Impact ou risque, la notation ESG doit changer de paradigme

Bernhard Bartels, responsable de l’analyse ESG chez Scope Ratings

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Bernhard Bartels, responsable de l’analyse ESG chez Scope Ratings

Le reporting ESG (environnement, social, gouvernance) évalue les risques financiers liés à la durabilité auxquels sont exposées les entreprises, mais omet de quantifier l’impact que les entreprises elles-mêmes ont sur le monde extérieur. Les notations ESG s’appuient actuellement sur un modèle qui donne une place prépondérante aux questions de gouvernance, notamment parce que ces questions de gouvernance ou de conformité comportent des risques immédiats pour les entreprises concernées, pour leur image ou pour leur chiffre d’affaires ; ce sont des risques qui concernent directement les investisseurs.

Il existe une nette différence entre risque et impact, qui explique pourquoi le constructeur de voitures électriques Tesla est exclu de l’indice S&P 500 ESG, alors que le géant pétrolier Exxon Mobil en fait partie. Les structures de gouvernance exemplaires souvent observées dans le secteur gazier et pétrolier compensent l’impact négatif des modèles économiques de ces entreprises sur l’environnement, comme le reflètent les notes ESG très différentes attribuées par MSCI à Shell (AA, « Leader ») et Volkswagen (B, « Laggard », ou « retardataire »).

S’agissant des risques ESG, les évaluations montrent en priorité les répercussions financières sur l’entreprise concernée. Les impacts ESG concernent, eux, les retombées environnementales et sociétales des activités d’une entreprise et de ses produits. Or, bon nombre d’investisseurs et d’utilisateurs des notations ESG ne remarquent pas l’absence du volet impacts dans les notations ESG conventionnelles. Cela crée des malentendus. Même les gérants de fonds article 9 – parfois appelés fonds à impact – sélectionnent en partie leurs actifs à l’aide des reporting ESG, qui évaluent pourtant en priorité le risque ESG.

Pourquoi les notations ESG resserrent-elles autant le prisme de leur analyse sur les risques ESG, au détriment de l’impact ? L’une des réponses pourrait être que les entreprises communiquaient très peu jusqu’à présent sur leur impact. Les informations sur les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’eau, le développement des salariés, l’égalité des salaires et la gouvernance d’entreprise font maintenant partie du répertoire classique, mais une évaluation fiable de l’impact nécessite aussi des données détaillées sur les chaînes de valeur des entreprises. Il s’agit, par exemple, d’informations permettant d’évaluer si les intrants importés ont impliqué un recours au travail des enfants ou des éléments de corruption.

Facteurs amont et aval

Une évaluation d’impact complète devrait mettre en évidence, en plus des impacts, négatifs et positifs, des activités d’une entreprise sur l’environnement et la société, celui des intrants achetés (amont). L’acier importé de Chine peut avoir des effets encore plus importants sur le bilan environnemental de l’entreprise acheteuse que sa propre production nationale. Par ailleurs, certains impacts découlent de l’utilisation de services et biens manufacturés (aval). Pendant sa durée de vie, une voiture a, sur l’environnement et la société, des retombées bien plus significatives que sa production. L’évaluation d’impact du constructeur doit refléter cette spécificité. Néanmoins, les données requises pour une évaluation d’impact exhaustive ne sont pas immédiatement disponibles, et la plupart des entreprises ne les publient pas.

Nous n’en sommes qu’aux prémices mais une nette tendance consistant à intégrer davantage d’indicateurs d’impact dans les reporting de durabilité commence à se faire jour. Ainsi, la plupart des grandes entreprises allemandes du DAX 40 ont annoncé qu’elles communiqueraient davantage sur leurs émissions indirectes de gaz à effet de serre au cours de l’année à venir – si ce n’est pas encore fait. Les normes réglementaires en Europe incitent aussi les entreprises à améliorer leur reporting d’impact. Les dernières versions du projet de directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) mentionnent déjà de nouvelles obligations de reporting sur l’impact de la chaîne d’approvisionnement.

L’importance accordée à la question de l’impact dans les chantiers réglementaires actuels et dans les informations publiées par les entreprises permettra d’augmenter la valeur des évaluations ESG et rendra l’écoblanchiment plus difficile. Il faudra toutefois du temps pour que les entreprises adoptent les normes européennes de reporting et pour que les acteurs des marchés financiers intègrent pleinement l’impact ESG dans leurs décisions d’investissement. Si l’impact doit devenir un aspect central de la démarche des entreprises, alors les fournisseurs et les utilisateurs des notations ESG doivent emprunter le même chemin.

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