CAPITAL-INVESTISSEMENT - Le retour de bâton fiscal

Londres envisage de durcir la taxation des plus-values et donc du « carried interest ». Un sujet de compétitivité pour la City.
Alexandre Garabedian
 Boris Johnson, Premier ministre britannique, et Rishi Sunak, chancelier de l’Echiquier.
Boris Johnson, Premier ministre britannique, et Rishi Sunak, chancelier de l’Echiquier.  -  (bloomberg)

Rishi Sunak tient l’industrie britannique du capital-investissement en haleine. En lançant au mois de juillet une consultation sur l’imposition des plus-values pour garnir les caisses du Trésor public, le chancelier de l’Echiquier a ouvert la boîte de Pandore. En jeu, la possible remise en cause d’un avantage qui a fait la fortune des professionnels du private equity et a contribué à la prééminence européenne de Londres dans ce domaine : la taxation du carried interest, l’intéressement aux performances réalisées par les fonds, comme une plus-value et non au taux marginal de l’impôt sur le revenu. Pour les contempteurs de ce dispositif, ce dernier n’est qu’un bonus déguisé, donc un revenu, car ils jugent très limité le risque financier réel pris par les gérants de fonds. « Le système britannique est très peu contraignant, on peut toucher un ‘carried’ sur chaque transaction avec une mise de départ quasi nulle, confie un professionnel du private equity à Paris. On est loin du système français, qui nous oblige à investir 1 % de l’actif net du fonds. »

Le serpent de mer refait régulièrement surface. Aux Etats-Unis, Barack Obama avait promis de durcir la fiscalité du carried interest, Joe Biden aussi (lire ‘La Parole à’), mais le lobbying efficace de l’industrie n’a jamais été pris en défaut. Mandaté par Rishi Sunak, l’Office for Tax Simplification (OTS), un bureau rattaché au Trésor britannique, a rendu le 11 novembre son rapport sur les gains en capital après une large consultation. Il n’entre pas dans le débat sur le statut du carried interest. Son rapport suggère en revanche de réduire l’écart entre les taux d’imposition des revenus et des plus-values, en remontant le second ; il reviendrait au chancelier d’en déterminer le niveau. Au Royaume-Uni, les plus-values du capital sont taxées à 10 % ou 20 % selon les cas et le carried interest à 28 % depuis 2016 (contre 18 % auparavant) alors que la tranche la plus élevée des revenus est imposée à 45 %.

« Il est important que les changements de fiscalité ne nuisent pas à la politique clairement énoncée par le gouvernement visant à développer le Royaume-Uni comme une place attractive pour l’industrie de la gestion d’actifs », a prévenu la British Venture Capital Association (BVCA), l’association britannique du non-coté, en réponse à la consultation. Mais l’argument perd de sa force en 2020, alors que la pandémie de coronavirus provoque une crise sociale et un choc sans précédent pour les finances publiques. Sur l’année fiscale 2017-2018, la dernière pour laquelle ces données sont publiques, 265.000 contribuables ont acquitté 8,3 milliards de livres d’impôt sur 55,4 milliards de plus-values nettes, rappelle l’OTS. Parmi cette population, les gains sont très inégalement répartis puisque les plus-values supérieures à 1 million de livres représentent 62 % du total. Pour un Trésor aux abois, il est tentant d’aller puiser dans ces poches profondes et surtout d’afficher un symbole politique fort aux yeux de l’opinion publique.

Concurrence

La taxation avantageuse du carried interest remonte à la fin des années 80 outre-Manche et s’est répandue ensuite dans des pays comme l’Allemagne et l’Italie. Grâce à son écosystème financier et juridique favorable, la City est devenue la base avancée en Europe des grands pionniers américains du non-coté. En 2019, 118 fonds britanniques ont levé un total de 47,6 milliards de livres (53 milliards d’euros), selon les statistiques de la BVCA. A l’échelle mondiale, la croissance du secteur est impressionnante : dans son dernier rapport publié en février, le cabinet McKinsey dénombrait 6.700 firmes de private equity en activité l’an dernier, contre 4.100 quatre ans auparavant et trois fois moins en 2005.

« En cas de durcissement, le risque n’est pas tant d’assister à des départs de fonds – la domiciliation au Luxembourg est déjà répandue depuis le vote sur le Brexit – qu’à des relocalisations d’équipes dans d’autres pays », estime Raphaël Béra, avocat associé chez DLA Piper. Cela rappellerait le tour de vis fiscal de 2011-2013 en France, qui avait poussé certains professionnels vers la City, avant que Paris ne revienne à de meilleures intentions avec sa flat tax et un régime favorable au carried interest des impatriés. Dans cet environnement de concurrence entre places financières où le premier qui bouge a perdu, pas sûr que le gouvernement Johnson prenne un tel risque. « Il serait étonnant que le Royaume-Uni mette en place une fiscalité très restrictive pour les plus-values en capital. Cela contredirait les réflexions qu’il a lancées cette année pour améliorer l’attractivité des holdings d’investissement de droit anglais », souligne Raphaël Béra. Fin du suspense dans quelques mois.

Pour aller plus loin, le rapport de l’Office for Tax Simplification dans la version digitale de L’AGEFI HEBDO

www.agefi.fr

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