Stablecoins : quand l’écosystème crypto tremble

La chute violente de Terra fait craindre un effet domino sur les principaux stablecoins, aujourd’hui essentiels au fonctionnement du marché des crypto-actifs.
Louis Tellier
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Les stablecoins sont des cryptomonnaies dont la valeur est fixée par rapport à celle d’un sous-jacent.  -  Adobe stock

Le marché des crypto-actifs est habitué aux violentes secousses. Mais la dernière a revêtu un caractère particulier avec l’émergence de sérieux doutes sur la solidité des stablecoins, ces crypto-actifs circulant sur une blockchain dont le cours promet de rester fixe par rapport à un sous-jacent en cryptomonnaie ou monnaie fiat (dollar, euro...).

Tout part de la dégringolade fulgurante de l’UST émis par Terra, qui en quelques mois s’était hissé à la troisième place du marché des stablecoins en termes de capitalisation, avant de s’effondrer en moins de 48 heures. «Je dois l’avouer, je n’aurais jamais imaginé un tel acteur tomber aussi rapidement, même s’il existait de nombreuses alertes sur son modèle. Mais pour moi, il y avait trop de gros investisseurs derrière», reconnaît Manuel Valente, directeur scientifique chez Coinhouse qui n’a d’ailleurs pas proposé d’exposition à ses clients sur cet actif.

Le leader Tether ébranlé

Après une telle chute, tout semble possible. Dans la foulée, tous les regards se sont tournés vers Tether, le leader historique du marché des stablecoins qui a montré des signes de faiblesse en perdant temporairement son ancrage au dollar. Son cours est tombé jusqu’à 96 centimes, alors même qu’il promettait de valoir toujours un dollar. La pression a été très forte, les investisseurs retirant plus de 7 milliards de dollars à la hâte, soit près de 10 % de sa capitalisation, en moins de 48 heures, motivés par une panique généralisée dans un marché des crypto-actifs où, en quelques jours, près de 600 milliards de dollars sont partis en fumée.

Finalement, le stablecoin a résisté en se réarrimant au dollar assez rapidement. Son directeur technologique Paolo Ardoino a pu alors se féliciter sur Twitter : «Nous avons racheté 7 milliards en 48 heures, sans cligner des yeux. Combien d’institutions peuvent faire de même ? Nous pouvons continuer si le marché le souhaite, nous avons toutes les liquidités pour gérer de gros achats.»

Pendant que les investisseurs cherchaient à retirer leur argent de Tether, son principal concurrent Circle voyait la capitalisation de son stablecoin, l’USDC, passer de 48 milliards à 52 milliards de dollars. « Beaucoup ont cherché à se désengager de Tether pour se tourner vers un acteur plus rassurant, avec une meilleure réputation», analyse Stanislas Barthelemi, consultant chez Blockchain Partner by KPMG. Car en perdant son ancrage au dollar, les doutes ont ressurgi concernant la capacité de Tether à garantir que derrière chacun de ses jetons existait bien un dollar.

Fin février 2021, Tether a été condamné par le Bureau du procureur général de New York, aux côtés de la plateforme Bitfinex, à une amende de 18,5 millions de dollars, soldant un litige de plus de deux ans accusant les deux entités d’avoir délibérément caché la vérité sur leurs réserves. Les avocats de Tether avaient alors reconnu que le stablecoin n’était garanti qu’à hauteur de 74% par des dollars. La condamnation ordonnait également de rendre public un rapport régulier détaillant ses sous-jacents à la fin de chaque trimestre. Résultat ? Un audit existe bien mais est signé par le cabinet comptable MHA Cayman, une société basée aux îles Caïmans. Des paramètres pas forcément de nature à rassurer les investisseurs en termes de transparence.

«Malgré sa réputation, Tether a montré une vraie résilience face à une situation inédite, c’était un vrai stress test dans une période de marché qui n’a pas épargné les projets sans fondamentaux et modèles solides», constate néanmoins Stanislas Barthelemi.

Modèle décentralisé

Lancé en 2014, l’histoire sulfureuse de Tether ne l’a pas empêché de devenir un acteur incontournable du marché des crypto-actifs, en atteignant aujourd’hui près de 55 millions de dollars de volume d’échange quotidiens, très loin devant ses concurrents. Depuis, de nombreux stablecoins se sont lancés sous l’impulsion du développement de la blockchain Ethereum. « Le passé a montré que le modèle centralisé était le plus sûr en termes de sécurité », explique Manuel Valente. La problématique réside donc dans la capacité des acteurs comme l’USDC et l’USDT à prouver que leurs réserves correspondent à ce qu’ils émettent sur le marché. C’est ce qui a poussé des acteurs comme MakerDAO à lancer des stablecoins décentralisés comme le DAI, dont les réserves sont totalement transparentes. Cette fois, ce n’est plus une entreprise privée qui gère le stablecoin, mais un algorithme informatique qui s’assure que son émission de jeton soit toujours soutenue par un collateral en cryptomonnaie. Pour le directeur de la technologie chez Coinhouse, « c’est le modèle qui fonctionne le mieux actuellement. En revanche, vous pouvez rencontrer un problème si la blockchain Ethereum (sur laquelle est émis le DAI) est saturée de transactions, ce qui est arrivé en mars 2020 », date d’un important krach du marché crypto.

La résistance de Tether permet pour l’heure au marché de pousser un grand ouf de soulagement. « Si un autre gros stablecoin avait fait faillite, cela aurait clairement mis entre parenthèses le développement de la DeFi (finance décentralisée) et d’une grande partie de l’écosystème crypto pour un bon moment », souffle Manuel Valente. Car les stablecoins sont aujourd’hui la « graisse » qui fait fonctionner l’écosystème. Pour la première fois en 2019, leur volume d’échange a dépassé celui des ethers sur la blockchain Ethereum (52 % contre 48 %), de loin la plus utilisée actuellement, selon un rapport du cabinet Messari.

Les stablecoins permettent en effet de sécuriser une position, sans repasser en monnaie fiat. Ce qui est non négligeable fiscalement, mais aussi en termes de gain de temps. «Une transaction en stablecoins sur une blockchain prend quelques minutes et ne coûtera au pire que quelques dizaines de dollars, là où un virement bancaire prend quelques jours et peut s’avérer plus onéreux, explique Stanislas Barthelemi. Vous vous assurez d’une liquidité disponible beaucoup plus rapidement, sans payer d’impôts tant que vous ne sortez pas du système crypto.»

Dimension géopolitique

Les stablecoins sont aussi un élément central pour emprunter au sein de la finance décentralisée : « Si vous empruntez de l’ether ou du bitcoin avec effet de levier et que le prix prend 50 % au moment où vous empruntez, vous aurez 50 % de frais supplémentaires à rembourser. Quand vous empruntez avec du stablecoin, vous vous assurez d’emprunter une somme dont le cours ne bougera pas», analyse Manuel Valent.

Enfin, les stablecoins ont une dimension géopolitique. Selon un dernier rapport de la Banque des règlements internationaux (BRI), la majorité des banques centrales à travers le monde réfléchiraient désormais à lancer leur monnaie numérique, notamment sous l’impulsion croissante de l’utilisation des stablecoins.

«Le fonctionnement des stablecoins aura une place importante dans l’avenir du paiement. C’est plus rapide, moins cher et le potentiel de transparence est plus important avec la blockchain», selon Manuel Valente. Pour Stanislas Barthelemi, «les Américains veulent, à travers la réglementation, s’assurer qu’ils pourront avoir la main sur un acteur comme Tether en cas de problème, notamment vis-à-vis de ses réserves. Ils ont compris depuis deux ans l’intérêt de laisser des entreprises privées faire circuler du dollar sur la blockchain pour conserver leur hégémonie monétaire au niveau mondial, notamment au sein de l’Internet de la valeur». Le 19 mai, Tether a annoncé avoir augmenté ses réserves en bons du Trésor américain, passant de 19,4 milliards de dollars au troisième trimestre 2021 à 39,2 milliards. Un moyen pour le stablecoin de rassurer les investisseurs en montrant qu’il n’expose pas sa trésorerie à des actifs trop risqués.

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