Les actionnaires pressent les entreprises de muscler leur stratégie climat

Les gestions n’approuvent plus les «say on climate» présentés par l’émetteur. Amundi n’en a soutenu que 40% et BNPP AM 24%.
Bruno de Roulhac
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Quel bilan tirer des assemblées générales (AG) 2022? A fin juin, «sur les 1.600 assemblées dans le monde auxquelles nous avons participé, nous nous sommes opposés à un tiers des résolutions, comme l’an dernier, confie Michael Herskovich responsable de la politique de vote et d’engagement de BNPP AM. Cette méthode est la plus utile pour faire évoluer les pratiques». Et la pression ne faiblit pas.BNPP AM s’est opposé à 61% des résolutions sur les rémunérations, à 39% sur les résolutions financières, et à 36% sur les administrateurs. A l’avenir, les sujets de rémunérations pourraient de plus en plus constituer un angle d’attaque pour les activistes. «Nous anticipons une généralisation des débats sur le partage de la valeur, plus que sur la seule rémunération des dirigeants. Plus les salariés bénéficieront de plans d’actionnariats, plus les packages des patrons pourront être justifiés; les deux doivent être liés», confie Jean de Calbiac, avocat, associé fondateur du cabinet Avanty. Néanmoins, lors des AG du CAC 40, «le partage de la valeur peine à percer», constate l’Institut du capitalisme responsable. Désormais, le climat irradie sur l’ensemble de la stratégie de l’entreprise et donc sur tous les sujets abordés en assemblée générale. «Quand nous votons à une assemblée, nous regardons la politique climatique, de biodiversité depuis cette année, et l’existence ou non d’engagements net zéro, poursuit Michael Herskovich. Si ces éléments ne répondent pas à nos attentes, nous pouvons nous opposer à la nomination d’administrateurs, au quitus, voire à l’approbation des comptes quand c’est la seule résolution». En 2022, BNPP AM s’est opposée à plus de 1.200 résolutions pour des raisons environnementales ou sociales, dont la grande majorité pour des considérations climatiques ou liés à la biodiversité. Toutefois, la société de gestion a soutenu 89% des résolutions climat déposées par des investisseurs l’an dernier. BNPP AM a elle-même déposé quatre résolutions cette année, contre deux en 2021. Des «say on climate» prématurés Quant au say on climate, résolution de la société sur sa stratégie climat, BNPP AM a soutenu 71% des 21 résolutions de 2021. Mais cette année, sur les 34 résolutions votées, émanant principalement de sociétés britanniques et françaises, le gérant d’actifs n’en a soutenu que 24% (avec 50% d’opposition et 26% d’abstention). Pour sa part, Amundi a voté en faveur de moins de 40% de ces résolutions. «Nous estimons que ces ‘say on climate’ sont prématurés pour beaucoup de sociétés. Nous préférons qu’elles attendent le bon moment pour soumettre un plan suffisamment travaillé, avec des objectifs de réduction de CO2 à court, moyen et long termes», précise Michael Herskovich, rappelant que BNPP AM a établi cette année sa grille de lecture du say on climate. Amundi, qui exige des objectifs exhaustifs, un agenda précis et des moyens identifiés et suffisants pour évaluer sa solidité et sa compatibilité avec l’accord de Paris, affirme qu’il restera investi dans le secteur énergétique, avec la volonté d’accompagner leur transformation. Cette année, TotalEnergieset Volkswagen ont refusé d’inscrire à l’ordre du jour des résolutions climat d’actionnaires. Par ceveto, «les sociétés ne font que gagner du temps sans répondre à l’urgence du défi climatique. En l’absence de métriques partagées et avec le risque de greenwashing, le système actuel n’est pas satisfaisant, d’autant que les actionnaires ont peu d’outils à leur disposition pour faire entendre leur voix. Mais, dans un environnement économique en pleine mutation, les actionnaires sont-ils prêts à payer le prix du défi climatique?» s’interroge Caroline Ruellan, présidente de SONJ Conseil. Le climat doit infuser toute la gouvernance Face à ces refus d’inscription de résolutions climat à l’ordre du jour, de quelles alternatives disposent les investisseurs? En fonction du cadre réglementaire du pays, la seule issue est de saisir la justice, comme l’a récemment déclaré le président de l’AMF, Robert Ophèle. Aux Etats-Unis, la SEC, le régulateur des marchés, est l’autorité compétente pour se prononcer sur ce type de résolution, qui est toujours consultative. En France, la difficulté vient du type de résolution proposée, contraignante, proposant souvent la modification des statuts. «En 2020, la SEC a donné raison à Exxon de ne pas inscrire notre résolution climatique, mais elle l’a acceptée en 2021, rappelle Michael Herskovich. Ce système nous paraît sain et nous militons pour que l’AMF ou une autre autorité indépendante tranche, et non le conseil d’administration. Une autre alternative serait de pouvoir voter sur des points à l’ordre du jour, afin de donner un avis consultatif». Dans tous les cas, la balle est dans le camp de Bercy et du régulateur. L’enjeu climatique «ne doit pas se limiter au rendez-vous annuel de l’assemblée générale,l’urgence ne peut se satisfaire de la temporalité des assemblées générales, poursuit Caroline Ruellan. Il doit réellement infuser dans toutes les instances de gouvernance, direction générale et conseil d’administration.Il passera également par un très fort rajeunissement des conseils, la jeune génération ayant une approche bien plus engagée que leurs aînés sur le climat et un niveau d’information élevé. Exemplarité, formation et pédagogie permettront d’avancer collectivement». D’année en année, le dialogue actionnarial progresse, avec des sociétés de plus en plus ouvertes et attentives aux demandes des investisseurs. «Les sociétés à l’actionnariat dispersé, avec donc un véritable enjeu en AG, sont obligées de passer par le dialogue et de convaincre, reconnaît Michael Herskovich. En revanche, les sociétés contrôlées font peu cet effort. Et en cas de contestation des actionnaires (approbation à moins de 80%), elles ne bougent pas. Outre-Manche, elles vont voir les investisseurs pour corriger le tir». A bon entendeur…

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