
L’intelligence artificielle promet une révolution à la gestion active
Arnaud de Servigny, fondateur de Bramham Gardens*
Après avoir inventé la gestion passive, les gestionnaires doivent-ils maintenant réinventer la gestion active ? Depuis la crise de 2008, la gestion passive a pris un essor considérable selon deux directions : d’une part en offrant des solutions investissables répliquant des indices qui obéissent à des règles prédéterminées dans des conditions de liquidité remarquables pour des coûts modiques, et d’autre part en proposant des paniers de titres caractérisés par des styles de gestion ou des propriétés d’actifs bien définis (momentum, taille des sociétés, dividendes, etc.).
Dans le cadre de ces approches, la gestion s’est industrialisée et s’est systématisée, au point que l’on pourrait finir par croire, à l’extrême, que produire des savons ou produire des instruments de gestion reviendrait à peu près au même.
Cette vision naïve néglige un constat primordial : le prix d’un actif est au croisement de données objectives et quantifiables, comme un volume de ventes ou un niveau d’endettement, et de données comportementales beaucoup plus évanescentes, tel le degré d’aversion aux risques des investisseurs. Cette dimension comportementale joue pourtant un rôle considérable dans la dynamique des marchés financiers. Fondamentalement, elle explique pourquoi il y a si peu de lois de la nature qui concourent à la formation des prix.
A partir du moment où l’on a compris que l’expression agrégée de l’appétit des investisseurs pour le risque évolue sans cesse au gré de multiples facteurs, toute décision de gestion doit se situer dans ce contexte qui requiert souplesse et adaptabilité. Jusqu’à présent, ces deux qualités étaient exclusivement le fait du cerveau humain qui a une grande capacité à synthétiser sous forme d’intuitions des données nombreuses, changeantes et diverses. Pourtant, au cours des dernières années, on a eu un peu l’impression qu’il y avait trop de facteurs à prendre en compte et que beaucoup des gestionnaires d’actifs, notamment dans le cas des sociétés les plus grandes, n’arrivaient plus à apporter de la valeur de manière stable et durable.
Avec l’avènement du machine learning (littéralement, machines apprenantes), le traitement systématique d’une l’information abondante associé à un auto-apprentissage continuel de nouvelles règles devient possible. Il n’est pas question ici de considérer qu’une machine peut s’emparer d’une question et la traiter sans l’humain, mais plutôt que l’humain peut bénéficier d’un exosquelette puissant qui lui permet d’absorber un nombre très important de données, de discerner des motifs répétitifs enfouis dans un fatras bruité, d’assimiler des tendances subtiles sans a priori. Cette analyse évolutive des mécanismes de formation des prix constitue un pas en avant très considérable aussi bien par rapport à la gestion active traditionnelle purement qualitative que vis-a-vis d’une gestion passive plus naïve.
Il ne nous paraît pas judicieux de penser que la gestion puisse devenir une industrie d’automates sans humains, en revanche le tournant à venir est qu’elle va s’assimiler beaucoup plus à une industrie lourde dans laquelle le rôle respectif des gestionnaires et celui des algorithmes seront amenés à évoluer considérablement. Et au total, l’objectif ultime reste bien celui de décrypter la réaction parfois déconcertante des investisseurs en dernier ressort personnes physiques à des faits mesurables, des tendances, des modes ou des surprises positives ou négatives, pour mieux assimiler les mécanismes de formation des prix.
A brève échéance, deux enseignements seront à tirer de cette évolution. D’une part la gestion ne va pas s’arrêter aux ETF (exchange-traded funds) et aux primes de risque, comme un marketing efficace nous le laisserait parfois espérer ou craindre ; dans ces conditions, il convient de ne pas rapporter toutes les formes de gestion à ces canons relativement sommaires. D’autre part, nous sommes encore aux prémices de l’intelligence artificielle. Dans ce nouveau monde, corrélations, régressions linéaires, droite de marché font figure d’archaïsmes. Après des dizaines d’années où tout le monde s’était mis à penser de la même manière, formé par les mêmes programmes de finance au sein d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, c’est avec plaisir que nous voyons émerger une explosion de diversité. Cela constitue certainement un phénomène positif sur le plan macroprudentiel, en ce sens que le risque systémique devrait en conséquence se réduire. Cette évolution recèle d’autre part de nouvelles promesses dont celle de produire de la surperformance avec une certaine stabilité, et ce d’autant plus que la gestion passive a le vent en poupe. Enfin, il n’est pas du tout évident que les acteurs les plus importants du secteur soient d’emblée les gagnants de cette évolution car contrôle des coûts, innovation et flexibilité sont des qualités qui ne sont pas très faciles à conjuguer dans les grandes organisations.
*Laboratoire d’intelligence artificielle dédié à la gestion d’actifs. Arnaud de Servigny est aussi professeur associé à Imperial College, Londres. {"title":"Il ne nous para\u00eet pas judicieux de penser que la gestion puisse devenir une industrie d\u2019automates sans humains»,"name":"","body":"","image":0,"legend":"","credit":""}
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