La complexité de l’euro digital suscite des conceptions opposées

Les visions diffèrent sur ce que doit être le futur « crypto-euro », ce qui laisse augurer un long processus de décision, avec le risque de rater la cible.

Pourquoi faire l’euro digital ? Et comment ? Si la Banque centrale européenne (BCE) travaille sur le sujet, les acteurs privés avancent aussi, tel le France Payments Forum (FPF), présidé par Hervé Sitruk, qui offre un lieu d’échange à toute la communauté française du paiement. Le FPF a élaboré sa propre réponse à la concertation de la BCE, posant des questions de fond. « Nous avons besoin d’un cadre légal harmonisé en Europe pour pouvoir lancer un euro digital, estime Hervé Sitruk. Pour cela, il va falloir trancher sur des questions essentielles, comme la nature de l’euro digital – monnaie de banque centrale ou de banques commerciales –, mais aussi sur sa distribution, sur son cours légal, sur la protection de la vie privée et sur la traçabilité des transactions. Ce ne sont pas seulement des questions techniques, la dimension politique est majeure. Il faut un large débat pour faire naître un large consensus. » Rappelant la bascule vers l’euro, en 2000, le président du FPF considère que la création d’un euro digital prendra autant de temps, soit sept ans. Et souligne que le choix de la technologie aura des répercussions très importantes.

Au sein des banques centrales des Etats membres, plusieurs conceptions s’affrontent. Certains pays veulent d’abord un euro digital de détail, quitte à en faire un dérivé de la monnaie électronique créée par la directive de 2000, une sorte de cash numérique, finalement peu utilisé, pour diverses raisons. D’autres, dont la France en particulier, veulent un euro digital de gros (wholesale) à base de blockchain, pour les échanges interbancaires et interentreprises, qui permettrait aux banques de se lancer et d’atteindre rapidement une taille critique, avant de passer à l’euro de détail.

De plus, « la question du modèle économique n’est pas du tout évoquée, pointe Michel Khazzaka, dirigeant de ValueChain, un cabinet spécialiste des blockchains. C’est pour cela que les banques sont réservées sur l’intérêt d’un euro digital de détail alors qu’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) permettrait le développement d’une industrie des cryptopaiements et de la DeFi (finance décentralisée) ». L’adoption d’une MNBC à base de blockchain permettrait, par exemple, de réduire drastiquement les coûts de conformité, ce serait déjà un intérêt économique en soi.

Attentes multiples

Une conférence de haut niveau organisée par la Commission européenne et par la BCE le 7 novembre a permis à un large panel d’acteurs d’échanger sur les contours de l’euro digital et d’aborder notamment la conciliation entre protection de la vie privée – la première demande des Européens – et respect des règles antiblanchiment, ou encore les objectifs assignés à une MNBC : faciliter les paiements transfrontières, favoriser l’inclusion financière, renforcer l’autonomie stratégique et la monnaie de l’Union européenne… Difficile de trouver un socle commun à toutes ces attentes. Néanmoins, l’euro digital pourrait converger avec EPI (European Payments Initiative), dont la version wallet (portefeuille électronique) pourrait contribuer à sa distribution et à sa gestion.

Apportant une vision plus concrète, John Rolle, le gouverneur de la Banque centrale des Bahamas, a présenté quelques enseignements du lancement fin 2020 de sa MNBC, le Sand Dollar. Celui-ci représente encore moins de 1 % de l’argent en circulation. Inutile d’attendre une adoption massive et rapide, donc. Toutefois, un large réseau d’acceptation est important et de nouvelle fonctionnalités destinées aux commerçants seront bientôt ajoutées dans l’application. L’intégration du Sand Dollar avec le système de paiement traditionnel est nécessaire car les marchands doivent pouvoir traiter le Sand Dollar comme le reste de leurs revenus. La participation des banques est également cruciale, pour la gestion du système et pour la distribution du Sand Dollar, même si la banque centrale aussi a dû renforcer ses ressources pour piloter le dispositif. Enfin, l’éducation est indispensable pour créer la confiance et l’usage. Un point de vue instructif, à examiner avec attention.

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