
Rémunérations, les patrons de la City à la diète

Sur fond de pandémie et de résultats en berne, les patrons des banques britanniques font des coupes claires dans leurs rémunérations. Depuis le début de la crise sanitaire, tous ont indiqué avoir procédé à des dons, réduit ou abandonné leurs bonus, ou leurs salaires. Mark Tucker, président de HSBC (dont le bénéfice net au premier trimestre a été divisé par deux), va donner environ 1,5 million de livres – la totalité de ses émoluments pour 2020 – à des organisations caritatives soutenant « les travailleurs du secteur de la santé et les personnes vulnérables » au Royaume-Uni et à Hong Kong, les deux principaux pôles d’activité géographiques de la banque. Noel Quinn, son directeur général (DG), et Ewen Stevenson, son directeur financier, feront également don d’un quart de leur salaire cette année, soit respectivement 160.000 et 93.000 livres. Les deux dirigeants de HSBC renonceront également à leurs primes en espèces cette année, qui auraient valu environ 1,4 million et 706.000 livres, respectivement.
« Nous assistons à un niveau record d’incertitudes économiques et les entreprises sont soumises à une pression importante pour réduire leurs dépenses, explique Luke Hildyard, fondateur du High Pay Centre. La réduction de l’enveloppe de rémunération des dirigeants de banques obéit non seulement à un impératif économique mais aussi moral : toute décision de ne pas toucher aux rémunérations serait considérée comme un geste particulièrement insensible en ces temps difficiles pour une majorité de la population. » Afin de montrer « sa solidarité avec les communautés dans lesquelles [la banque] opère », António Horta-Osório, DG de Lloyds Banking Group (qui a publié un bénéfice net trimestriel en forte baisse), a renoncé à percevoir sa prime cette année, à l’instar des autres dirigeants de l’établissement de crédit. « A la place de ces mesures exceptionnelles qui ne se manifestent qu’en temps de crise, observe le fondateur du High Pay Centre, il serait préférable que nous assistions à des transformations permanentes en matière de gouvernance des banques. » De leur côté, Jes Staley et Tushar Morzaria, respectivement DG et directeur financier de Barclays (dont le bénéfice net a lui aussi chuté au premier trimestre), ont demandé à ce que toute hausse de leur rémunération fixe soit reportée au moins jusqu’en 2021. Le versement de la première partie de leur plan d’intéressement à long terme (LTIP), qui devait intervenir en juin 2020, a aussi été différé à mars 2021.
Poids du régulateur
Les banques ne sont d’ailleurs pas les seules à avoir multiplié les gestes : 37 % des entreprises du FTSE 100, l’indice des 100 principales capitalisations boursières outre-Manche, ont réduit la rémunération de leurs dirigeants et 33 % ont suspendu le paiement des dividendes, indique une étude du High Pay Centre. Mais à la différence d’autres secteurs, le régulateur, ainsi que les investisseurs, ont largement pesé sur ces décisions. Le 31 mars, l’autorité de supervision prudentielle britannique, la PRA (Prudential Regulation Authority), sous l’égide de la Banque d’Angleterre, a demandé aux établissements de crédit britannique de suspendre les dividendes afin de renforcer leur trésorerie et a incité les dirigeants à renoncer au versement de bonus en cash sous peine de sanctions. La PRA s’attend aussi à ce que les banques « prennent des mesures appropriées relatives à l’accumulation et au paiement des rémunérations variables au cours des prochains mois ». « La seule réduction des bonus en ‘cash’ est pour nous une source d’inquiétude, explique Thomas Bolger, analyste senior stewardship au sein du cabinet d’études Minerva Analytics, car cela ne représente qu’une partie relativement modeste de leur enveloppe de rémunération, la partie la plus importante étant constituée d’actions différées. » Affectés par la suspension des dividendes, les investisseurs y sont également allés de leurs recommandations. « Les comités de rémunération devront trouver un équilibre délicat entre la nécessité de continuer à encourager les performances des dirigeants, à un moment où il est demandé aux équipes de direction de faire preuve d’un leadership et d’une résilience importants, et de veiller à ce que l’expérience des dirigeants soit proportionnée à celle des actionnaires, des employés et des autres parties prenantes », a fait savoir The Investment Association (IA), dont les membres gèrent plus de 7.700 milliards de livres d’encours.
Le sujet des bonus et des salaires a toujours été une source de tension entre régulateurs et banques britanniques : outre la mise en œuvre de la réglementation européenne en matière de plafonnement des bonus en 2015 outre-Manche, le Royaume-Uni a également introduit plus tard une règle de reprise (clawback) des bonus des dirigeants les plus seniors jusqu’à dix ans après leur versement en cas de mise au jour de mauvaise conduite ou d’erreurs graves. Malgré ces restrictions, les niveaux de rémunération restent élevés. En 2019, une analyse comparative des émoluments des dirigeants de banques britanniques et de ceux de leurs salariés avait mis en lumière de fortes disparités : au total, l’ensemble des dirigeants percevait en moyenne 120 fois plus que la rémunération médiane de leurs salariés au Royaume-Uni. L’écart le plus important revenait à Lloyds Banking Group ; son DG António Horta-Osório percevant 169 fois plus que le salarié médian de la banque (37.058 livres). Et l’écart avec les autres secteurs n’est pas non plus négligeable : selon des calculs réalisés par Minerva Analytics, la rémunération totale des banques cotées sur le FTSE 100 a été, en moyenne, 51 % plus élevée que celle des autres entreprises de l’indice boursier au cours des cinq dernières années au moment de l’attribution, et 36 % au moment du règlement.
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Le procès de Bolsonaro « n'était pas une chasse aux sorcières », répond Lula à Trump
Brasilia - Le procès de l’ancien président d’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro «n'était pas une chasse aux sorcières», a assuré dimanche l’actuel chef de l’État brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, en réponse aux critiques de son homologue américain Donald Trump. Dans sa première réaction après la condamnation à 27 ans de prison de son opposant, Lula s’est dit «fier de la Cour suprême du Brésil pour sa décision historique» et a affirmé, dans une tribune publiée par le quotidien américain New York Times, que «ce n'était pas une chasse aux sorcières». Le président Trump a qualifié cette semaine la condamnation de Jair Bolsonaro à 27 ans de prison de «très surprenante». Lula a intitulé son texte : «La démocratie et la souveraineté du Brésil ne sont pas négociables». Il est confronté à une crise diplomatique avec les États-Unis en raison du procès contre M. Bolsonaro, principal dirigeant de la droite et de l’extrême droite au Brésil et proche allié de Donald Trump. Le président américain a puni le Brésil en lui imposant des droits de douane de 50%, parmi les plus élevés au monde, sur une grande partie de ses produits. Plusieurs magistrats de la Cour suprême brésilienne font également l’objet de sanctions de la part de Washington pour leur gestion de l’affaire Bolsonaro. L’ancien président, âgé de 70 ans, a été condamné cette semaine pour avoir dirigé un complot infructueux visant à empêcher l’investiture de Lula, qui l’a devancé aux élections de 2022. «Le jugement est le résultat de procédures menées conformément à la Constitution brésilienne de 1988, promulguée après deux décennies de lutte contre une dictature militaire», a poursuivi Lula dans ce texte publié en anglais. «Des mois d’enquête (...) ont révélé des plans visant à m’assassiner, ainsi que le vice-président et un juge de la Cour suprême», a-t-il ajouté. «Les autorités ont également découvert un projet de décret qui aurait effectivement annulé les résultats des élections de 2022.» Relation «de plus de 200 ans» «Lorsque les Etats-Unis tournent le dos à une relation vieille de plus de 200 ans, comme celle qu’ils entretiennent avec le Brésil, tout le monde y perd», a ajouté Lula. «Président Trump, nous restons ouverts à toute négociation susceptible d’apporter des avantages mutuels. Mais la démocratie et la souveraineté du Brésil ne sont pas négociables». Donald Trump, pour sa part, a déclaré après la condamnation de M. Bolsonaro que ce procès rappelait «vraiment ce qu’ils ont essayé de me faire», en référence à ses propres problèmes judiciaires après la prise du Capitole à Washington par ses partisans, le 6 janvier 2021. La justice brésilienne a tenu l’ancien président pour responsable d’avoir incité à l'émeute du 8 janvier 2023 contre les sièges des pouvoirs publics à Brasilia. Jair Bolsonaro se dit victime de «persécution» et sa défense a annoncé qu’il ferait appel du jugement de la Cour suprême, y compris devant les instances internationales. Dimanche, lors de sa première apparition publique après sa condamnation, il a quitté son domicile pendant quelques heures avec l’autorisation de la justice pour subir une biopsie cutanée. A sa sortie d’un hôpital de Brasilia, il ne s’est pas adressé à la presse et s’est contenté d’observer les dizaines de sympathisants qui l’attendaient avec des drapeaux brésiliens et en chantant l’hymne national. Jair Bolsonaro garde le silence depuis fin juillet, date à laquelle la Cour suprême lui a interdit de s’exprimer sur les réseaux sociaux, estimant qu’il les avait utilisés pour entraver la justice. «Huit lésions cutanées ont été retirées et envoyées en biopsie pour évaluation», a déclaré le docteur Claudio Birolini à la presse. «En raison de toutes les interventions chirurgicales qu’il a subies et de la situation actuelle, (Bolsonaro) est assez affaibli», a-t-il ajouté. L’ancien président a subi plusieurs opérations en raison de complications liées à un coup de couteau à l’abdomen reçu en 2018, alors qu’il était candidat. La Cour suprême doit examiner les recours déposés par la défense de M. Bolsonaro avant d'éventuellement l’envoyer en prison. L’ancien président pourrait demander à purger sa peine à domicile, invoquant son état de santé. © Agence France-Presse -
Sébastien Lecornu « sera censuré, dans quelques semaines ou quelques mois », prévient Marine Le Pen
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Turquie : avant une audience cruciale pour le CHP, des dizaines de milliers de personnes défilent à Ankara
Ankara - Des dizaines de milliers de personnes ont défilé dimanche à Ankara, à la veille d’une audience cruciale devant la justice pour le CHP, le principal parti d’opposition au président turc Recep Tayyip Erdogan, dont la direction pourrait être chamboulée en raison d’une accusation de fraudes. L’audience est prévue pour débuter à 10h00 heure locale (07h00 GMT), devant le 42e tribunal civil de première instance de la capitale turque. Selon certains observateurs, l’affaire s’apparente à une tentative des autorités de saper le plus ancien parti politique de Turquie, qui a remporté une énorme victoire contre l’AKP (Parti de la justice et du développement, conservateur) du président Erdogan aux élections locales de 2024 et gagne en popularité dans les sondages. Le CHP (Parti républicain du peuple, social démocrate) rejette les accusations et estime que le gouvernement tente de l’affaiblir en tant que force d’opposition. Sa popularité a augmenté depuis qu’il a organisé les plus grandes manifestations de rue de Turquie en une décennie, déclenchées par l’emprisonnement en mars de son candidat à la présidence de la République, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu. «Fraude électorale» L’audience doit statuer sur la possible annulation des résultats du congrès du CHP en novembre 2023. Pendant ce congrès, les délégués avaient évincé le président de longue date du parti, Kemal Kilicdaroglu, tombé en disgrâce, et élu Özgür Özel. L’acte d’accusation désigne M. Kilicdaroglu comme étant la partie lésée et réclame des peines de prison pouvant aller jusqu'à trois ans pour M. Imamoglu et 10 autres maires et responsables du CHP, accusés de «fraude électorale». Si la justice le décidait, M. Özel pourrait donc se voir démettre de ses fonctions à la tête de cette formation. Le 2 septembre, un tribunal a destitué la direction de la branche d’Istanbul du CHP en raison d’accusations d’achats de votes au cours de son congrès provincial et nommé un administrateur pour prendre le relais. Cette décision, qui a été largement perçue comme pouvant faire jurisprudence, a déclenché de vives protestations et entraîné une chute de 5,5% de la Bourse, faisant craindre que le résultat de lundi ne nuise également à la fragile économie de la Turquie. Si le tribunal d’Ankara déclarait les résultats du congrès du CHP nuls et non avenus, cela pourrait annoncer le retour de son ancien leader Kemal Kilicdaroglu, qui a accumulé une série de défaites électorales ayant plongé le parti dans une crise. Dans une tentative de protéger sa direction, le CHP a convoqué un congrès extraordinaire le 21 septembre. Si le tribunal destituait M. Özel et rétablissait M. Kilicdaroglu, les membres du parti pourraient donc tout simplement réélire Özgür Özel six jours plus tard. «Ce procès est politique» À la veille de l’audience, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées en soutien au CHP dans le centre de la capitale turque. «Ecoute cette place Erdogan», a lancé M. Özel dimanche soir devant les manifestants qui scandaient «Erdogan, démission !». «Aujourd’hui, nous sommes confrontés aux graves conséquences de l’abandon du train de la démocratie par le gouvernement démocratiquement élu en Turquie, qui a choisi de gouverner le pays par l’oppression plutôt que par les urnes. Quiconque représente une menace démocratique pour lui est désormais sa cible», a affirmé M. Özel. «Ce procès est politique, les allégations sont calomnieuses. C’est un coup d'État et nous résisterons», a-t-il martelé. «Il ne s’agit pas du CHP mais de l’existence ou de l’absence de démocratie en Turquie», a déclaré pour sa part Ekrem Imamoglu aux journalistes vendredi, après avoir comparu devant un tribunal pour des accusations sans lien avec cette affaire. Lorsque Özgür Özel a pris sa direction en novembre 2023, le CHP était en crise mais, en mars 2024, il a conduit le parti à une éclatante victoire aux élections locales. Depuis l’arrestation du maire d’Istanbul en mars dernier, M. Özel a su galvaniser les foules, s’attirant les foudres du pouvoir en organisant chaque semaine des rassemblements, jusque dans des villes longtemps considérées comme des bastions du président Erdogan. Burcin GERCEK © Agence France-Presse