
Les défricheurs du bitcoin

« Lorsque j’ai découvert le bitcoin en 2013, j’ai eu la même révélation qu’en 1996, au tout début de l’Internet, confie Éric Larchevêque. J’ai tout de suite compris que cette technologie, allait, elle aussi, tout changer… » Cet ingénieur en micro-électronique de 47 ans a signé l’acte fondateur de l’écosystème des cryptomonnaies en France en créant dès 2014 la Maison du Bitcoin. Quelques mois plus tard, il co-fondait Ledger, une start-up qui commercialise un coffre-fort digital ressemblant à une clé USB pour conserver les cryptomonnaies de manière sécurisée. Avec Ledger, Éric Larchevêque ajoutait une ligne de plus à un CV déjà détonant. Ce « serial entrepreneur » faisait en effet déjà partie des pionniers d’Internet : il a fondé en 1996 sa première entreprise, une web agency, alors qu’il était encore sur les bancs de son école d’ingénieurs. Il a ensuite enchaîné deux réussites (Montorgueil et Prixing), des expériences dans l’immobilier et le tourisme en Roumanie et Lettonie, et une carrière de joueur de poker professionnel pendant deux ans…
Avant de lancer le premier Plan épargne bitcoin, le 1er octobre dernier, avec sa nouvelle start-up StackinSat, Jonathan Herscovici, 34 ans, avait lui aussi déjà emprunté des chemins de traverse. Après deux ans chez Lyxor AM comme vendeur de produits de gestion alternative, il fonde en 2010 Wesave. Cette plate-forme d’épargne digitale, qu’il a vendue à Amundi en 2019, avait déjà pour ambition de casser les codes de l’investissement sur les marchés financiers pour les particuliers. « La gestion de patrimoine était trop standardisée, et il était difficile de proposer de vraies innovations de rupture, confie ce diplômé du Master 2 en gestion d’actifs de l’université de Paris-Est Créteil. Ayant toujours été attiré par les choses un peu complexes, qu’il faut rendre simples, j’ai compris en 2017 que le bitcoin allait être un ‘game changer’, et un nouveau terrain de jeu parfait pour un entrepreneur comme moi. »
« Tout s’accélère »
Cette conviction d’être à l’aube d’une révolution technologique constitue le dénominateur commun de ces pionniers qui font avancer la cause des crypto-actifs en France. Sans pour autant renier le passé. « Nous ne sommes pas des anarchistes qui voudraient faire tomber les banques et toute l’industrie financière, cette vision est totalement dépassée », souligne Ambre Soubiran, 32 ans, CEO de Kaiko. Diplômée du Master 2 en Mathématiques appliquées de Dauphine, elle a travaillé dix ans chez HSBC en structuration de dérivés actions, avant de racheter Kaiko en 2016. Alors en difficulté, cette fintech se positionnait comme le « Bloomberg » de la finance, centralisant toutes les données de marché liées aux cryptodevises.
Si l’on évoque l’argument des cryptomonnaies ne servant qu’à des fins de spéculation ou de blanchiment, la réponse fuse. « Cela me fait sourire : les transactions en bitcoin sont publiques et totalement transparentes. Quant à l’argument spéculatif, si les cryptomonnaies se révèlent des supports d’investissement plus risqués que la moyenne, cela ne veut pas dire qu’ils sont plus spéculatifs », note Stéphane Ifrah, le co-fondateur de Napoléon Groupe. Cet ingénieur X-Ponts de 49 ans a effectué la majeure partie de son parcours professionnel au sein de BNP Paribas dans les crédits structurés et la gestion d’actifs. Il a réalisé en 2018 l’une des premières levées de fonds en crypto-actifs en France pour financer la société de gestion Napoléon AM, qui a lancé l’année suivante le premier fonds français exclusivement exposé sur le bitcoin.
Portés par un cours du bitcoin qui atteint des sommets, ces défricheurs ont aujourd’hui le vent en poupe. « Tout s’accélère, confirme Ambre Soubiran. En janvier, nous avons recensé sur notre plate-forme 6 milliards de transactions sur les crypto-actifs à travers plus de 75.000 instruments. Et le marché des investisseurs institutionnels, des ‘hedge funds’ et des ‘asset managers’ est enfin en train de prendre forme. » L’activité de Woleet, une start-up rennaise qui commercialise des solutions de signature électronique, cachet serveur et horodatage s’appuyant sur le bitcoin, a progressé de 120 % en 2020. Cette croissance exponentielle nourrit les ambitions de son co-fondateur, Gilles Cadignan. « L’industrie de la signature électronique devrait représenter une quinzaine de milliards de dollars en 2026. Si nous pouvons capter 3 % de parts de marché, Woleet sera une entreprise très prospère », assure cet ingénieur de 41 ans, ancien de Capgemini et diplômé de Sup Info Paris.
De son côté, Ledger réalise aujourd’hui en une journée son chiffre d’affaires annuel d’il y a quatre ans ! « Nous sommes leader mondial sur notre marché et notre ambition n’a pas changé : une cotation d’ici cinq ans et rejoindre le CAC 40 », explique Éric Larchevêque, qui a une nouvelle fois surpris son monde en 2019. « Mon truc, c’est de créer des entreprises et de commencer à les développer. J’ai donc quitté la direction opérationnelle et passé le relais à un nouveau CEO, Pascal Gauthier, qui a, lui, toutes les qualités pour que la société atteignent ses objectifs. » S’il reste au conseil d’administration en tant que principal actionnaire, Éric Larchevêque s’est installé en famille en Sologne où il coupe du bois et gère ses participations de business angel dans une vingtaine de start-up dont certaines dans l’univers de la crypto.
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse