
Et si la flambée de l’énergie provoquait l’exode de l’investissement industriel hors d’Europe

Pour l’Europe, la flambée des cours du gaz et du pétrole se traduit par une perte de compétitivité-coût de près de 4 points de PIB vis-à-vis des Etats-Unis, un peu moins vis-à-vis de la Chine. Si les marchés de l’énergie tardent à se rééquilibrer et que cet écart de compétitivité-coût persiste, les économies européennes ne risquent-elles pas un exode de leurs investissements industriels ?
Cet exode verrait notamment les activités à forte intensité énergétique, comme la chimie ou la métallurgie, finir de s’en aller vers les Etats-Unis, ou la Chine comme certains géants allemands du secteur l’ont déjà indiqué. Notons que cette question de compétitivité-coût se pose au moment où les Etats-Unis proposent un « Inflation Reduction Act » qui fait écho à l’initiative « RePowerEU » de la Commission européenne.
Toutes les économies européennes sont pas exposées uniformément à ce choc. Les économies du nord et les grandes économies comme la France ou le Royaume-Uni, qui sont largement des économies de services, semblent l’être moins que les petites économies à l’est du bloc européen. Des pays tels que la Bulgarie ou la Pologne ont non seulement une forte intensité énergétique, mais leur mix énergétique fait la part belle aux énergies fossiles. L’Allemagne est dans une position intermédiaire.
On voit à quel point les coûts élevés de l’énergie divisent déjà l’industrie européenne. La production manufacturière est à un point haut historique, portée par un fort rebond de l’activité dans les secteurs de l’automobile et de la pharmacie. Ces secteurs s’attachent à satisfaire les nombreuses commandes en attente d’exécution, alors que les goulots d’étranglement sur les chaînes de production se desserrent – seulement 10 % du fret maritime est immobilisé en mer, contre 14 % il y a un an. En même temps, la production dans les secteurs à forte intensité énergétique, tels que la chimie, la métallurgie, la raffinerie de produits pétroliers et la fabrication de produits à base de papier, a chuté de plus de 4 % au troisième trimestre en raison de la flambée des prix du gaz. Ensemble, les secteurs à forte intensité énergétique représentent près de 80 % de la consommation de gaz dans l’industrie, mais seulement 20 % de la valeur ajoutée industrielle.
Les marchés européens du gaz et de l’électricité devraient rester tendus pendant au moins deux à trois ans. Les coûts de la réglementation pourraient exacerber la situation si, par exemple, le mécanisme proposé d’ajustement à la frontière pour le carbone ne s’attaquait pas de manière adéquate aux fuites de carbone, en particulier lorsque l’attribution gratuite de permis d’émission cessera progressivement après 2026.
Des points favorables
Cela dit, la compétitivité-coût n’est pas seulement une question d’énergie. Le cours de la devise et les coûts de la main-d’œuvre ont également une incidence. Les économies européennes étant orientées vers l’exportation, la force du dollar américain par rapport aux monnaies européennes pourrait compenser une partie de la perte de compétitivité des coûts du continent. Une dépréciation de la devise cause d’abord un déficit commercial, par renchérissement des importations, qui se comble par la suite lorsque le coût des exportations baisse. En outre, les coûts de la main-d’œuvre ont augmenté plus lentement dans le secteur manufacturier européen qu’aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie. Les millions de réfugiés d’Ukraine et de la région en conflit pourraient contribuer à contenir les pressions salariales dans un contexte de tensions sur les marchés du travail européens et de vieillissement de la population active.
Le temps est un aspect important de la compétitivité aux exportations. Le choc négatif de la hausse des prix de l’énergie est immédiat, tandis que les effets positifs d’une main-d’œuvre moins chère et d’une monnaie plus faible n’apparaîtront que plus tard. Les termes de l’échange de certaines économies européennes pourraient mettre du temps à se rétablir, et un exode industriel, une fois engagé, pourrait être difficile à inverser.
De plus, la démondialisation et le ralentissement de la croissance mondiale pourraient rogner les avantages concurrentiels liés à la dépréciation des devises et à la main-d’œuvre bon marché. La géopolitique actuelle n’est pas propice à l’ouverture. Qui plus est, le ralentissement économique aux Etats-Unis et en Chine, les deux principaux partenaires commerciaux de l’Europe, n’aide pas le Vieux Continent à tirer des avantages significatifs de la dépréciation de sa monnaie en matière d’exportation.
Il va être ardu pour l’industrie européenne de composer avec une énergie durablement plus chère. Mais le tissu industriel européen a d’autres atouts. La monnaie et la main-d’œuvre en sont certainement deux importants. L’efficacité des investissements publics destinés à accélérer la transition verte et numérique (le plan NExtGEn EU) et ceux visant à accélérer la transition énergétique (le plan RePowerEU) prennent une importance capitale.
Plus d'articles du même thème
-
La Fed va reprendre ses baisses de taux en plein bras de fer avec Donald Trump
Les marchés parient sur une diminution de 25 points de base. Mais le Comité monétaire, dont on ne connaissait pas encore la composition lundi après-midi, pourrait faire l’objet de dissensions historiques, avec des voix en faveur d'un doublement de cette baisse, et d’autres pour le maintien des taux. -
La ponction douanière rapporte gros au Trésor américain
Au rythme actuel, les droits de douane pourraient dépasser les 300 milliards de dollars cette année. Mais une telle hypothèse, qui exclut certains effets de bord, impliquerait une répartition coûteuse de ces «taxes» entre les agents économiques, au premier chef les ménages et les entreprises américains. -
La BCE maintient ses taux par souci d’équilibre
Au-delà de cette nouvelle attendue, la question du Conseil des gouverneurs était de savoir si la BCE a terminé son cycle d’assouplissement ou si elle prolonge seulement la pause initiée en juillet avec l’atteinte du taux neutre théorique. Les projections économiques présentées jeudi font plutôt pencher pour la deuxième option.
Sujets d'actualité
ETF à la Une

Kraken étend son offre de trading actions et ETF à l'Union européenne
- Le rachat de Mediobanca menace la fusion des gestions de Generali et BPCE
- Zucman contre Mistral, la France qui perd et la France qui gagne
- Mistral AI lève 1,7 milliard d’euros et accueille ASML à son capital
- Sébastien Lecornu commence son chemin de croix budgétaire avec Fitch Ratings
- Armani pourrait se vendre à un groupe français
Contenu de nos partenaires
-
Etats-Unis : des jeunes saisissent la justice contre Trump, accusé de sacrifier leur avenir climatique
Missoula - Existe-t-il un droit à un futur climatique viable? De jeunes Américains tentent mardi de saisir la justice contre l’administration Trump, qu’ils accusent de bafouer leurs droits fondamentaux en promouvant le pétrole et le gaz. «Cela m’angoisse beaucoup de penser à mon avenir», a confié à l’AFP Eva Lighthiser, plaignante principale, dont la famille a dû déménager pour des raisons climatiques. Pour cette femme de 19 ans, «c’est très difficile à accepter pour quelqu’un qui entre tout juste dans l'âge adulte». Elle témoignera mardi et mercredi aux côtés de 21 autres jeunes, dont plusieurs mineurs, dans le cadre de cette action portée devant un tribunal fédéral à Missoula, dans le Montana, Etat rural du nord-ouest des Etats-Unis. Leur plainte illustre le déplacement croissant du combat climatique sur le terrain judiciaire, souvent à l’initiative de jeunes du même âge. Cet été, ce sont des étudiants de l’archipel du Vanuatu qui ont obtenu une victoire retentissante devant la Cour internationale de justice, plus haute juridiction de l’ONU. Citant des répercussions sur leur santé, le groupe de jeunes Américains attaque des décrets de Donald Trump pour faciliter la production de pétrole et de gaz, entraver celle d'énergies renouvelables et occulter le suivi des effets du changement climatique. Des climatologues, un pédiatre ou l’ancien émissaire climatique démocrate John Podesta témoigneront pour appuyer leur démarche. Ce sera «la première fois» que les plaignants pourront témoigner directement face au nouveau gouvernement républicain sur la façon dont sa politique «provoque la crise climatique et porte préjudice aux jeunes», explique à l’AFP Andrea Rogers, avocate de l’association Our Children’s Trust, qui les représente. Cour suprême conservatrice L’action est pour l’instant au stade procédural: elle vise à obtenir du juge qu’il ordonne la tenue d’un procès. Le gouvernement fédéral, rejoint par 19 Etats conservateurs et le territoire de Guam, réclame un classement sans suite. Bien que le juge, Dana Christensen, soit connu pour des décisions en faveur de l’environnement, les observateurs ne sont pas optimistes. Même en cas de procès, la procédure risque de finir devant la Cour suprême, dominée par les conservateurs. Et l’absence de jurisprudence fédérale forte sur un «droit constitutionnel à un environnement propre» ne joue pas en faveur du mouvement, dit à l’AFP Michael Gerrard, professeur de droit environnemental à l’université Columbia. «Cette Cour suprême est plutôt encline à retirer des droits qu'à en accorder, à moins que vous n’ayez une arme à feu», tranche-t-il. L'équipe juridique garde néanmoins espoir, après de récentes victoires remportées au niveau des Etats. En 2023, un juge du Montana a donné raison à de jeunes plaignants qui contestaient la non-prise en compte du climat dans la délivrance de permis pétroliers et gaziers, estimant que cela violait leur droit constitutionnel à un environnement sain. Un an plus tard, de jeunes militants hawaïens ont obtenu un accord obligeant leur Etat à accélérer la décarbonation du secteur des transports. Mais au niveau fédéral, la balance ne penche pas du côté des militants. L’affaire la plus connue, remontant à 2015, a été close en 2023... par la Cour suprême. Le gouvernement Trump pourrait faire valoir que la question climatique relève du politique et non des tribunaux. Mais, note l’avocate Andrea Rogers, «la question de savoir si le pouvoir exécutif viole les droits constitutionnels des jeunes est précisément le genre de question que les tribunaux tranchent depuis des décennies». Issam AHMED © Agence France-Presse -
Un an après les émeutes, la Martinique renforce son « bouclier qualité-prix » contre la vie chère
Fort-de-France - Un an après les émeutes en Martinique sur fond de mobilisation contre la vie chère, les principaux acteurs de la distribution et les services de l’Etat ont adopté lundi une version étendue du «bouclier qualité-prix» (BQP). «C’est l’aboutissement de trois mois de négociations avec la grande distribution, avec les grossistes importateurs, pour obtenir un bouclier qualité-prix qui soit élargi», a salué le préfet de la Martinique, Etienne Desplanques, à l’issue de la signature de ce dispositif annuel de modération des prix des produits de consommation courante. Il s’agissait d’une des mesures phares inscrites dans le protocole de lutte contre la vie chère, signé le 16 octobre 2024 par le prédécesseur de M. Desplanques et une trentaine d’interlocuteurs locaux, au terme de plusieurs semaines de protestation populaire sur cette île où les produits alimentaires sont en moyenne 40% plus chers que dans l’Hexagone, selon l’Insee. Malgré la signature de ce protocole, les prix ont enregistré en juillet 2025 une progression de 0,8% sur un an en Martinique, indiquait l’institut fin août. «L’Etat s'était engagé à ouvrir une négociation» et «les associations de consommateurs nous le demandaient», a rappelé le représentant de l’Etat. Jusqu’ici limité à 134 articles répartis en quatre «sous-paniers» - produits alimentaires, infantiles, d’hygiène ou d’entretien -, le BQP, dont la nouvelle version entre en vigueur dès mardi, comporte désormais 180 produits, dont 14 fournitures scolaires, catégorie jusqu’ici exclue du dispositif. En outre, une catégorie «BQP bricolage», qui inclut 36 articles vendus dans sept enseignes de l'île, a été créée, en s’inspirant du modèle existant à La Réunion. Ces produits ont été définis «par les associations de consommateurs, qui ont fait état de leurs besoins», s’est félicité Patrick Plantard, le président de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus des Antilles-Guyane, qui prend part chaque année à l'élaboration du BQP. Le dispositif annuel devrait être étoffé d’un «BQP automobile» portant sur les pièces détachées et «les services d’entretien des véhicules», a indiqué le préfet. Les négociations avec les acteurs de ce secteur seront lancées «d’ici quelques semaines», a-t-il précisé. © Agence France-Presse -
Allemagne : la justice se prononce sur le meurtre d’un policier attribué à un Afghan radicalisé
Berlin - Un tribunal allemand doit rendre mardi son jugement concernant un Afghan accusé du meurtre d’un policier, lors d’une attaque aux motivations jihadistes, première d’une série qui avait choqué le pays et contribué à la progression de l’extrême droite. Le procureur a requis une peine de prison à perpétuité pour Sulaiman A., 26 ans, assortie d’une reconnaissance de la gravité particulière de la culpabilité qui rendrait très difficile une libération anticipée. Accusé d’un meurtre et de cinq tentatives de meurtre, l’accusé avait gardé le silence sur le motif de son acte présumé à l’ouverture de son procès, mi-février, dans une salle sécurisée de la prison de Stuttgart-Stammheim (sud-ouest). Le 31 mai 2024 à Mannheim (ouest), sur la place du marché, il s’en était pris à plusieurs membres d’une organisation anti-islam, le Mouvement citoyen Pax Europa (BPE), poignardant l’orateur principal, Michael Stürzenberger, déjà condamné pour incitation à la haine raciale. L’accusé a ensuite donné plusieurs coups de couteau à quatre personnes qui voulaient l’arrêter, avant de s’en prendre à un policier de 29 ans. Une vidéo le montrant en train de frapper l’agent à la tête avait largement circulé sur les réseaux sociaux, accentuant l'émotion. La victime était décédée deux jours plus tard à l’hôpital. Mineur non accompagné Selon les enquêteurs, Sulaiman A., un partisan du groupe jihadiste Etat islamique (EI), aurait décidé au printemps 2024 de commettre un attentat en Allemagne contre des «infidèles». Des médias allemands ont affirmé qu’il était arrivé en Allemagne à l'âge de 14 ans, avec son frère, mais sans leurs parents. Ils se sont vu refuser l’asile mais, en tant que mineurs non accompagnés, ont bénéficié d’un sursis, puis d’un titre de séjour. Le verdict est attendu une semaine après la condamnation à perpétuité d’un Syrien pour une autre attaque jihadiste au couteau, à Solingen, qui avait fait trois morts en août 2024. Espacées de trois mois, ces deux attentats avaient pesé sur les élections législatives de l’hiver suivant, marquées par la progression du parti d’extrême droite AfD. Au cours de la campagne, l’Allemagne a connu d’autres violences meurtrières impliquant des ressortissants étrangers qui ont enflammé le débat sur la politique d’asile et la sécurité. Mi-février, l’ouverture du procès de Sulaiman A. avait d’ailleurs coïncidé avec une attaque à la voiture-bélier à Munich, dont l’auteur présumé est également afghan. Elle a fait 2 morts et 44 blessés graves. Un million de réfugiés Juste avant, fin janvier, un Afghan souffrant de troubles psychiatriques s’en est pris à un groupe d’enfants dans un parc à Aschaffenbourg (sud), poignardant à mort deux personnes, dont un garçon de deux ans. La première économie européenne a accueilli plus d’un million de réfugiés, dont de très nombreux Syriens et Afghans, lors de la crise migratoire de 2015-2016. Mais elle a aujourd’hui définitivement tourné cette page associée à l’ex-chancelière Angela Merkel (2005-2021). Pour enrayer l’ascension de l’AfD, le chancelier conservateur Friedrich Merz a opéré un nouveau tour de vis sur la politique migratoire, instaurant notamment le refoulement des demandeurs d’asile aux frontières. En juillet, sa coalition a organisé le rapatriement de 81 condamnés afghans dans leur pays, malgré la présence au pouvoir des talibans. Samedi, le ministère de l’Intérieur a redit à l’AFP son intention de «permettre des rapatriements réguliers et fréquents vers l’Afghanistan», justifiant ainsi des «discussions techniques» avec les talibans. © Agence France-Presse