Que révèlent les dernières statistiques BCE sur les paiements ?

Hervé Sitruk, président et fondateur de France Payments Forum

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Hervé Sitruk, président et fondateur de France Payments Forum La BCE a publié, cet été comme chaque année, ses statistiques sur les paiements en Europe*, sur plus de vingt ans. Elles montrent que le nombre total de transactions dans la zone euro a augmenté de 12,5 % en 2021, pour atteindre 114 milliards de transactions, soit un coefficient multiplicateur de 2,2 sur vingt ans.

En 2021, la carte bancaire a poursuivi sa croissance, en hausse de 17,3 %, à 56,3 milliards de transactions, soit 49,4 % du volume des transactions de paiement, contre 21,6 % il y a vingt ans. L’autre tendance est la baisse forte de la part relative du volume des virements, passée de 32 % à 22 % en vingt ans, et celle, un peu moins accentuée, des prélèvements, de 27,5 % à 20,3 %. Enfin, le chèque a quasiment disparu (à l’exception de la France et du Portugal), avec 1,1 % du volume total des transactions de paiement, et désormais en concurrence pour la dernière place avec les paiements en monnaie électronique.

Ces données doivent être mises en regard de plusieurs évolutions en cours : situation politique et économique actuelle de l’Europe, avec la guerre russo-ukrainienne, inflation et risque de récession, qui pourraient conduire à un infléchissement marqué
de la croissance des paiements.

Les trois autres tendances sont : (i) le développement du paiement instantané en Europe, même s’il reste marginal, surtout en France, et n’a pas encore permis de redresser la courbe baissière des virements européens ; (ii) l’échec du projet EPI pour créer un nouveau réseau carte européen, alors que la carte représente pratiquement la moitié des transactions de paiement ; (iii) le projet de lancement d’une monnaie numérique centrale de détail par l’Eurosystème, qui pourrait entrer en concurrence avec les instruments de paiement scripturaux courants et aurait dissuadé certains banquiers européens de se lancer dans le projet EPI.

Ces évolutions appellent trois questions clés : (i) comment poursuivre l’Europe des paiements et le Sepa sans un système européen de paiement par carte ? Aujourd’hui, 100 % des transactions transfrontières par carte en Europe, incluant les retraits d’espèces, se font via des schemes cartes internationaux, essentiellement Visa et MasterCard. La réglementation européenne sur le choix de la marque en acceptation par les e-commerçants favorise ces schemes internationaux au détriment des schemes domestiques. Cette situation de duopole lucratif n’offre aucune concurrence sérieuse et ouvre un risque stratégique majeur de souveraineté. Les banques européennes doivent donc se remettre à l’ouvrage, en envisageant par exemple une consolidation de trois ou quatre grands schemes domestiques existant en Europe, représentant 60 % des transactions ; (ii) comment dynamiser le paiement instantané et développer une alternative aux schemes internationaux, notamment pour les paiements en ligne ? La solution passe par la bascule progressive des virements existants vers le virement instantané, même si cela ne correspond pas à un besoin clients, à la fois pour lui donner une masse critique qui assurera sa dynamique et pour réduire pour les banques les coûts industriels de gestion d’une double filière technique pour les virements. (iii) Enfin, la question de la place de l’euro numérique dans la sphère des paiements de détail, qui n’est pas qu’une question technique. Une offre qui permettrait rapidement de concurrencer les offres internationales de cryptopaiements via des stablecoins globaux (mis à l’index par le FSB du G20) ou des monnaies numériques en devises étrangères s’avère indispensable, surtout en l’absence de solution bancaire.

Mais, là aussi, il faut éviter trois écueils : (i) vouloir d’abord préparer un substitut à long terme du cash, comme l’envisagent la Suède et certaines banques centrales de la zone euro ; (ii) vouloir commencer par le plus difficile, les paiements de détail, qui nécessitent une très longue préparation, au lieu de commencer par une monnaie numérique de gros pour les règlements interbancaires, le dénouement des transactions sur actifs « tokenisés », les paiements de gros montants et les paiements internationaux, qui lui donneraient, là encore, une masse critique et l’adhésion des acteurs bancaires et financiers ; (iii) contourner l’obstacle technique des blockchains pour se rabattre sur une « monnaie électronique »,
ce qui lui retirerait toute crédibilité et tout intérêt, notamment pour le développement d’une réelle industrie européenne des cryptopaiements.

Ces trois enjeux ne sont pas assurés de succès. Le lancement de l’euro numérique de détail ne doit pas, en particulier, remettre en cause les travaux bancaires actuels de rénovation des paiements et de construction d’une offre européenne de long terme, via EPI, et compromettre l’apport majeur que pourrait avoir à moyen et long terme une monnaie numérique de banque centrale.

*ECB Statistical Data Warehouse (europa.eu).

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