Les préférences ESG posent un défi aux gérants

Dès le 2 août, les distributeurs devront demander aux épargnants leurs préférences en matière de durabilité. A la clé, des conséquences en cascade pour les sociétés de gestion.
Agnès Lambert
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 -  Bloomberg

Une petite révolution au cœur de l’été. A partir du 2 août 2022, les distributeurs de produits financiers devront demander à leurs clients leurs préférences en matière de durabilité, en plus des traditionnelles questions sur leur profil financier. « La révision de la directive MIF 2 (Marchés d’instruments financiers) du 21 avril 2021 concerne au premier chef les distributeurs. Mais elle a en réalité aussi des répercussions majeures à la fois pour les sociétés de gestion et les émetteurs », décrypte Pierre Moulin, responsable mondial des produits et du marketing stratégique de BNP Paribas Asset Management.

Les sociétés de gestion sont sur le pont depuis des mois car elles devront fournir des informations sur leurs fonds afin que les distributeurs puissent proposer à leurs clients des produits répondant à leurs préférences ESG (environnement, social, gouvernance). Il s’agit en quelque sorte de faire coïncider l’offre et la demande.

Pour identifier leurs préférences en matière d’ESG, les épargnants devront se prononcer sur trois questions : la proportion d’actifs durables souhaités ; leur souhait quant à l’alignement du fonds avec la taxonomie européenne et la prise en compte des principaux impacts négatifs. Ces questions leur seront posées, sous une forme restant encore à définir, par les distributeurs. « La Financière de l’Echiquier est à la fois producteur et distributeur. Ces deux casquettes nous permettent de mieux appréhender les enjeux des préférences ESG », note Caroline Farrugia, directrice de la conformité et du contrôle interne de La Financière de L’Echiquier, dont le questionnaire client est en voie de finalisation.

La charrue avant les bœufs

L’une des difficultés de la mise en place de cette nouvelle réglementation tient dans le fait que les contours exacts des questions qui seront posées aux épargnants restent flous. « Nous ne disposons pas aujourd’hui de toutes les informations nécessaires permettant de déterminer comment se positionnent nos fonds par rapport à ces trois questions », confirme Augustin Vincent, responsable de la recherche ESG de Mandarine Gestion.

Car la réglementation met la charrue avant les bœufs. « Les sociétés de gestion mettent tout en œuvre pour bien comprendre et appliquer les textes afin d’être prêtes à donner les caractéristiques de leurs fonds en matière de durabilité dès le 2 août, même s’il ne s’agira que d’un premier jet, qui sera ensuite progressivement amélioré », indique Adina Gurau Audibert, chef du pôle gestion et management à l’Association française de la gestion financière (AFG). L’AFG a répondu à la consultation de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) sur son projet de lignes directrices sur les préférences ESG. L’Esma devrait publier ses conclusions après l’été, donc après la date fatidique du 2 août.

« Nous souhaitons notamment l’intégration d’une question additionnelle en amont des autres : ‘Avez-vous des préférences spécifiques de durabilité’, explique Ana Pires, directrice de l’investissement responsable à l’AFG. Cela permettrait notamment de pouvoir proposer l’ensemble des gammes ESG aux clients n’ayant pas de préférence spécifique de durabilité, sans entrer dans la complexité du questionnement détaillé. »

Car ces questions, simples en apparence, soulèvent toute une batterie d’interrogations au niveau des sociétés de gestion. « En l’absence de définition de place de l’investissement durable, chaque société de gestion se réfère à ses propres critères pour déterminer dans quelle mesure ses fonds sont durables, relève Pascale Auclair, secrétaire générale du groupe La Française. Nous avons décidé d’y répondre en nous appuyant sur la prise en compte des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. » Cette question se télescope par ailleurs avec la définition des fonds articles 8 et 9 au sens du règlement SFDR.

Prudence

Plus complexe encore est la problématique de l’alignement des fonds avec la taxonomie européenne. « Seuls deux des six piliers de la taxonomie environnementale sont aujourd’hui définis de façon granulaire : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique », confirme Pierre Moulin chez BNP Paribas Asset Management. Sans compter le difficile accès à l’information. « L’alignement des activités avec la taxonomie européenne a vocation à être fourni par les émetteurs. Mais seule une poignée d’entre eux communique pour l’instant à ce sujet. Nous sommes donc amenés à utiliser des estimations », poursuit-il.

Chaque difficulté en entraîne d’autres en cascade. « Il est compliqué aujourd’hui de calculer sereinement des taux d’alignement pour nos fonds, et donc aussi de fixer des taux d’engagement minimum sur cet alignement dans les prospectus, résume Pascale Auclair à La Française, qui a opté pour une approche pragmatique. Nos premiers objectifs seront donc peu ambitieux, avec des taux d’alignement très conservateurs pour de nombreux fonds, afin de ne pas risquer d’être en infraction. »

Même circonspection ailleurs, comme l’évoque Anne-Claire Imperiale, responsable engagement et ESG de Sycomore Asset Management : « Il paraît prudent de commencer par afficher, dans les prospectus, un alignement minimum à la taxonomie de 0 % dans l’attente des publications de ces données par les émetteurs. Néanmoins, pour certains fonds dont le processus priorise clairement des activités alignées, nous pourrons afficher des niveaux supérieurs à 0 %. »

Mais toutes les sociétés de gestion seront-elles sur la même longueur d’ondes ? « Le risque de greenwashing existe. Nous ne sommes pas à l’abri qu’un acteur à l’approche audacieuse affiche des taux d’alignement particulièrement élevés alors qu’en l’absence de données suffisantes et pertinentes, le bon sens implique de partir d’un taux d’alignement très faible, voire nul », prévient Caroline Farrugia, de La Financière de l’Echiquier.

Enfin, le sujet des principales incidences négatives (PAI), comme les émissions de gaz à effet de serre ou d’eau, prises en compte par les fonds est lui aussi loin d’être limpide. « Il s’agit de déterminer pour chaque fonds si le processus de gestion intègre la prise en compte de chacune des PAI. Nous travaillons actuellement à une matrice permettant de répondre à cette question », précise Augustin Vincent, chez Mandarine Gestion.

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