
BANQUE DE DÉTAIL - Un modèle à repenser

Environnement durable de taux bas, qui pèse sur les revenus historiques du secteur, pression réglementaire, contraignant notamment les banques à ouvrir leurs données, apparition de nouveaux concurrents puissants tels que les Big Tech (Gafa, Batx)… : une multitude de facteurs oblige les banques de détail à repenser leur modèle. Dans ce contexte, « la crise du Covid n’a fait qu’accélérer le besoin de digitalisation et de transformation du secteur, introduit Thierry Mennesson, partner chez Oliver Wyman. Il y a aujourd’hui de la part des banques la prise de conscience d’un problème sur leur modèle, la solution apportée étant essentiellement réduite à une baisse des coûts, ce qui est nécessaire, mais pas suffisant ».
En dépit des efforts réalisés jusqu’à présent pour contenir leurs charges, les banques de détail françaises enregistrent une détérioration constante de leur coefficient d’exploitation. Entre 2013 et 2020, « ce ratio est passé de 65 % à 73 % chez BNP Paribas et de 54 % à 68 % au Crédit Agricole », illustre Jean-Marc Velasque, expert de Sopra Banking Software.
Les banques doivent aller un cran plus loin. « Cela passe par la poursuite du travail sur les réseaux, très denses en France », pointe Jean-Marc Velasque. On y compte ainsi 66 agences pour 100.000 habitants, contre 44 en moyenne en Europe de l’Ouest et 33 aux Etats-Unis. « Le principal problème des banques européennes n’est pas l’adoption de circuits digitaux (toutes allant dans ce sens), mais bien l’existence d’infrastructures trop importantes (agences et back-offices), coûteuses et de plus en plus inutiles, tout particulièrement avec l’effet du Covid », estime Sam Theodore, analyste chez Scope Insights, ajoutant que si les pays nordiques sont en avance par rapport au secteur sur la rationalisation de leurs réseaux, d’autres pays, comme la France, sont à la traîne.
Proximité
Des différences émergent en fonction du profil des établissements. Si les banques mutualistes (BPCE, le Crédit Agricole) peuvent capitaliser sur leur maillage territorial pour jouer la carte de la proximité, tel n’est pas le cas des grandes banques nationales (BNP Paribas, la Société Générale, LCL, CIC), très urbaines.
Ainsi, alors que HSBC France cherche toujours un repreneur pour ses agences, la Société Générale, dont le coefficient d’exploitation a crû de 64 % à 73 % depuis 2013, a décidé de rapprocher ses réseaux de banque de détail avec ceux de sa filiale Crédit du Nord. « L’objectif est de réduire les coûts fixes en mutualisant les charges », synthétise Jean-Marc Velasque. Ce projet ne fait pas l’unanimité. « Ce rapprochement va certes permettre de réduire les coûts à court terme, mais constitue une erreur stratégique à moyen terme. Cela va en effet engendrer un appauvrissement du fonds de commerce global de la banque et un risque sérieux de perte de clients du Crédit du Nord, habitués à un haut niveau de services personnalisés », estime Christophe Nijdam, analyste financier, membre du collège consultatif de l’Autorité bancaire européenne. Selon le professionnel, qui s’exprime à titre personnel, il aurait été « plus judicieux » de poursuivre la rationalisation du réseau Société Générale, en conservant parallèlement l’indépendance de celui du Crédit du Nord.
Si les réductions de voilure doivent se poursuivre, l’agence n’est pas pour autant appelée à disparaître. « Le 100 % digital n’est pas le Graal et les agences resteront le canal ayant le taux de transformation le plus efficace », perçoit Jean-Marc Velasque. « L’adaptation des réseaux est un travail au long cours, qui s’accélère aujourd’hui. Quelle que soit l’évolution, les banques continueront à développer une logique de proximité avec leurs clients, qui souhaitent échanger avec une personne, et non avec une machine. Le maillage des agences s’adapte constamment dans cette logique, depuis de nombreuses années », replace Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). « Les fintech concurrencent les banques traditionnelles sur deux de leurs trois métiers, que sont la collecte de dépôts et les moyens de paiement. Mais elles n’ont pas la capacité de rivaliser sur le troisième pilier du crédit, dont l’analyse et la gestion du risque restent les points forts des banques de détail. Elles doivent maintenir un contact humain sur ces activités via le réseau », enchaîne Christophe Nijdam, pour qui l’idéal serait d’élargir les horaires d’ouverture des agences au-delà des horaires de bureaux traditionnels pour mieux correspondre aux attentes des clients, quitte à fermer une partie de la journée.
Le rôle de l’agence doit ainsi évoluer. « Il doit s’éloigner de la gestion des activités de banque au quotidien pour se concentrer sur le conseil à plus forte valeur ajoutée, notamment auprès des petites et moyennes entreprises », estime Thierry Mennesson, ajoutant que le parcours client doit être globalement revisité, en offrant, via la digitalisation, des services simples, générant des interactions avec la clientèle sans passer par l’agence. « Les banques de détail doivent améliorer leurs applications mobiles en les rendant plus simples et plus agréables en termes d’expérience client, ce qui a fait le succès des fintech, confirme Christophe Nijdam. Mais cela se révèle plus difficile de greffer une application nouvelle sur un système informatique ancien comme celui des banques que de réaliser un lancement sur une base nouvelle comme les fintech. »
La demande digitale des clients est aujourd’hui au rendez-vous, l’épidémie de Covid ayant logiquement accéléré la tendance. Selon un sondage réalisé par Mastercard, 29 % des clients interrogés en France indiquent effectuer des transactions financières en ligne via une application plus fréquemment qu’avant la pandémie, essentiellement pour les avantages que cela présente en termes de gain de temps et de simplicité. « Les clients, qui se sont habitués à une fluidité et une rapidité des services offerts dans certains secteurs, tels que la distribution avec Amazon, ont renforcé leurs attentes envers les modes de distribution des banques », ajoute Thierry Mennesson.
Optimisation
Les banques réfléchissent par ailleurs à la façon d’optimiser l’espace physique de leur réseau, en diminuant les coûts tout en cherchant à y accroître les interactions avec leur clientèle. « Il n’y a pas de modèle unique et les initiatives sont diverses », analyse Jean-Marc Velasque, citant l’exemple de Raiffeisen en Autriche qui a fait de ses agences un lieu de vie (hors confinement), où l’on peut acheter journaux et billets de train. « La vente d’assurances s’inscrit dans la même logique, les banques capitalisant sur une fréquence de contact plus forte avec leurs clients que celle des assureurs », poursuit-il. « Les banques, qui ne gagnent plus d’argent sur leur activité de banque au quotidien, doivent capitaliser sur leur large base de clientèle en leur proposant d’autres services », enchaîne Thierry Mennesson. Selon un sondage réalisé au cours du premier semestre 2020 par Oliver Wyman, 66 % des clients se montrent favorables au fait que leur banque élargisse son offre au-delà des services financiers. « Cela peut aller d’un simple service tel que l’achat de billets de train à des services plus élaborés générant de plus importantes commissions, tels que l’aide aux personnes âgées. La banque dispose, via les paiements de ses clients, d’une multitude d’informations lui permettant de coller aux mieux à leurs attentes et de devenir un véritable assistant au quotidien », développe Thierry Mennesson.
Certaines banques, dans des pays ayant un niveau de bancarisation moindre qu’en Europe, ont franchi le pas. C’est notamment le cas de Bank of East Asia ou Tinkoff dans le voyage, de Sberbank dans les produits électroniques, de LIV dans le divertissement ou encore de Yono dans le transport. Si certaines initiatives existent en France (offre de services de comptabilité aux petites entreprises chez LCL, forfait téléphonique au CIC…), « le secteur doit se lancer à plus grande échelle », estime Thierry Mennesson. « C’est une trajectoire sur dix ans, qui nécessite un savoir-faire qui n’existe pas aujourd’hui dans la banque et qui demande la mise en place d’équipes spécialisées », perçoit-il. Avec, in fine, des gagnants et des perdants à l’issue de cette phase de transformation.

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