
Avocats d’affaires et legaltech, l’entente cordiale

Longtemps, la digitalisation n’a été qu’un serpent de mer dont tout le monde parlait sans qu’elle se matérialise vraiment au sein des cabinets d’avocats d’affaires. Mais la compétition croissante entre les grandes firmes les oblige désormais à réaliser leur transformation technologique à marche forcée ; d’autant que ces évolutions ont déjà affecté leurs clients depuis un certain temps, lesquels demandent donc aujourd’hui à leurs avocats de suivre le mouvement pour un gain de temps et d’efficacité, mais aussi pour des honoraires plus souples. Ainsi, selon la récente étude du cabinet de conseil en stratégie Day One sur le cabinet d’avocats d’affaires du futur, la digitalisation des cabinets d’avocats d’affaires devrait s’accélérer d’ici trois à cinq ans, avec un impact considérable sur ces structures, qui devront accepter de devenir de véritables entreprises du droit et non plus de simples firmes traditionnelles.
Comités et outils dédiés
Cette mue digitale est appréhendée différemment selon les cabinets. Certains, sûrs de leurs forces, n’hésitent pas à encourager des initiatives personnalisées via notamment la mise en place de comités dédiés. C’est le cas du géant franco-français Gide, dont le tout nouveau comité exécutif place l’innovation juridique au cœur de son mandat. « Nous avons identifié trois principaux axes d’innovation : l’amélioration de notre productivité, qui passe notamment par une automatisation des contrats et des outils de legal process management plus performants, la mise en place de nouvelles offres correspondant aux attentes de nos clients comme des formations en ligne, des sites dédiés ou encore la création de nouveaux produits financiers, et enfin l’adaptation de nos méthodes de travail rendue possible par le développement technologique, comme par exemple la promotion du flextime et la mise en place de nouvelles méthodes de travail transversales en interne », énumère Stéphane Puel, associé gérant de Gide.
Le cabinet français Sekri Valentin Zerrouk (SVZ) a, pour sa part, lancé il y a quelques temps sa propre plate-forme digitale collaborative, baptisée MySVZ©. Objectif : créer un écosystème juridique virtuel dans lequel avocats, clients et partenaires du cabinet peuvent interagir ensemble en toute fluidité et sécurité via un legalcluster, à savoir une communauté d’experts propre à chaque client. « Cet outil collaboratif a été déployé afin d’améliorer les relations avec nos clients, explique Yamina Zerrouk, associée cofondatrice de SVZ. MySVZ© est en outre très évolutif. L’an dernier, nous y avons par exemple ajouté un robot, sorte de legal assistant qui emmagasine des informations en fonction des demandes et améliore le processus. Nous souhaitons également inclure dans la plate-forme des outils de CRM et de gestion du temps passé, en vue d’avoir à terme un seul et unique outil parfaitement sécurisé ». Depuis la mise en place de MySVZ©, d’autres cabinets et même des entreprises ont souhaité bénéficier de la même technologie. À tel point qu’en janvier dernier, Jean-Marie Valentin, l’un des fondateurs de SVZ, a créé une structure indépendante dédiée à cette activité, aux côtés notamment de Ghislain d’Aramon, qui a mené des projets de transformation digitale pour HSBC : Seville More Helory, société technologique et de services dédiée à la transformation digitale des fonctions juridique et des cabinets d’avocats. Son premier client officiel ? SVZ, bien sûr, mais Jean-Marie Valentin assure que bon nombre d’autres cabinets lui font actuellement de l’œil…
Partenariats 3.0
D’autres firmes, en particulier les géants anglo-saxons, ont préféré investir directement dans des partenariats avec des legaltech (start-up juridiques). DLA Piper, par exemple, a adopté l’outil d’automatisation Kira il y a un an et demi au sein du bureau de Paris, après des essais fructueux dans ses bureaux anglophones. « Outre la forte compétitivité entre cabinets, nos clients nous demandent désormais souvent d’utiliser de nouveaux outils afin que cela soit plus rentable pour eux, confie Isabelle Eid, responsable du Knowledge management chez DLA Piper Paris. Kira, qui permet de chercher des données et des clauses précises dans un nombre très important de documents, est à la fois très profitable pour nos clients mais aussi pour nos avocats en interne : il permet de gagner du temps et de passer plus rapidement à la phase d’analyse. »
Quant aux cabinets plus hésitants face à la large palette de choix des legaltech, ils n’ont pas hésité à lancer des initiatives originales. Herbert Smith Freehills a ainsi organisé en février dernier son premier concours, LegalTech France, avec plusieurs legaltech. À son issue, le progiciel Softlaw a été choisi pour démarrer une phase de test de trois mois au sein du bureau parisien. Son but ? Faciliter la revue, l’analyse et l’exploitation des données contenues dans les documents et contrats juridiques. « Ce concours a été mis en place dans le cadre de la stratégie globale d’innovation du cabinet, Beyond 2020, et de l’Innovation Hub qui coordonne toutes les initiatives de changement digital dans la firme, explique Eric Fiszelson, associé en charge de l’innovation chez Herbert Smith Freehills. « Les critères essentiels pour nous étaient la facilité d’installation et d’utilisation de l’outil, et qu’il permette une amélioration immédiate de la manière de travailler de nos avocats. C’est le cas de Softlaw, qui permet de faire gagner un temps considérable à nos collaborateurs en facilitant la gestion et la réalisation des audits juridiques. » De son côté, Linklaters a organisé le 12 janvier dernier un LegalTech Day au sein de son bureau parisien. Une journée à laquelle ont également répondu à l’appel plusieurs legaltechs — Predictice, DocuSign, etc. — qui, en une heure maximum, devaient vanter les mérites de leur produit devant les avocats du cabinet. « À la suite de cette journée, nous étudions l’opportunité de commander plusieurs produits, notamment pour faciliter nos échanges avec nos clients à l’étranger, par exemple grâce à la signature électronique, ou pour nous permettre de gagner du temps avec des générateurs automatiques de documents contractuels ou des outils d’aide à la recherche juridique », dévoile Sonia Cissé, managing associate et experte en nouvelles technologies chez Linklaters.
Retenir les millenials
Chez Hogan Lovells, point de concours mais une même envie de ne pas se cantonner à un seul outil. Le cabinet a ainsi récemment acheté l’accès à Kira, à Lex Machina ainsi qu’à d’autres outils de rédaction de contrats automatisés. « Nous allons continuer à mettre en place ce type d’outils afin de progresser, car nos clients sont eux-mêmes actuellement en pleine transformation digitale, assure Sharon Lewis, associée responsable de la pratique finance chez Hogan Lovells. Il nous était donc impossible de rester sans rien faire ». En parallèle, le cabinet a également créé une plateforme dédiée, HL Engage, qui propose des outils interactifs visant à décoder la législation ainsi que des formations en ligne.
Le but de toutes ces démarches ? Proposer des offres plus compétitives, bien sûr, et recentrer les compétences des avocats sur leur cœur de métier, qui est la stratégie et le conseil, en sous-traitant notamment la recherche juridique et de la revue documentaire. L’organisation des cabinets s’en trouve bouleversée… favorablement. « On passe d’un modèle pyramidal très hiérarchisé à un modèle en fusée, où chacun peut se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée comme l’accompagnement des clients sur leurs enjeux juridiques stratégiques », confirme Eric Fiszelson. De son côté, Isabelle Eid souligne une évolution en adéquation avec la nouvelle génération d’avocats arrivant sur le marché : « Ces outils nous permettent d’attirer et de retenir cette population de millenials beaucoup plus exigeante, pour laquelle le qualitatif prime avant tout et qui comprend qu’elle devra s’appuyer sur ces nouveaux outils d’IA pour participer à la transformation du marché et du métier ». Lesquels devront, en revanche, acquérir de nouvelles connaissances plus technologiques comme le codage et la sensibilisation aux outils, bien souvent via des formations organisées au sein des cabinets. Se réinventer pour devenir des avocats technologues, une réalité touchant même les associés plus « installés » et pouvant paraître anxiogène aux plus traditionalistes d’entre eux… « Mais ce sera justement grâce à ces nouvelles technologies nous permettant de revenir à l’essence même de notre métier que l’on va parvenir à rester humains », tempère Sonia Cissé
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Nations unies - L’Assemblée générale de l’ONU se prononce vendredi sur la «déclaration de New York» visant à donner un nouveau souffle à la solution à deux Etats, israélien et palestinien, mais en excluant sans équivoque le Hamas. Alors qu’Israël fustige depuis près de deux ans l’incapacité de l’Assemblée -- et du Conseil de sécurité -- à condamner les attaques sans précédent du mouvement palestinien du 7 octobre 2023, le texte préparé par la France et l’Arabie saoudite est clair. «Nous condamnons les attaques perpétrées le 7 octobre par le Hamas contre des civils» et «le Hamas doit libérer tous les otages» détenus à Gaza, dit-il. Mais la déclaration, qui avait déjà été co-signée en juillet par 17 Etats, dont plusieurs pays arabes, lors de la première partie d’une conférence de l’ONU sur la solution à deux Etats, va plus loin. «Dans le contexte de l’achèvement de la guerre à Gaza, le Hamas doit cesser d’exercer son autorité sur la bande de Gaza et remettre ses armes à l’Autorité palestinienne, avec le soutien et la collaboration de la communauté internationale, conformément à l’objectif d’un Etat de Palestine souverain et indépendant.» Ce texte a déjà récemment été endossé par la Ligue arabe, une décision saluée par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, comme «une étape majeure dans l’isolement international et régional du Hamas». «Nous espérons le voir adopté à une très large majorité par l’Assemblée» vendredi, a commenté une source de la présidence française, qui voit cette déclaration comme le socle du sommet que Paris et Ryad co-présideront le 22 septembre à l’ONU à New York, où le président Emmanuel Macron a promis de reconnaître l’Etat palestinien. «Bouclier» contre les critiques «Le fait que l’Assemblée générale soutienne enfin un texte qui condamne le Hamas directement est important», même si les Israéliens diront que «c’est bien trop peu et bien trop tard», a souligné Richard Gowan, de l’International Crisis Group. Grâce à ce texte, les pays qui soutiennent les Palestiniens pourront «rejeter les accusations israéliennes selon lesquelles ils cautionnent implicitement le Hamas», a-t-il déclaré à l’AFP. Et cela «offre un bouclier contre les critiques d’Israël» à ceux qui s’apprêtent à reconnaître l’Etat palestinien». A la suite du président Macron, plusieurs pays ont annoncé qu’ils reconnaîtraient l’Etat palestinien lors de la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’ouvre le 22 septembre. Ce processus est vu comme un moyen supplémentaire de faire pression sur Israël pour mettre un terme à la guerre à Gaza, déclenchée par les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. La «déclaration de New York» soumise à l’Assemblée vendredi plaide d’ailleurs aussi pour la «fin de la guerre à Gaza» et un «règlement juste, pacifique et durable du conflit israélo-palestinien reposant sur une mise en oeuvre véritable de la solution à deux Etats». Une position habituelle de l’Assemblée. Dans la perspective d’un futur cessez-le-feu, elle évoque également le déploiement d’une «mission internationale temporaire de stabilisation» à Gaza, sous mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, pour protéger la population, soutenir le renforcement des capacités de l’Etat palestinien et apporter des «garanties de sécurité à la Palestine et à Israël». Environ trois-quarts de 193 Etats membres de l’ONU reconnaissent l’Etat palestinien proclamé par la direction palestinienne en exil en 1988. Mais après près de deux ans de guerre dans la bande de Gaza ravagée, l’extension de la colonisation israélienne en Cisjordanie et les velléités de responsables israéliens d’annexer ce territoire occupé, la crainte que la création d’un Etat palestinien soit physiquement impossible gagne du terrain. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyhu, a lui été très clair: «Il n’y aura pas d’Etat palestinien», a-t-il affirmé jeudi. Et son allié américain avait déjà annoncé que le président palestinien, Mahmoud Abbas, ne serait pas autorisé à venir à New York. Amélie BOTTOLLIER-DEPOIS © Agence France-Presse