
Archimed découvre la poussée des multiples

Archimed a le nez creux. En 2016, la société lyonnaise de private equity dédiée à l’industrie de la santé a vu avant tout le monde l’immense potentiel de Polyplus, petite PME strasbourgeoise qui développait une technologie encore balbutiante mais au potentiel quasi illimité. La société issue d’un spin-off de l’université de Strasbourg en 2001 est l’une des rares spécialistes de la transfection, une technique permettant de faire rentrer dans une cellule du matériel génétique comme de l’ADN ou de l’ARN afin de la modifier pour traiter des maladies.
Les thérapies géniques étant pour ainsi dire inexistantes dans les années 2000, la société se développe à son rythme en vendant ses produits à des laboratoires de recherche. En 2009, Gabriel Festoc devient président du conseil d’administration de l’entreprise et décide de réorienter son activité vers la production pharmaceutique, ce qu’elle fait à partir de 2012 sur le marché à peine naissant de la biopharmacie. « La société s’est développée et est devenue rentable. Les actionnaires, dont la branche de capital-risque du CM-CIC, devaient sortir et nous avons accepté de lancer un processus de cession en 2016 sous conditions de prix, de délais et de garantie de préserver notre indépendance, retrace Gabriel Festoc. Nous avons rapidement rencontré Archimed qui a fait une offre que le conseil d’administration a tout de suite signée, car ils ont fait preuve d’un grand enthousiasme et comprenaient parfaitement ce que nous faisions. »
En 2017, nous étions parfaitement positionnés et c’est à ce moment que le marché de la thérapie génique et cellulaire a décollé, pour lequel nous avions une offre dédiée
Le private equity n’est pas qu’une histoire de gros sous, mais aussi d’hommes. Les fonds spécialisés aiment se doter des meilleures compétences sectorielles et Archimed sait y faire. « Nous avons chez Archimed des compétences très reconnues dans les sciences de la vie, avec notamment notre associé Loïc Kubitza, diplômé en immunologie et biologie moléculaire, qui a une bonne connaissance de la transfection, fait valoir Denis Ribon, président d’Archimed. Nous cherchions à investir dans le sous-secteur du bioprocessing, qui fournit les biotechs et l’industrie pharmaceutique avec des consommables, des réactifs, des équipements et des services permettant de fabriquer des médicaments biologiques, produits à partir de cellules à la différence des médicaments d’origine chimique. Cette catégorie de médicaments représente l’avenir et a déjà permis des avancées considérables sur des maladies jusqu’alors incurables. »
Passage à une culture industrielle
Archimed acquiert plus de 90 % du capital pour environ 8 millions d’euros, laissant le solde au management. La société réalisait à l’époque 4 millions de chiffre d’affaires. Archimed aide alors Polyplus à accélérer son repositionnement vers l’industrie pharmaceutique et renforce sa présence aux Etats-Unis d’où il tire déjà l’essentiel de ses revenus.
Autre décision stratégique majeure, la société décide de mettre ses produits au format GMP (Good Manufacturing Practices) qui sont des lignes directrices beaucoup plus contraignantes à respecter pour la fabrication de médicaments à usage humain et vétérinaire. « En 2017, nous étions parfaitement positionnés et c’est à ce moment que le marché de la thérapie génique et cellulaire a décollé, pour lequel nous avions une offre dédiée », expose Gabriel Festoc. « Nous sommes alors passés d’une culture scientifique à une culture industrielle », ajoute Denis Ribon.
Polyplus lance alors la R&D pour sa prochaine génération d’agents de transfection, permettant la sortie dès 2020 d’un produit encore plus performant, le Fectovir, également au format GMP. « Entre 2016 et 2020, les ventes sont décuplées et atteignent 45 millions d’euros de chiffre d’affaires, la rentabilité croît encore plus vite et Polyplus devient le leader mondial incontesté des produits de trans- fection », retrace le patron d’Archimed.
Entre 2016 et 2020, les ventes sont décuplées et atteignent 45 millions d’euros de chiffre d’affaires. Polyplus devient le leader mondial incontesté des produits de transfection
Au bout de quatre ans de croissance intensive, le fonds avait besoin d’organiser la liquidité de son investissement. Il mandate l’américain Jefferies qui lui présente deux candidats, dont le géant mondial Warburg Pincus. Au lieu de sortir, Archimed décide de partager le capital à 50/50 avec le fonds new-yorkais et remet au pot. Le management conserve 5 % du capital de la société désormais valorisée 550 millions d’euros !
Synergies technologiques
Quelques mois plus tard, nouveau tournant dans l’histoire de Polyplus. « Le directeur général arrivait à l’âge de la retraite, donc nous avons cherché son successeur dans le monde entier, explique Denis Ribon. Finalement, le meilleur profil était celui d’un membre d’Archimed recruté comme operating partner en 2019. Nous l’avons nommé en accord avec Warburd Pincus. » Le Belge Mario Philips, ancien dirigeant chez Danaher Corporation, prend ainsi les commandes de la société. « Mario Philips a fait ses preuves dans l’industrie et possède une vision stratégique très claire du secteur, souligne Real Leclerc, coresponsable mondial de la banque d’investissement dédiée à la santé chez Jefferies. La fabrication de produits de thérapie génique est un point sensible pour la biopharmacie. Les procédés actuels donnent de faibles rendements, ce qui rend ces produits très coûteux et limités à de petites populations de maladies (rares). L’objectif est d’améliorer considérablement les rendements et de réduire les coûts en mettant au point des solutions intégrées, afin de permettre aux thérapies géniques d’atteindre leur plein potentiel dans des populations de malades plus importantes. Dans le cadre de cette stratégie, au cours des deux dernières années, Mario Philips a acquis et intégré des entreprises hautement synergiques avec Polyplus afin de créer des solutions optimisées et de plus grande valeur pour les clients. »
Polyplus a donc mis l’accent sur la croissance externe pour compléter son offre. « L’idée n’était pas d’acheter du chiffre d’affaires, car la croissance organique était très soutenue, mais d’obtenir des synergies importantes sur le plan technologique », insiste Gabriel Festoc. L’entreprise rachète e-Zyvec dans le Nord, qui conçoit des plasmides, une famille de molécules qui s’insèrent dans les cellules grâce à la transfection. Elle poursuit avec l’acquisition en Belgique de Xpress Biologics qui fabrique des plasmides, puis acquiert le CDMO (sous-traitant pharmaceutique) Bio Elpida, afin de construire une solution beaucoup plus complète et intégrée pour ses clients.
En parallèle, la R&D planche sur la prochaine génération d’agents de transfection et investit 50 millions d’euros dans la construction d’une usine à Strasbourg. « Grâce à ces technologies, le premier médicament de thérapie génique a pu être mis au point : le Zolgensma, qui sauve la vie des enfants atteints d’amyotrophie spinale », se félicite Gabriel Festoc. Toutefois, ces technologies ont un coût, ce médicament étant commercialisé à un prix de 2 millions d’euros pour une injection. L’enjeu est désormais de réduire drastiquement le coût de production de ce type de traitement comme l’a immédiatement identifié Mario Philips.
Processus de vente express
« Au début du mois de janvier de cette année, l’industrie s’est réunie pour une conférence et Polyplus a rencontré un petit groupe d’acteurs stratégiques pour faire le point sur son activité et sa stratégie de solutions intégrées, détaille Real Leclerc. Peu après, Polyplus a reçu une offre de reprise non sollicitée de la part d’un très grand acteur du secteur. Le conseil d’administration, qui attendait plutôt une vente dans les 12 à 18 mois à venir, nous a demandé d’évaluer cette offre et de déterminer s’il y aurait un intérêt à aller chercher une valeur plus intéressante parmi un groupe réduit d’investisseurs stratégiques à même de réagir rapidement, mais il ne voulait pas lancer de processus d’enchères prématurément. »
Jefferies échange avec un groupe de prétendants très restreint parmi les plus grandes entreprises du secteur comme Danaher, Thermofisher, Merck Millipore et le français Sartorius Stedim Biotech, détenu par l’allemand Sartorius AG.
Les conditions de marché étant très volatiles en ce début 2023, le candidat initial souhaite aller vite et les banquiers sont sous pression. « Nous avons entamé les discussions sur la base d’un très gros multiple et devions aller vite, donc certains sont sortis tôt du process. Nous avions quand même besoin de fournir davantage de données chiffrées sur Polyplus aux candidats pour les amener à un prix ferme, l’offre initiale ayant été déposée avec très peu d’informations, rappelle Ryan Plusch, managing director life sciences M&A, au sein de la banque d’investissement dédiée à la santé chez Jefferies. En trois semaines, nous avons pu organiser une réunion à Strasbourg avec toutes les parties, préparer la présentation détaillée de l’entreprise, achever l’analyse détaillée de la clientèle, le modèle financier de la société, etc. Le délai a été très court entre l’offre initiale et les réunions avec les parties. En définitive, tous ceux qui étaient présents à Strasbourg ont déposé une offre, supérieure à celle initialement reçue. »
L’investissement d’Archimed dans Polyplus en 2016 a été multiplié par 300, soit un TRI net de 220 % !
Jefferies réduit alors les discussions à deux candidats, qui rehaussent à nouveau leur offre. A peine un mois après la réception de la première offre, Sartorius Stedim Biotech remporte la partie pour 2,4 milliards d’euros ! « Sartorius Stedim a fait un travail incroyable en donnant non seulement une importante valorisation, mais aussi en faisant preuve de vitesse de réaction et en apportant des garanties pendant le process. Ils ont très vite finalisé leurs diligences et, par la suite, ils n’ont pas attendu la fin du process mais l’ont préempté. Ils ont été très constructifs dans l’élaboration du contrat et des principales clauses, ce qui leur a permis de passer rapidement de l’offre préemptive à la signature (moins de 36 heures) », raconte Ryan Plusch.
En à peine sept ans, avec le soutien d’Archimed rejoint sur la période par Warburg Pincus, la valorisation de Polyplus est ainsi passée de 8 millions à 2,4 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires porté de 4 à près de 100 millions, et des perspectives de croissance encore colossales.
Après l’avoir évité à plusieurs reprises, Polyplus rentre dans le giron d’un groupe industriel, qui était loin d’être le gros plus candidat du processus de vente, mais a su avancer ses pions efficacement. La société strasbourgeoise, leader mondiale sur son marché, entend bien le rester. « Polyplus va bénéficier de la force de frappe commerciale du groupe qui est déjà positionné sur ce secteur. Il y aura donc d’importantes synergies technologiques et commerciales », se réjouit Gabriel Festoc.
Archimed, fonds lyonnais créé en 2014 après le spin-off de l’équipe santé de 3i, réalise à cette occasion l’opération la plus lucrative de sa jeune histoire. Son investissement de 2016 dans Polyplus a été multiplié par 300, soit un TRI net de 220 % ! Son réinvestissement de 2020 a quant à lui produit un multiple de 4,5 fois. « C’est une issue logique puisque Polyplus a les meilleurs produits au monde et la meilleure équipe de recherche au monde dans le domaine », conclut Denis Ribon.
On comprend dès lors que le fonds n’ait pas rencontré beaucoup de difficultés à boucler son dernier véhicule d’investissement intégralement dédié à la santé à hauteur de 3,5 milliards d’euros. Pour tenter de battre ce record ?

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