Un hypothèse d’inflation faible lie les taux et les actions

L’analyse de... Michala Marcussen, chef économiste, Groupe Société Générale

Michala Marcussen, chef économiste, Groupe Société Générale

La pente de la courbe des taux obligataires aux Etats-Unis s’aplatit actuellement vers des niveaux jamais atteints depuis 2007. Cet aplatissement de la courbe est souvent considéré comme un signe d’arrivée à maturité du cycle économique, allant de pair avec un durcissement de la politique monétaire. L’inversion de la courbe est considérée comme un signe avant-coureur de récession. Par ailleurs, le niveau de taux long demeure aujourd’hui très faible à 2,35 % sur le 10 ans, par rapport à une moyenne de 4 % en 2007.

Le contraste entre, d’une part, le faible niveau des taux d’intérêt et l’aplatissement actuel de la courbe des taux et, d’autre part, la solide performance des marchés actions aux Etats-Unis, en progression de près de 20 % depuis le début de l’année sur le Dow Jones, représente une énigme. Peu d’éléments attestent que les investisseurs en actions estiment que l’expansion actuelle devrait s’interrompre sous peu. Pour décortiquer cette énigme, la décomposition classique du rendement obligataire dans ses trois principales composantes s’avère utile : (1) l’évolution attendue des taux réels de la politique monétaire, (2) l’évolution attendue du taux d’inflation et (3) la prime de terme, qui reflète le degré d’incertitude perçu par rapport aux évolutions futures des deux premières composantes.

Le premier facteur à prendre en compte est le faible niveau attendu des taux réels de la politique monétaire ou, dans une perspective à moyen terme, le faible niveau du taux d’intérêt neutre. Le taux d’intérêt réel neutre est souvent lié au potentiel de croissance économique, de sorte que la baisse de l’un entraîne la baisse de l’autre. Même si le raisonnement se défend, il faut souligner que l’écart entre les deux est aujourd’hui très élevé. Les économistes prévoient une croissance potentielle pour l’économie américaine autour de 2 %, contre 3 % préalablement à la crise. Le consensus sur le taux d’intérêt neutre a chuté d’avantage, passant de 2,5 % à 0,5 %. Pour expliquer cet écart, on peut citer plusieurs facteurs : la démographie, l’excédent d’épargne et le ralentissement de la transmission de la politique monétaire. Le fin mot de l’histoire reste que ce déclin du taux neutre n’a pas été accompagné d’un déclin similaire des anticipations de croissance à long terme.

Le deuxième facteur, ce sont les anticipations d’inflation. Elles demeurent faibles. Elles sont à la fois favorables aussi bien aux prix des actions qu’aux prix des obligations. Le fait que l’inflation et l’évolution des salaires restent aussi faibles, alors que l’économie américaine est proche du plein emploi, est toujours un mystère. La mondialisation, les nouvelles technologies, la composition sectorielle de la création d’emplois et les effets à retardement de la période précédente de faible inflation sont tous des explications possibles.

Dernier élément, la prime de terme demeure négative, ce qui signale peu d’inquiétudes en ce qui concerne une surprise haussière, à la fois sur les taux de la politique monétaire ou l’inflation future. N’oublions pas cependant que l’assouplissement quantitatif des banques centrales a compressé la prime de terme. Il est significatif que depuis que la Réserve fédérale a annoncé son intention de réduire la taille de son portefeuille obligataire, la prime de terme sur les bons du Trésor américain s’est encore réduite.

Cette décomposition montre que la configuration actuelle du marché obligataire n’est pas incompatible avec celle sur les marchés d’actions sous certaines conditions, et principalement que l’inflation américaine demeure faible. Des membres de la Réserve fédérale ont mis en garde sur le fait que certains aspects de l’environnement d’inflation actuellement plus faible sont transitoires. De plus, si l’administration Trump tient ses promesses en termes de réforme de la fiscalité et de relance budgétaire au moment où l’économie américaine approche du plein emploi, le risque d’une surprise à la hausse sur l’inflation s’accroîtra.

Une augmentation, même modeste, de la croissance des salaires et de l’inflation pourrait modifier considérablement les attentes du marché obligataire et entraîner une réévaluation douloureuse des actifs à risque, parallèlement à une appréciation du dollar américain. De plus, dans un tel scénario, la Réserve fédérale aurait des difficultés, dans un premier temps, à répondre à un effondrement des marchés financiers par un assouplissement de la politique monétaire, entraînant ainsi une érosion du « Yellen-put ». Le comble serait que l’inflation que les banques centrales ont eu tant de mal à restaurer pose alors un risque significatif pour la stabilité financière.

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