Fonds actions françaises : le long déclin

En vingt ans, le nombre de fonds investis exclusivement en actions françaises a été divisé par six. Zone euro, rationalisation de gammes, les explications sont nombreuses.
Adrien Paredes-Vanheule
AMUNDI
Pour Amundi, il est plus simple d’avoir un seul fonds phare avec des fonds nourriciers qui lui sont liés, comme c’est le cas du fonds Amundi France Engagement.  - 

Le nombre de fonds investis exclusivement en actions françaises connaît un déclin quasiment constant depuis 23 ans. A la fin de l’année 2000, l’Autorité des marchés financiers (AMF) – qui s’appelait encore la Commission des opérations de Bourse – enregistrait un record de 502 produits catégorisés comme fonds actions françaises. Début 2023, le régulateur français ne recense plus que 85 fonds investis (79 OPCVM et 6 fonds d’investissement alternatif) au moins à 60 % dans des actions françaises selon sa doctrine. Si les chiffres de Morningstar diffèrent (222 fonds actions françaises comptabilisés à fin décembre 2022, voir le graphique), la tendance observée est la même.

« Les fonds actions françaises sont non seulement en déclin en termes de nombre mais aussi en termes d’actifs sous gestion, observe Mathieu Caquineau, responsable de la recherche sur les fonds actions Europe et Asie chez Morningstar. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette régression. En premier lieu, la concentration du marché entre sociétés de gestion constitue un facteur de regroupement et de rationalisation de gammes de fonds. Nombre de fonds dans cette classe d’actifs ne sont sans doute pas très profitables. Deux fonds sur trois ont moins de 100 millions d’encours. En outre, nous notons une baisse d’appétit des investisseurs pour les fonds actions françaises. » D’après l’analyste, le déclin du nombre de fonds actions françaises s’est accéléré sur les cinq à six dernières années. En termes de collecte, entre 2007 et 2021, la classe d’actifs est morose. Les fonds actions françaises actifs n’ont connu qu’une seule année de collecte nette positive – en 2017 – et deux années – 2017 et 2018 – si l’on ajoute les fonds indiciels du segment, d’après les données de Morningstar.

La décroissance et la rationalisation des fonds actions françaises sur les vingt dernières années ne sont pas passées inaperçues chez les gestionnaires. Frédéric Rosamond, responsable des actions françaises chez Amundi, distingue deux types de fusions de fonds. D’un côté, les fonds actions absorbés par des fonds zone euro en raison de l’appétence de la clientèle pour cette géographie plus large. Ce type de fusions a notamment été effectué chez les gestionnaires qui ne disposaient pas d’un gros réseau de distribution en France, indique-t-il. L’autre type de fusions est pour lui davantage d’ordre administratif. En clair, il est plus simple d’avoir un seul fonds phare avec des fonds nourriciers qui lui sont liés, comme c’est le cas du fonds Amundi France Engagement. Jusqu’en décembre 2019, celui-ci, dont l’univers comprend les 80 plus grosses valeurs de l’indice SBF 120, s’est nommé Amundi Actions France : c’était l’un des plus vieux fonds de la catégorie, agréé en 1974. « Ce fonds correspond aux besoins historiques du réseau. En termes d’encours, il a atteint 1,6 milliard fin 2022 par le biais de rapprochements de fonds, explique Frédéric Rosamond. Il ne faut pas avoir trop de produits français dans une même gamme, cela crée la confusion. Amundi a une politique assez ciblée sur le sujet, notre gestion produits est meilleure qu’il y a vingt ans. »

Des frontières plus floues

Parmi les fonds actions françaises les plus anciens figure également CD France Expertise de Cholet Dupont Asset Management, agréé en 1979. Pour Philippe Lesueur, son co-gérant, la notion géographique n’a néanmoins jamais été un critère d’investissement prioritaire. « Les fonds actions françaises ont existé en masse lorsque les marchés européens étaient encore compartimentés, pointe-t-il. S’y ajoutait une dimension réglementaire forte puisque les fonds actions françaises ouvraient des possibilités spécifiques en termes de commercialisation auprès de certaines clientèles. Cependant, du point de vue du gérant, l’approche nationale ne fait pas forcément sens. Nous devons comparer les sociétés à leurs concurrentes où qu’elles soient dans le monde. » Philippe Lesueur constate également que la baisse des fonds pays touche aussi les fonds actions italiennes, allemandes ou encore espagnoles. L’organisation du monde qui dominait historiquement est aujourd’hui beaucoup plus floue en termes de frontières. « En 2000, l’euro a offert la possibilité juridique aux gérants d’exposer leurs fonds aux marchés de la zone euro, poursuit l’expert de Cholet Dupont. A partir de là, une vision purement française du marché actions n’avait plus de lieu de perdurer. Certains ont même pensé que les fonds nationaux allaient disparaître car il n’y avait plus de contrainte forte de se limiter aux frontières tricolores et c’était devenu une fausse bonne idée de gérer un fonds actions françaises. Il y a peu de chances qu’on voie se créer de nouveaux fonds France aujourd’hui car il n’y a aucun avantage pour l’épargnant. »

Aujourd’hui, les fonds qui se lancent sur la classe d’actifs ont davantage un profil ESG (environnement, social, gouvernance) ou alors sont axés petites et moyennes capitalisations, confirme Mathieu Caquineau chez Morningstar, pour qui le contexte de marché n’est pas vraiment porteur. Frédéric Rosamond ajoute à cette liste les fonds thématiques relance, emploi ou à impact sur la France. Etre parmi les fonds les plus anciens n’est pas non un gage de survie, selon Mathieu Caquineau qui n’observe pas de corrélation entre les deux. Les fonds à l’historique le plus long ne sont ni les plus performants, ni les plus abondés en termes d’encours.

A quoi bon dès lors conserver un fonds purement actions françaises dans sa gamme ? Cholet Dupont AM l’a fait car ce produit existait bien avant le passage à l’euro et aux fonds zone euro. « L’univers des valeurs françaises permet de conserver un fonds solide pour l’épargnant. Il permet toujours d’être liquide, de se diversifier », plaide Philippe Lesueur. Les clients ne demandaient pas non plus un changement dans le fonds tel qu’un élargissement de l’univers. Même chose chez Amundi où les clients n’ont pas formulé de telle demande.

La diversification est une autre problématique des investissements « frontières », relève Philippe Lesueur. La typologie des entreprises d’un marché national permet-elle de se diversifier suffisamment ou pas ? En France, oui, selon le gérant : au-delà du luxe, il existe des valeurs industrielles et santé, même si le choix demeure restreint. La réduction potentielle de l’univers des actions françaises est un indicateur à suivre, assure-t-il.

Réservoir

CD France Expertise investit dans des sociétés dont le flottant est supérieur à 500 millions d’euros, soit 130 valeurs françaises dont 40 à 45 sont en permanence en portefeuille. « Sur les dix à quinze dernières années, il y a eu un peu de renouvellement sur le marché français. Certaines valeurs étaient à l’entrée de la taille limite de notre univers et en font aujourd’hui partie comme Dassault Systèmes, Sartorius Stedim ou Téléperformance. Au fil des ans, avec Worldline, Euronext, Amundi, La Française des Jeux ou Euroapi, on voit l’arrivée de types de valeurs qui n’existaient pas en France », observe-t-il. Globalement, pour Frédéric Rosamond, le marché actions françaises reste « un bon support d’investissement en Europe dans le cadre d’un fonds pays et compte assez de belles histoires pour se diversifier ».

Il n’en demeure pas moins que sur les dix dernières années à fin août 2022, seulement 5 % des fonds actions françaises ont à la fois fait mieux que la gestion passive – la performance moyenne est de 6,5 % par an contre 8,4 % pour les passifs – et survécu sur la période, selon les données de Morningstar. Un sur deux a été fermé.

« La concurrence entre les fonds actifs sur les actions françaises et la gestion passive est de plus en plus intense, souligne Mathieu Caquineau. La part de fonds indiciels sur la classe d’actifs n’a jamais été aussi haute. Sur les dix premiers fonds de la catégorie en termes d’encours, cinq sont passifs, dont trois figurent dans le Top 5, et cinq sont actifs. Cette tendance n’est pas propre aux actions françaises, elle est visible sur tous les fonds actions en Europe où la part de marché de la gestion passive tourne autour de 45 % en moyenne. » Chez Amundi, qui propose les deux types de gestion, on voit en la gestion passive davantage une alternative qu’une concurrence.

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