
FINTECH - La Chine renforce sa mainmise

Pékin n’a pas dit son dernier mot. ll y a environ un mois, le régulateur chinois a présenté de nouvelles règles visant les géants de la tech – tels qu’Ant Group, filiale d’Alibaba, et Tencent – qui bouleversent le paysage bancaire traditionnel.
Si certaines règles de sa loi antitrust, qui portent sur la discrimination des prix ou encore le traitement préférentiel des commerçants, sont destinées à enrayer les pratiques monopolistiques de ces acteurs, d’autres touchent au cœur même de leur modèle économique. Dans un projet de consultation, la Chine souhaite par exemple imposer aux sociétés de microcrédit de financer non pas 2 % mais 30 % de tout prêt avec des institutions financières.
En peu de temps, les Chinois se sont rués vers ces fintech, qui permettent, en un clic, de payer son taxi comme de contracter un crédit. Depuis 2015, Ant Group et Tencent ont respectivement distribué 308 et 540 milliards de crédits. De même, en moins de cinq ans, MyBank, la banque digitale d’Ant, a multiplié par dix le nombre de crédits octroyés aux PME, passant de 2,77 millions en décembre 2016 à 29 millions en juin 2020.
« De quoi donner des sueurs froides à la Chine », confie Julien Maldonato, associé conseil, industrie financière chez Deloitte. Sur les six à douze derniers mois, le pays est ainsi passé d’« une forme de bienveillance à une forme de tension » avec ces acteurs, « en particulier » avec Ant, dont le projet d’introduction en Bourse (IPO) a été stoppé net par le gouvernement. Plusieurs hypothèses sont possibles, selon lui : les liens que continue d’entretenir Jack Ma, fondateur d’Ant Group, avec Jiang Mianheng, fils de l’ancien président Jiang Zemin, ses critiques ouvertes envers le système financier chinois ou encore le poids du groupe dans l’économie chinoise… avec le risque systémique associé : « too big to fail ».
Pour le pays, le plus gros risque serait « d’avoir une crise des crédits ‘subprime’ similaire à celle de 2008 », considère Yassine Regragui, expert fintech et Chine. Même si Pékin semble « mieux informé » car ces plates-formes partagent leur système de notation avec l’Etat, ces nouvelles mesures sont prises « pour limiter le risque de solvabilité de ces super-prêteurs, qui aurait des conséquences systémiques désastreuses sur l’économie chinoise », admet Julien Maldonato. Enfin, une nouvelle réglementation pourrait favoriser l’émergence de nouveaux acteurs. Meituan-Dianping, JD ou encore Baidu devraient, par exemple, tirer profit de la loi antitrust.
La Chine « croit en l’équilibre de yin et yang, le régulateur va toujours évaluer les avantages et inconvénients et choisira la route du milieu, ne bloquant jamais l’innovation à 100 %, souligne l’expert indépendant (passé chez Alibaba, en Chine). Le fait d’avoir pris ce chemin du milieu va permettre aux gros acteurs de s’adapter, et cela aura un impact sur leur modèle économique sans pour autant les empêcher d’apporter des solutions innovantes ».
Nécessité de s’adapter
Entre 2014 et 2018, Yassine Regragui a développé l’application de paiement Alipay d’Ant Group pour les utilisateurs étrangers. « J’ai changé 12 fois d’équipes en près de quatre ans chez Alibaba et Ant, confie-t-il. En Chine, l’adaptation au changement et l’agilité font partie intégrante de l’ADN de ces entreprises qui font preuve de résilience. » En 2017, la première réglementation chinoise sur le microcrédit a d’ailleurs eu un impact sur son activité. « Nous avons par exemple dû adapter l’application Alipay en changeant à la fois l’aspect technologique, son design, l’expérience utilisateur, ainsi que l’aspect éducatif en un temps record, relate-t-il. Les entreprises concurrentes sont également capables de s’adapter car elles gèrent aussi des centaines de millions de clients. »
En fin de compte, la Chine semble être prise dans une position paradoxale, voulant freiner l’émergence d’acteurs qui participent au fonctionnement de son économie. A ce jour, Alibaba et Tencent ont contribué à créer respectivement 40* et 29** millions d’emplois dans le pays. D’ici à 2025, Tencent compte investir 70 milliards de dollars dans le cloud, l’intelligence artificielle et la cybersécurité. « La Chine ne peut pas trop pénaliser ces groupes qui modernisent la finance de demain », poursuit Julien Maldonato.
Jusqu’ici, l’Etat et la banque centrale travaillaient avec les deux géants chinois pour construire une monnaie numérique. « Le dialogue s’est d’un coup refroidi. Est-ce que Jack Ma a pris la grosse tête ? C’est un mystère. Ce n’est pas la première fois que la Chine et ses géants font des allers-retours entre périodes froide et chaude », souligne Julien Maldonato. Dernier exemple en date : en 2017, le régulateur chinois a restreint le fonds Tianhong Yu’e Bao d’Ant Group, afin de limiter les risques liés aux investissements. Sans une telle décision, les encours d’épargne de la filiale d’Alibaba, qui s’élèvent aujourd’hui à 4.099 milliards de yuans (504 milliards d’euros), auraient pu être beaucoup plus importants.
Face à la montée en puissance de ces monstres locaux, la Chine ne semble d’ailleurs pas vouloir s’arrêter en si bon chemin : elle a prévu de publier de nouvelles règles d’ici à juin 2021.
*Source : Renmin University of China, 2018. **Source : rapport co-publié par le propriétaire de WeChat, Tencent et l’Académie chinoise des technologies de l’information et des communications, 2019.
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