« Militant pour la paix, je refuse de travailler avec ceux qui font comme si de rien n’était »

La Capssa met son portefeuille en accord avec ses principes. Jean-Pierre Mottura, le directeur général de l’institution de Prévoyance des agents de la Sécurité Sociale et assimilés, exprime ses convictions et ses choix d’investissement dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne.
Laurence Pochard
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Comment se comporte votre portefeuille de placements depuis le début de l’année? A la fin de 2021, notre portefeuille était valorisé 1,2 milliard d’euros. Notre situation est très favorable. Nous sommes parés pour une réforme des retraites quel que soit l’âge retenu et même sans lissage mais nous pouvons pâtir, comme tous, de phénomènes extérieurs à notre Institution. Nous avons quasiment 100 millions d’euros de plus-values latentes, qui ont beaucoup baissé en ce début d’année. Nous avons aussi passé 5 millions d’euros de provisions à la fin de 2021 à cause de deux procédures judiciaires entamées, avec d’autres investisseurs, contre deux sociétés de gestion à éviter, EuroTitrisation et Horizon AM. Nous ressentons bien sûr l’effet de la guerre en Ukraine sur les marchés: au 30 mars 2022, notre portefeuille global accusait une baisse d’1,63% et présentait une volatilité annualisée de 2,77%. Notre exposition directe à la Russie est très faible, de l’ordre de 0,4%. Nous avons quelques positions dans des OPCVM, comme Gazprom en obligataire dans un fonds d’Hugau Gestion, qui vient de cantonner ce titre. Nous leurs avions demandé s’ils pouvaient sortir de cette entreprise dès la fin février, mais cela n’a été ni voulu ni possible. Quelle décision avez-vous prise pour vous protéger de la situation actuelle? Nous arrêtons d’investir dans des produits illiquides. Même si nous n’avons pas besoin de davantage de liquidités, je ne suis pas confiant. Nous arrêtons tout ce qui est à plus d’un an, comme l’immobilier et le private equity. Pourtant le capital investissement nous a retourné beaucoup de rendement ces dernières années: nous sommes montés jusqu’à 6,2% du portefeuille il y a 18 mois mais nous avons stoppé tout nouvel investissement malgré un taux de rendement interne du portefeuille de 11,2%. Au 30 mars, la classe d’actifs ne représente plus que 4,2% de nos placements. Et pour l’avenir? Nous ne souscrivons plus qu’à des OPCVM liquides mais avec un filtre renforcé sur les sous-jacents. Sur tous les futurs investissements, nous avons décidé d’utiliser des listes d’entreprises créées par une équipe de l’Université de Yale. Les entreprises mondiales sont classées de A à F selon qu’elles se sont retirées totalement, partiellement ou pas du tout du marché russe. C’est un outil gratuit, ouvert à tous. La liste F réunit les pires entreprises, celles qui n’ont pas changé leur stratégie en Russie. On y retrouve Auchan et EDF par exemple, et on y apprend qu’aucun coiffeur de chez Dessange, Mod’s Hair ou Provalliance n’a fermé ses salons sur place! Désormais, quand un produit financier nous intéresse, nous demandons la composition du portefeuille, nous regardons s’il y a des entreprises mal notées, et le cas échéant nous n’y allons pas, alors que certains sont pourtant ESG. Ce n’est pas pour des raisons de performance, c’est un principe humain. En revanche, nous ne remettons pas en cause nos engagements antérieurs. Il faut avoir de vraies valeurs et la finance ne doit pas faire exception. Militant pour la paix, je refuse de travailler avec ceux qui font comme si de rien n’était. Cesser de financer ces entreprises permettra aussi au peuple russe de se rendre compte que son pouvoir le trompe. Les gérants sont très intéressés par la démarche, certains se sont déjà approprié les listes de Yale pour faire des études préalables, ce qui est plus intéressant que de faire des soirées caritatives de soutien à l’Ukraine.

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