
Les investisseurs ESG examinent au cas par cas les entreprises exposées à la Russie

Face à l’invasion russe en Ukraine, les pays occidentaux ont durci les sanctions économiques et plusieurs grandes entreprises étrangères ont choisi de cesser leurs activités en Russie. Les investisseurs responsables s’interrogent sur leur rôle à jouer dans cette crise alors qu’ils risquent de financer certains groupes (énergie, transport, matière première, banque) liés à des entreprises d’Etat qui soutiennent le régime. Si la sortie d’actifs russes se comprend facilement, le choix de désinvestir d’entreprises étrangères installées en Russie est plus compliqué.
« Nous n’avons aucune exposition directe à la Russie mais en tant qu’investisseurs dans le CAC 40, nous sommes exposés par ricochet à des entreprises françaises qui ont des filiales en Russie, comme Renault, Société Générale ou Crédit Agricole. Nous appliquons un filtre ESG à nos investissements, mais ici les entreprises subissent une situation dont elles ne sont pas responsables », estime Antoine Leroy, directeur général délégué du groupe Agrica.
Mêmes interrogations chez AG2R La Mondiale qui n’a pas d’exposition directe. « Nous préférons attendre un peu et laisser du temps à des sociétés comme Engie, Total ou la Société Générale pour voir de quelle façon la situation évolue et disposer de davantage d’informations. C’est une question qui sera traitée aux assemblées générales avec plus de recul », affirme Jean-Louis Charles, directeur des investissements et du financement.
Les investisseurs responsables réunis sous la bannière des PRI (Principles for Responsible Investment), soutenus par les Nations unies, travaillent actuellement à une approche commune. Les répercussions pourraient être nombreuses. « Nos travaux en cours sur le climat, les droits de l’homme et les questions sociales, ainsi que la politique européenne au sens large, sont directement touchés par la situation actuelle. Nous analyserons plus en détail les implications sur la transition énergétique, le paquet Fit for 55 et les implications plus larges en matière de droits de l’homme », déclare David Atkins, directeur des PRI.
Des gérants d’actifs indécis
La question s’avère technique et délicate pour les sociétés de gestion. Leurs stratégies d’investissements sont généralement construites et évaluées par rapport à un univers de titres présélectionnés, et la possibilité de dévier drastiquement de la composition du panier de référence est un risque qui peut se payer cher. Ne plus mettre de TotalEnergies dans un fonds de grandes capitalisations françaises serait un choix lourd qu’une société de gestion devrait défendre auprès des porteurs de parts.
Sur les aspects purement ESG et de dialogue actionnarial, de nombreux gérants n’ont pas encore de positions claires ou préfèrent attendre. Chez Ecofi et Sycomore AM, le sujet est sur la table. L’analyse ne fait que débuter. Au-delà de l’application des sanctions financières, le retrait du marché russe par les entreprises s’évalue au cas par cas. «Nous les interrogerons sur leurs intentions en matière de projet d’investissement ou de financement [et] nous serons particulièrement attentifs à leurs réponses et au contexte de celles-ci», indique Pierre Valentin, président du directoire d’Ecofi.
Préserver les populations
L’engagement pour une valeur, ici le droit international, ne doit pas non plus se faire au détriment d’une autre. «Notre objectif est de comprendre comment les entreprises exposées en Russie s’approprient le contexte actuel, en application de leur devoir de vigilance et en répercussion des sanctions internationales. Nous cherchons à minimiser les impacts négatifs que les décisions prises par les entreprises pourraient avoir sur l’ensemble des parties prenantes et en particulier la population. A titre d’exemple, il ne serait pas responsable d’exiger d’une entreprise de distribution alimentaire ou un laboratoire pharmaceutique d’arrêter toute activité en Russie : l’accès des populations aux produits de première nécessité ne doit pas être remis en cause», explique Anne-Claire Imperiale, responsable ESG et engagement chez Sycomore. Le dirigeant d’Ecofi va un peu plus loin, en déclarant que sa société «ne demandera pas à ces entreprises de cesser toute activité commerciale en Russie».
Le respect du droit international, des droits de l’homme et des libertés fondamentales est souvent traité au cas par cas par les investisseurs. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, sans mandat de l’ONU, n’avait pas entraîné de boycott des valeurs américaines. En Birmanie dont TotalEnergies s’est retiré après une longue controverse, l’appréciation du groupe et de ses relations a évolué avec le temps. « TotalEnergies, compte tenu des liens entre ses activités et la junte militaire via la société Moge, a décidé de se retirer du pays en janvier dernier, notamment suite à la pression de ses parties prenantes. Nous avions initié une coalition d’investisseurs dont l’objectif était de veiller à ce que les flux financiers générés par les activités de TotalEnergies en Birmanie ne profitent pas à la junte militaire », relate Anne-Claire Imperiale chez Sycomore. Le sujet ne fait peut-être que commencer avec la Russie.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse