffrey Epstein, un revers de plus pour le Premier ministre Keir Starmer avant la visite d’Etat de Donald Trump au Royaume-Uni. La pression montait depuis plusieurs jours sur Keir Starmer, qui avait nommé il y a moins d’un an cet architecte du «New Labour» de Tony Blair, pour tenter de consolider les liens entre son gouvernement et la nouvelle administration Trump. Des mails entre le vétéran du parti travailliste de 71 ans et le financier américain, mort en prison en 2019, révélés cette semaine, «montrent que la profondeur et l'étendue des relations de Peter Mandelson avec Jeffrey Epstein sont sensiblement différentes de celles connues au moment de sa nomination», a indiqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. «Compte tenu de cela, et par égard pour les victimes des crimes d’Epstein, il a été révoqué comme ambassadeur avec effet immédiat», a ajouté le Foreign Office. Dans une lettre écrite par Peter Mandelson pour les 50 ans de Jeffrey Epstein en 2003, et publiée en début de semaine par des parlementaires à Washington, le Britannique affirme que le financier américain est son «meilleur ami». Interrogé mercredi après la publication de cette lettre, le Premier ministre Keir Starmer lui avait apporté son soutien, assurant que Peter Mandelson avait «exprimé à plusieurs reprises son profond regret d’avoir été associé» à Jeffrey Epstein. Mais cette position est rapidement devenue intenable. En fin de journée mercredi, des médias britanniques, dont le tabloïd The Sun, ont rapporté que M. Mandelson avait envoyé des mails de soutien à Jeffrey Epstein alors que ce dernier était poursuivi en Floride pour trafic de mineures. Juste avant que M. Epstein ne plaide coupable pour conclure un arrangement dans cette affaire en 2008, Peter Mandelson lui aurait écrit: «Je pense énormément à toi et je me sens impuissant et furieux à propos de ce qui est arrivé», l’incitant à "(se) battre pour une libération anticipée». «Je regrette vraiment très profondément d’avoir entretenu cette relation avec lui bien plus longtemps que je n’aurais dû», avait tenté de se défendre l’ambassadeur dans un entretien diffusé mercredi sur la chaîne YouTube du Sun. Il y a affirmé n’avoir «jamais été témoin d’actes répréhensibles» ou «de preuves d’activités criminelles». «Sérieuses questions» «L’affirmation de Peter Mandelson selon laquelle la première condamnation de Jeffrey Epstein était injustifiée et devait être contestée constitue une nouvelle information», a fait valoir le Foreign Office pour expliquer la décision de le limoger. Dans une lettre au personnel de l’ambassade, citée jeudi soir par la BBC, Peter Mandelson affirme que ce poste a été le «privilège» de sa vie. «Je regrette profondément les circonstances qui entourent l’annonce faite aujourd’hui», ajoute-t-il. Les relations entre Londres et Washington sont «en très bonne posture», se félicite l’ex-ambassadeur, disant en tirer une «fierté personnelle» Pour Keir Starmer, ce départ, à une semaine de la visite d’Etat du président Donald Trump au Royaume-Uni les 17 et 18 septembre, est un nouveau coup dur. Le dirigeant travailliste, au plus bas dans les sondages, a déjà dû se séparer il y a quelques jours de sa vice-Première ministre, Angela Rayner, emportée par une affaire fiscale, ce qui a déclenché un remaniement de taille du gouvernement. Trois fois ministre et commissaire européen, Peter Mandelson était le premier responsable politique nommé ambassadeur à Washington, un poste traditionnellement réservé à des diplomates chevronnés. Cet homme de réseaux et d’influence, surnommé le «Prince des ténèbres», était déjà tombé à deux reprises par le passé en raison d’accusations de comportements répréhensibles ou compromettants. La cheffe de l’opposition conservatrice Kemi Badenoch a fustigé le «manque de courage» de Keir Starmer, qui «a encore échoué à un test de son leadership». Marie HEUCLIN © Agence France-Presse