
Crypto : le krach nourrit le financement des contentieux

Quand s’arrêtera l’hiver crypto ? L’effondrement de la plateforme FTX marque le point culminant d’une année terrible pour un secteur en proie à un séisme d’une magnitude élevée. Sans surprise, l’éclatement de la bulle crypto s’accompagne d’une montée en puissance des contentieux. En collaboration avec Stanford Law School, la société d’études américaine Cornerstone Research a répertorié 58 class actions aux Etats-Unis contre des entreprises de cryptomonnaies depuis 2016, dont un tiers au cours des deux dernières années. De quoi susciter l’intérêt du monde du financement de contentieux, ou litigation finance.
Très développée dans les pays anglo-saxons, cette classe d’actifs permet à des sociétés de proposer de financer un plaignant en s’acquittant à sa place de ses frais juridiques en échange d’une rémunération à l’issue du litige, et ce uniquement en cas de succès. La rémunération peut être un pourcentage des sommes recouvrées ou bien un multiple du financement investi. « L’industrie du financement de contentieux explose depuis plus de cinq ans et atteint à l’heure actuelle un certain niveau de maturité », observe Yoav Navon, responsable de l’investissement au sein de Nemesis, une toute nouvelle société de financement de contentieux spécialisée dans la blockchain et les cryptos. « Nous avons identifié les cryptomonnaies et la blockchain comme les segments les moins couverts par le ‘litigation funding’ alors même que les perspectives de litiges dans ce domaine vont se multiplier », ajoute-t-il. L’entreprise, qui compte à la fois des experts en blockchain et en financement de contentieux, entend se positionner sur tous les segments : conflits entre actionnaires, utilisation frauduleuse de fonds, class actions, échecs des smart contracts ou encore faillites impliquant des acteurs de la crypto. « Après deux ans et demi marqués par des crises majeures, l’une associée au Covid et l’autre à la guerre en Ukraine, les investisseurs tentent d’identifier de nouvelles poches d’investissement, estime Yoav Navon. Le financement de contentieux leur offre une vraie opportunité. »
Des changements de l’intérieur
Indépendamment de la nature des dossiers, les rendements peuvent être élevés. « On parle de 40 % à 50 % de retour moyen par année sur le capital investi avec une classe d’actifs qui n’est affectée ni par les crises économiques ni par l’inflation, explique Andy Christen, associé et cofondateur de Liti Capital. L’une des conditions d’obtention de ces rendements est d’avoir un portefeuille de cas diversifiés, que l’on peut réaliser sur une échéance de cinq à sept ans. » Créée au printemps 2021 à Genève, cette société de financement de contentieux, qui opère en conformité avec les instances de régulation des marchés financiers, a inscrit la blockchain au cœur de son modèle économique : afin de permettre d’élargir sa base d’investisseurs à des particuliers, la société a émis des actions de Liti Capital sous forme « tokenisée ». « Chaque tokenholder est ainsi considéré comme un actionnaire en droit suisse, ce qui lui assure toute une série de droits et davantage de protection, souligne le cofondateur. L’un des arguments était aussi de créer de la liquidité en retour dans une industrie traditionnellement illiquide. » Parmi ses dossiers sous gestion, l’entreprise helvétique compte également un litige sur les cryptos. Liti Capital finance une procédure visant à défendre un groupe de plaignants demandant des dommages et intérêts à Binance. Le 19 mai 2021, la plus grande Bourse de cryptomonnaies au monde avait gelé les comptes de milliers de traders, provoquant des pertes estimées à plusieurs dizaines de millions de dollars. « Le monde des cryptos est comparable au début de l’ère Internet, remarque Andy Christen. La jurisprudence sera la pierre angulaire sur laquelle les régulateurs nationaux et internationaux pourront puiser de façon à transformer le système et apporter plus de droits aux consommateurs. Ces jugements en faveur des consommateurs inciteront également les acteurs du monde crypto à davantage de prudence et induiront des changements de l’intérieur. »
Devant l’engouement des nouveaux entrants, certains acteurs traditionnels du litigation finance préfèrent néanmoins temporiser. « Au cours des six à neuf derniers mois, nous avons constaté une augmentation notable du nombre de demandes sur des affaires impliquant des recouvrements de cryptomonnaies dans des juridictions internationales très différentes », admet Michael Redman, managing director chez Burford Capital, l’un des poids lourds du secteur. Sur le marché français, Ivo Capital Partners, qui a lancé trois fonds dédiés à ce segment depuis 2014, estime de son côté que les conditions ne sont pas encore réunies. « Pour l’heure, le secteur des cryptos est encore jeune, relève Paul de Servigny, responsable de l’investissement. Nous continuons à l’observer et attendons de voir comment il évolue, avant de l’intégrer à notre portefeuille d’actions collectives financées. »
La question de la récupération des actifs reste l’un des principaux points d’achoppement. « Cela fait partie du processus de due diligence, indique Andy Christen. Il faut s’assurer que les actifs sont localisés dans des juridictions où l’on peut mettre en application les jugements favorables obtenus. » Le recours à des sociétés d’investigation spécialisées dans le suivi des actifs et à des technologies de machine learning et d’intelligence artificielle pour sélectionner les meilleurs dossiers est de plus en plus fréquent. « Il existe de nombreuses entreprises très sophistiquées qui proposent des produits solides, susceptibles de garantir une très bonne traçabilité, estime Rupert Black, senior associate chez Burford Capital. Il y a quelques années, ce degré d’innovation n’existait pas. »
L’évolution du secteur pourrait néanmoins aider à surmonter les réticences. « Au fur et à mesure que l’univers des cryptomonnaies évolue, il est probable que les demandes d’indemnisation des victimes individuelles diminuent au profit d’une augmentation des demandes d’indemnisation par les administrateurs judiciaires et les liquidateurs, principalement aux Etats-Unis, anticipe Rupert Black. Les montants de ces demandes, qui concerneront à la fois les infrastructures et les plateformes, se chiffreront en centaines de millions de dollars. » Le krach n’est pas perdu pour tout le monde.
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