Orlando Bravo : « Nous souhaitons saisir toutes les opportunités d’investissement »

Orlando Bravo, cofondateur et managing partner du fonds d’investissement américain Thoma Bravo
Orlando Bravo

Orlando Bravo, cofondateur et managing partner du fonds d’investissement américain Thoma Bravo, livre à L’Agefi ses clés pour investir dans le monde de la tech, aujourd’hui en pleine phase de réévaluation.

L’AGEFI - Vous venez d’annoncer l’ouverture de votre premier bureau européen, au Royaume-Uni. Quelles sont vos ambitions ?

Orlando Bravo - Le monde du software, dans lequel nous sommes spécialisés depuis notre création et sommes devenus le premier investisseur en private equity, est désormais incontournable à l’échelle mondiale. Plus qu’un secteur, le software est désormais un modèle d’activité à part entière pour tout type de sociétés. L’Europe, et la France en particulier, ne font pas exception à la règle. Au contraire, l’écosystème tech y a crû significativement au cours des dix dernières années. Avec ce bureau, qui constitue un hub pour nos activités britanniques et européennes, nous souhaitons saisir toutes les opportunités d’investissement dans des sociétés à la pointe de leur secteur. Par ailleurs, dans ce monde global et interconnecté, nos sociétés en portefeuille ont besoin de se développer via des acquisitions à travers le monde et les opportunités ne manquent pas en Europe. Nous avons d’ailleurs déjà réalisé plusieurs opérations au cours des dernières années (Sophos au Royaume-Uni, Mercell en Norvège, Talend en France).

Quel regard portez-vous sur les valorisations dans la tech ? Peut-on parler de bulles ?

Les atouts du software sont indéniables – revenus récurrents, fortes marges… – mais le secteur dans son ensemble perd de l’argent. Il est dès lors très important de distinguer les sociétés faisant la course aux revenus sans parvenir à atteindre le seuil de rentabilité et les autres. Le marché coté du software totalise quelque 5.000 milliards de dollars de capitalisation. Les sociétés rentables sont aujourd’hui valorisées autour de 18 fois l’Ebitda, la moyenne historique sur 20 ans tournant autour de 20. On ne peut donc pas parler de bulles. En revanche, les sociétés déficitaires, qui représentent les trois quarts de l’indice, ont vu leur valorisation s’effondrer sur les six derniers mois, passant d’un multiple de 17 à 5 fois leurs revenus. Engager sans compter des capitaux dans des sociétés qui n’ont pas de perspectives visibles de rentabilité n’est plus permis. Après une période d’euphorie, le secteur est en train de se réveiller et certains investisseurs peuvent se demander dans quoi ils ont réellement investi. Nous entrons dans une phase qui va se révéler extrêmement difficile pour le secteur dans son ensemble, et pour certains investisseurs, fondateurs et financeurs en particulier.

Thoma Bravo a investi au cours des dernières années à de hauts multiples, parfois de plus de 30. Comment réussir à dégager de la valeur pour les investisseurs dans ces conditions ?

Notre thèse d’investissement n’a jamais changé, quel que soit l’environnement. Nous ciblons des sociétés innovantes, leaders sur leur marché, avec l’ambition de leur faire passer le cap de la rentabilité. Nous investissons sur la base de multiples de revenus et en sortons sur la base de multiples d’Ebitda. La société peut alors poursuivre son développement en réinvestissant la marge bénéficiaire. Ce levier opérationnel nous permet d’offrir le meilleur prix à la société qui nous intéresse.

Ce levier impose de fortes réductions de coûts. Comment retenir les talents ?

Tout repose sur la culture d’entreprise et les opportunités. Nous travaillons main dans la main avec le management et embarquons les équipes dans un projet de transformation, où la logique de court terme laisse place à un positionnement durable de long terme, ce qui constitue un alignement d’intérêts pour l’ensemble des parties. Pour atteindre nos objectifs de rentabilité, nous misons ainsi sur une baisse du turnover et sur des promotions en interne, accompagnées de recrutements ciblés.

Vous avez réalisé un Spac (special purpose acquisition company) l’an passé. Quelle est la bonne recette pour réussir dans ce domaine et pensez-vous en réaliser d’autres ?

Cela nécessite un alignement entre les investisseurs de la société et les financeurs du Spac. Ceux-ci doivent y engager une part importante de leur propre argent, de l’ordre de 5 % à 10 % de l’investissement. La transparence est également cruciale. Les sponsors doivent communiquer leur track record afin que les investisseurs aient toutes les cartes en main pour savoir s’ils doivent investir ou non. Notre expérience dans le domaine du Spac, où nous avons investi dans ironSource, s’est révélée très positive : la société réalise une marge opérationnelle de 35 %, affiche une croissance rapide… Toutefois, au-delà du fait que les marchés cotés sont aujourd’hui fermés, il n’est pas certain que nous remontions un Spac dans le futur. La quantité de travail à réaliser avec les banques et les investisseurs est énorme, bien supérieure à celle en lien avec la société elle-même, pourtant plus fondamentale.

Au sein des logiciels, quels sont les produits et services que vous privilégiez ? Et quels sont ceux que vous évitez ?

Nous misons sur le segment du BtoB, très large et offrant une forte visibilité. Nous évitons à l’inverse les segments orientés vers le grand public, globalement plus imprévisibles. De même, nous sommes éloignés du hardware, où les marges sont très faibles.

Qu’en est-il des cryptos ?

Du système de paiement peer-to-peer au système automatique sans intermédiaire, les cryptos sont une très bonne solution, offrant une multitude de cas d’utilisation. Le marché est en ébullition et des gens très innovants font chaque jour émerger de nouvelles solutions. Mais le secteur est encore si jeune ! Il y a aujourd’hui dans les cryptos une grande part de spéculation, de pari… Le secteur doit évoluer et apprendre les bonnes pratiques. Comment aujourd’hui identifier un leader sur son segment de marché ? C’est impossible. Si l’on souhaite investir aujourd’hui dans des sociétés spécialisées dans la crypto, il faut en comprendre parfaitement le modèle et y croire. Y engager des capitaux uniquement pour diversifier son allocation serait une erreur.

Propos recueillis par Virginie Deneuville

Retrouvez la vidéo de l’interview d’Orlando Bravo sur www.agefi.fr

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