TITRES-RESTAURANT - Rien ne va plus

La crise sanitaire rebat le jeu. Le déjeuner n’est plus qu’une carte parmi d’autres avantages sociaux gérés par les intermédiaires du marché.
Sylvie Guyony
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La donne change. De plus en plus de salariés français utilisent une carte, voire une application sur leur smartphone, pour payer leur déjeuner. « Chez Sodexo, sur 1 million de bénéficiaires de titres-restaurant, 600.000 sont aujourd’hui dotés d’une carte Pass Restaurant : 60 % contre 15 % il y 18 mois seulement », pointe François Gaffinel, directeur général de Sodexo Pass France, Services Avantages et Récompenses. Bien sûr, la crise sanitaire a accéléré le mouvement, mais cela fait des années que les quatre acteurs historiques du secteur – Edenred (Ticket Restaurant®), Natixis (Apetiz®), Sodexo (Pass Restaurant®) et Up (Chèque Déjeuner®) – travaillent à cette migration. Au point que chacun se vante de chiffres qui ne sont pas validés par tout l’écosystème : la Commission nationale des titres restaurant (CNTR), Conecs, l’opérateur technique équivalent à CB dans le monde bancaire, etc. A la louche, environ 5 millions de Français bénéficient de titres-restaurant et, que la proportion de papier soit encore de 35 % ou de 42 %, une chose est certaine : elle va diminuer avec la généralisation du télétravail (pour éviter les envois postaux) et de nouveaux entrants – Swile (ex-Lunchr), Octoplus (Resto Flash) ou Worklife (lire ‘La Parole à…’) qui ne proposent pas de paiement des repas autrement que par carte ou mobile.

Les acteurs traditionnels sont aussi passés à la dématérialisation. En janvier 2021, le premier dans l’histoire et en volumes a ainsi lancé « la première offre Ticket Restaurant® virtuel sans carte plastique – 0 % papier, 0 % plastique », sur smartphone. De même, Apetiz est compatible avec Google Pay, Apple Pay et Samsung Pay. Ce changement de support « nous fait passer du BtoB à un modèle BtoBtoC, souligne François Gaffinel. Nous sommes désormais en lien avec l’utilisateur du service. Et avec l’app mobile, on entre dans l’expérience déjeuner digitalisée, avec l’ensemble du réseau d’acceptation des commerces, mais aussi la commande de repas à livrer, le paiement par ‘wallet’ Sodexo Pay ou Apple Pay, la possibilité de régler en un seul geste, au-delà du plafond grâce au complément bancaire. A date, 75 % des transactions de nos consommateurs passent sans contact, par carte ou mobile ». Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

Du droit à une pause déjeuner (au XIXe siècle) à la généralisation actuelle du télétravail et du numérique, un élément majeur a été introduit dans le système français en 1967 : l’exonération sociale et fiscale attachée aux titres-restaurant apparus cinq ans auparavant. Depuis, le cadre est strict (voir le graphique). Et le relèvement du plafond de dépenses journalières à 38 euros n’a été obtenu que pour soutenir la restauration et de façon temporaire. « Des discussions sont en cours et, sauf extension, cette mesure gouvernementale devrait s’achever fin août, rappelle le dirigeant de Sodexo en France. Elle a fait passer le ticket moyen de 13,50 euros avant la crise à 21 euros aujourd’hui. »

Dans ce contexte, si « le télétravail est pour Edenred une source d’opportunités », comme l’a déclaré à L’Agefi Hebdo son PDG, Bertrand Dumazy, il pousse surtout le secteur à positionner son service en matière d’intermédiation pour les déjeuners des salariés, qui fréquentent moins les restaurants d’entreprise, comme un avantage social parmi d’autres. Ce changement, précipité par la pandémie, est bien plus profond. « Le marché du titre-restaurant a doublé en 15 ans, pour atteindre 7 milliards d’euros : c’est notre apport au chiffre d’affaires des commerçants du réseau », insiste François Gaffinel. Mais le juteux business des acteurs traditionnels du titre-restaurant en France est voué à disparaître en tant que tel.

Valeur ajoutée

Les nouveaux entrants ont mis les pieds dans le plat : les anciens n’apporteraient pas de valeur ajoutée à la hauteur de leurs rémunérations. « La concurrence est de plus en plus variée, admet le dirigeant de Sodexo France. A présent, l’innovation est la clé. » En janvier, Swile a chipé le contrat des titres-restaurant du groupe Carrefour – 5.600 magasins et plus de 100.000 salariés en France – dans l’assiette d’Edenred. La fintech a l’ambition de passer de moins de 10 % de part de marché à 15 % en France, d’y développer sa gamme avec des titres-mobilité aux côtés des titres-cadeaux, d’y atteindre la rentabilité d’ici à la fin de l’année et même d’attaquer les champions français au Brésil (premier marché mondial) ou au Mexique.

Plus que l’aspect pratique, leur moindre coût et leur contribution à un développement durable, les fintechs du paiement des repas pointent un ingrédient du modèle traditionnel que la restauration, rincée par les confinements, n’arrive pas à digérer : des coûts à la transaction qui vont au-delà de la seule commission de carte bancaire commerciale. « Les cartes restaurant et les cartes bancaires sont des produits différents : les premières sont la conséquence de notre activité commerciale générant un pouvoir d’achat additionnel pour le consommateur et s’adressent à un réseau d’acceptation dédié nécessitant un agrément lié à une alimentation consommable instantanément, tandis que les secondes sont un moyen de paiement universel, se défend François Gaffinel. Dans l’activité des titres-repas de Sodexo en France, il s’agit de restauration classique ou rapide pour 70 % des montants. »

Les acteurs historiques se considèrent comme des apporteurs d’affaires. « De la même façon que des plateformes de réservation pour les restaurants ou de livraison de repas, nous apportons des clients. Pour cela, nous prenons une commission de 2 % à 4,9 % sur les titres papier, elle est de 3,75 % sur les transactions électroniques (cartes et mobile), à laquelle s’ajoutent 8 centimes d’euro par transaction lorsqu’elles prennent 20 % à 30 %. »

Le sujet n’est pas nouveau mais n’est toujours pas réglé car il recouvre différents éléments du modèle. En décembre 2019, l’Autorité de la concurrence a infligé à Natixis Intertitres, Edenred, Sodexo et Up, ainsi qu’à la Commission de règlement des titres, une amende globale de 415 millions d’euros. Elle leur reprochait d’avoir retardé la dématérialisation des titres-restaurant et l’apparition de nouveaux concurrents. « Nous avons fait appel de la décision administrative. La procédure est en cours », rappelle Sodexo qui précise que les niveaux de commissions, parmi les griefs, ont été écartés par l’Autorité. « Notre carte restaurant est soit liée au réseau interbancaire, avec une commission d’interchange de 0,2 % que nous incluons dans les 8 centimes de coût à la transaction, soit à un réseau privé qui n’engendre pas de commission d’interchange, ni de coût bancaire additionnel pour le commerçant, détaille François Gaffinel. L’objectif est d’élargir ce dernier, qui correspond à 80 % des 220.000 commerces qui acceptent notre carte. »

Le Groupement national des indépendants (GNI), qui s’est mobilisé pour la couverture des pertes d’exploitation et considère la gestion des titres en papier comme une perte de temps et d’argent pour les restaurateurs, est aussi passé à l’offensive. Avec la crise, les arguments s’entremêlent. « Nous faisons face, par ailleurs, à l’initiative reprise par le GNI sur les commissions, que nous regrettons dans cette période hors norme. Notre secteur leur apporte des clients et a œuvré pour monter le plafond des dépenses à 38 euros. De plus, depuis mars 2020, nous sommes passés à des remboursements quasiment instantanés, lorsque le processus prenait 7 à 21 jours avec les titres papier, soutient le dirigeant de Sodexo en France. Enfin, via notre filiale Entegra, nous avons accompagné l’hôtellerie-restauration dans la mise en place de la réouverture, le respect des protocoles sanitaires, du click & collect, etc. »

Une expertise spécifique

Tous considèrent que leur activité d’intermédiation entre le consommateur et l’employeur, co-financeur du repas, est aussi dirigée vers les commerçants, notamment les restaurateurs. A cet égard, ils sont rémunérés de part et d’autre. « Nous apportons un service réel aux employeurs et un accès à l’écosystème. Il est normal que cela soit rémunéré – selon les volumes : au maximum 2 % à 3 % », ajoute François Gaffinel. Sodexo dispose d’ailleurs d’un profil d’activités au sein des entreprises différent de ses grands concurrents : « Notre approche commerciale est tournée vers l’entreprise pour laquelle nous sommes les seuls à disposer d’une offre à 360° : restaurant d’entreprise, ‘corner’ de restauration, frigo connectés ou Carte Pass Restaurant, explique-t-il. Alors que le titre-restaurant était une alternative à la cantine, nous sommes prêts pour l’hybridation des modes de travail. » « Dans le cas de télétravail ou de ‘co-working’, nous avons des accords avec des plateformes de livraison ou proposons des offres de ‘box’ de déjeuner avec Food Chéri et Seazon », fait savoir François Gaffinel.

Les acteurs des titres-restaurant ont une expertise spécifique qu’ils peuvent d’ailleurs dupliquer au marché des étudiants, puisqu’une proposition de loi envisage un dispositif, évalué entre 2 et 3 milliards d’euros, financé par l’Etat, qui pourrait compléter le service des Crous (500.000 et 600.000 étudiants seraient éligibles). Plus largement, ils sont prêts à la mettre à la disposition des pouvoirs publics pour une relance par la demande (L’Agefi Hebdo du 22 octobre 2020). Mais l’enjeu dans le monde de l’entreprise n’est plus tellement centré sur le déjeuner. Dès lors, le site internet d’Apetiz est tourné vers les utilisateurs – son slogan : « le titre-resto qui vous va bien ! » – mais s’inscrit dans la palette de Natixis Payments dans la branche des solutions aux entreprises, comme il y en a pour les commerçants ou les banques et fintechs. Tandis que le numéro un du marché (Ticket Restaurant®) a entrepris de grandes manœuvres avant que les nouveaux entrants n’entament trop son gagne-pain. Ainsi, Edenred, spécialiste des solutions de paiement fléchées dédiée à l’alimentation, mais aussi à la mobilité et la motivation des collaborateurs et aux transactions interentreprises, peut se flatter de voir sa nouvelle plateforme Télétravail, destinée à allouer une subvention « Equipements » aux collaborateurs, choisie par Crédit Agricole CIB.

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