
La rentabilité, un impératif nouveau pour les fintechs

Les temps sont durs pour les fintechs. Bien que 2022 ait permis aux françaises de lever 2,9 milliards d’euros, le financement a désormais tendance à se tarir. Pour tenir, elles doivent à présent prouver que leur modèle est viable, donc générer du chiffre d’affaires et surtout du profit. Sur les 900 fintechs que compte la France, 27 % ont atteint le seuil de rentabilité, selon France Fintech (lire ‘La parole à...’). Ce sont le plus souvent celles qui ont opté pour un modèle BtoB : « Seuls les ultra-spécialistes peuvent être rentables aujourd’hui, estime Olivier Jamault, fintech leader chez Capgemini. Il faut un produit moderne avec une expérience utilisateur de grande qualité et une forte capacité d’intégration dans les systèmes bancaires. C’est particulièrement vrai pour les regtechs du KYC (Know your customer) qui sont ultra-agiles et répondent à un besoin considérable des acteurs traditionnels. » Un positionnement qui permet de générer une croissance rapide et de gagner de l’argent. Ce n’est pas la seule façon de faire. Pour Florent Jacquet, associé chez Simon Kucher, « la clé est de bien connaître ses clients pour leur simplifier l’accès à l’offre à travers des configurations types faciles à choisir et à acheter. Ensuite, il faut inventer une tarification claire, fondée sur les bonnes dimensions pour générer des revenus mécaniquement avec la croissance, comme le ‘Software as a Service’ qui facture à l’utilisateur par exemple. C’est ainsi qu’une fintech peut accroître sa rentabilité en même temps que ses ventes. »
Les conseils ne manquent pas, les difficultés non plus. L’agilité et la capacité à se remettre en question pour changer ou « pivoter » sont cruciales dans tous les métiers. Lemonway, plateforme de paiements qui s’adresse aux marketplaces, vient ainsi d’annoncer qu’elle atteindrait le point mort en 2023, grâce aux grands contrats signés l’an passé et à une tarification qui a dû s’adapter à la réalité des coûts. Lemonway se rémunère grâce à un cumul de commissions : à la transaction, à l’installation (set-up fee), pour la gestion des agents de paiement et par compte de paiement ouvert. « Il ne faut pas hésiter à fermer les comptes qui font perdre de l’argent, déclare Damien Guermonprez, président de Lemonway. Et il faut aussi arrêter d’éduquer le marché et se concentrer sur les plus gros clients, même si l’on doit attendre près d’un an entre la signature des très gros contrats et les débuts opérationnels. Ensuite, il faut réduire les coûts de façon continue. » Autrement dit, avoir le courage de faire baisser les effectifs. Gagner en productivité en équipant ses collaborateurs d’outils pratiques et efficaces. Renégocier âprement ses contrats avec ses fournisseurs. Et enfin, recourir à des sous-traitants near shore pour contenir les coûts. Grâce à cette méthode, Lemonway affiche une croissance de 40 % de son chiffre d’affaires et une réduction de coûts de 12 % sur 2022.
Autre exemple, Tudigo (ex-Bulb in Town) est arrivé à un Ebitda de plus d’un million d’euros en 2022 après avoir frôlé la mort en 2020. Cette plateforme de crowdfunding s’était positionnée sur le don contre don et dépensait beaucoup en acquisition clients jusqu’à la crise du Covid qui a tout stoppé. « La maîtrise des coûts d’acquisition et de la marge par client est impérative car c’est ce qui fait perdre de l’argent aux fintechs, considère Alexandre Laing, cofondateur de Tudigo. Lorsque nous avons été confrontés à la crise, nous avons dû tout changer. Nous avons profondément revu nos processus et mis en place un pilotage mensuel du chiffre d’affaires et du résultat. » Un moyen de réagir beaucoup plus vite face à la conjoncture. Le résultat est là : Tudigo devrait dégager entre 1,5 et 3 millions d’euros d’Ebitda en 2023.
Banking-as-a-Service
Le métier le plus difficile à rentabiliser est sans doute celui des néobanques. Quelques établissements y parviennent tout de même à l’étranger. « Starling Bank est profitable mais elle a renoncé à exporter sa banque digitale hors du Royaume-Uni, préférant proposer du Banking-as-a-Service (BaaS) à l’international, note Angelo Caci, directeur général de Syrtals Cards. Plusieurs néobanques font du BaaS comme Monese, SoFi ou GreenGot. C’est une diversification mais pas forcément le salut. La brésilienne Nubank est devenue rentable au troisième trimestre 2022 et la sud-coréenne KakaoBank l’est depuis plusieurs années. » La recette est ancienne : diversifier son offre, multi-équiper les clients, digitaliser au maximum…
En France, Nickel et Fortuneo sont les seules banques digitales à dégager du profit et plusieurs autres ont fermé (Vybe, Prismea, Xaalys…). Lancée en 2014, rentable depuis 2018, Nickel vient d’atteindre les 3 millions de clients et autofinance même son expansion internationale. Elle déploie son modèle sans agence mais avec une distribution dans les bureaux de tabac en Espagne, en Belgique et au Portugal et sera bientôt disponible en Allemagne. Pour Marie Degrand-Gauillaud, directrice générale déléguée de Nickel, cet équilibre vient de « notre socle technologique très puissant et scalable qui nous permet de croître avec agilité, mais aussi de notre modèle de tarification très clair : le client paie dès le départ, c’est un facteur de sérénité ». En moyenne, les clients acquittent 65 euros de frais par an, la majorité utilise Nickel comme compte principal et 60 % des nouveaux clients viennent par le bouche-à-oreille, pour un coût d’acquisition quasiment nul. Mais Nickel n’a pas l’intention de multiplier les produits. Sur un autre créneau, Pixpay, la banque des ados, a choisi un modèle payant à 2,99 euros par mois. « Le prix de la sécurité », selon Caroline Ménager, sa fondatrice. Pour diversifier ses sources de revenus, elle vient de lancer le coaching, un accompagnement des clients de plus de 18 ans dans le choix de leur banque d’adulte, service rémunéré par l’établissement d’arrivée, et devrait proposer bientôt à ses clients des offres partenaires négociées.
De son côté, Fortuneo est rentable depuis quinze ans et a réalisé un PNB de 200 millions d’euros en 2022 pour un million de clients. La recette : « Nous sommes une banque complète et compétitive. Les clients nous choisissent notamment pour l’assurance-vie, la Bourse et la banque au quotidien, explique Grégory Guermonprez, directeur de Fortuneo. L’encours par client est de plus de 30.000 euros et un client sur deux fait de Fortuneo sa banque principale. C’est la preuve qu’il est possible de faire une croissance rentable indépendamment du volume clients. » Un savant équilibre entre modération tarifaire et performance technologique pour attirer une clientèle plutôt avertie et très autonome sur le plan digital.
Les autres banques en ligne ou néobanques, qui s’appuient sur des modèles proches, sont encore loin de la profitabilité. Boursorama Banque vient de dépasser les 4 millions de clients pour un effectif de 850 collaborateurs mais continue de perdre de l’argent. « Recruter un million de clients en neuf mois pèse obligatoirement sur le résultat net de la période. Nos clients sont jeunes et récents, ce qui nous offre un fantastique potentiel, d’autant plus que nous leur proposons une gamme complète et que nous gagnons un peu sur chaque produit vendu, indique Xavier Prin, directeur marketing de Boursorama Banque. Plus nous comptons de clients, plus nos partenaires stratégiques veulent nous accompagner, ce qui nous permet de dégager de la valeur pour nos clients et pour Boursorama. » Boursorama comme Fortuneo sont ainsi les banques les moins chères de France et attirent de nombreux clients.
D’autres ont opté pour la stratégie de la croissance coûte que coûte, comme N26 et Revolut qui engrangent d’importantes pertes mais affichent des millions de clients : 8 millions pour N26 et 25 millions pour Revolut. Des chiffres impressionnants, qui tendent à valider la pertinence des produits proposés. Quant à la rentabilité, elle reste secondaire. Nik Storonsky, directeur général de Revolut, considère qu’elle est atteinte malgré les millions de livres de pertes cumulées et espère le prouver lors de la prochaine publication des comptes 2021 en février 2023… Et N26 « serait rentable si N26 réduisait la part de ses investissements, selon Jérémie Rosselli, directeur pour la France, la Belgique et le Luxembourg. N26 est déjà rentable en France par client et après les coûts d’acquisition ». Si la rentabilité globale n’est pas encore en vue, N26 se considère sur le bon chemin grâce à l’augmentation de ses revenus liés aux nouveaux clients et à l’accélération des ventes… Tant que la confiance est là, tout est possible.


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